Les sanctions de l’UE à l’encontre de la Russie équivalent à un « suicide par flic interposé »

Les sanctions de l’UE à l’encontre de la Russie équivalent à un « suicide par flic interposé »

Par Tom Luongo – Le 25 février 2022 – Source Gold Goats ‘N Guns

L’UE a dévoilé sa première série de sanctions économiques à l’encontre de la Russie pour son invasion de l’Ukraine. Les dirigeants de l’UE semblent encore plus furieux de ce qui se passe que les dirigeants américains. Voici l’article de Sputnik News sur cet imbroglio.

Nous savons que l’UE est très dépendante de l’énergie russe et que les sanctions existantes entravent le commerce entre l’UE et la Russie depuis des années. L’Europe est incroyablement vulnérable à toute forme de bouleversement affectant l’offre et la demande, alors que son système financier est au bord du gouffre.

Il n’y a pas de solidarité entre les États-Unis et l’UE sur ces questions, comme je l’ai souligné dans de nombreux articles. La question qui se pose maintenant est la suivante : pourquoi l’Europe choisit-elle de de se battre et de s’attaquer aux exportations d’énergie russes et à la capacité des banques de l’UE à faire des affaires pour acheter du gaz russe et d’autres produits d’exportation ?

La réponse doit être que c’est exactement ce qu’ils voulaient en premier lieu.

Aux États-Unis, nous appelons cela un « suicide par flic interposé », et c’est exactement ainsi que je l’ai formulé lorsque Sputnik m’a demandé mon avis sur le sujet ce matin. Lundi, avant l’intervention de Poutine en Ukraine, on m’a demandé de répondre aux questions suivantes. La situation a évidemment évolué, mais je les publie quand même ici car elles ont encore une certaine valeur. {commentaires éditoriaux actuels entre parenthèses}


Selon des recherches récentes, la capacité d’exportation de gaz naturel liquéfié des États-Unis sera la plus importante au monde d’ici la fin 2022. Se pourrait-il qu’une partie du jeu autour de l’Ukraine consiste à faire profiter le secteur pétrolier américain de l’impasse actuelle en Ukraine ?

Bien sûr. Il s’agit d’une sous-intrigue dans cette histoire très compliquée. De nombreux facteurs sont à l’origine de cette impasse en Ukraine que la Russie est en train d’accélérer en vue d’un objectif final {c’était un euphémisme, 12 heures plus tard}. Les exportations de GNL des États-Unis sont certainement l’un d’entre eux, mais je pense que les questions plus importantes concernent l’avenir de l’OTAN, l’architecture de sécurité de l’Europe et qui la contrôle.

J’y vois autant une lutte entre les États-Unis/Royaume-Uni et l’UE sur la sécurité que l’antipathie de longue date des États-Unis pour les exportations énergétiques russes. Ces questions sont, bien entendu, toutes liées entre elles.

La bataille politique actuelle autour de l’Ukraine n’est-elle qu’un prétexte pour les États-Unis de gagner de l’argent via le secteur énergétique, en augmentant les approvisionnements ?

Non, ce n’est pas le cas. C’est beaucoup plus profond et nuancé que cela. Il y a de futurs contrats d’armement pour les entrepreneurs militaires américains et britanniques en jeu ici, ainsi que le désir de la France de devenir un acteur majeur dans les ventes d’armes européennes.

Je pense que la Russie est utilisée comme un croquemitaine pour faire avancer les agendas politiques internes européens et « anglo-saxons » , qui ont plus à voir avec les changements d’orientation de la politique étrangère que le simple aspect « suivre l’argent » . « Suivre l’argent de l’énergie et des armes » est une considération importante, mais je pense qu’elle est maintenant secondaire face à la perspective d’un paysage sécuritaire bien différent en Europe d’ici 2030.

L’Union européenne cherche des moyens d’affirmer son indépendance vis-à-vis de Washington D.C. Downing St. pousse tout le monde au conflit pour ses propres raisons égoïstes et historiques, en s’accrochant à des théories politiques dépassées sur le contrôle de l’« île monde » et en creusant un fossé entre la Russie et la Chine, ce qui donne exactement le résultat inverse.

Quelle est la probabilité que les États-Unis tentent maintenant d’établir un contrôle sur les voies de transit passant par l’Ukraine ? Le récit de « l’invasion russe » sera-t-il utilisé comme prétexte pour le faire ?

Dans l’esprit des dirigeants russes, les routes de transit à travers l’Ukraine sont des actifs totalement dépréciés qu’ils continuent malheureusement à subventionner. Lors de son discours annonçant la reconnaissance du Donbass, Poutine a mentionné ce qu’a coûté la subvention d’un régime hostile à Kiev : 250 milliards de dollars sur 30 ans.

Si les États-Unis veulent contrôler ces voies de transit, c’est parfait. La Russie sera heureuse de couper le gaz qui y transite, puisque cela coûte de l’argent à Gazprom d’expédier du gaz par ce biais pour le moment. Poutine a ordonné à Gazprom de maintenir ces gazoducs remplis juste ce qu’il faut pour l’Europe qui n’a cessé de lui mordre la main.

Je pense qu’il ne se souciera pas de renouveler le contrat de transit avec l’Ukraine lorsqu’il expirera en décembre 2024.

Donc, si Washington veut cela, Poutine acceptera et arrêtera le transit en invoquant des conflits avec l’Ukraine.

Dans quelle mesure les États-Unis peuvent-ils effectivement assurer la sécurité énergétique de l’Europe en fournissant des ressources ?

Selon l’EIA, la production américaine totale de GNL pour 2022 est de 11,5 milliards de pieds cubes par jour, ce qui représente 115 milliards de mètres cubes par an, soit à peu près les capacités de Nord Stream 1 et 2 combinées.

Existe-t-il une capacité de réserve de 55 milliards de m3 (la taille de NS2) dans le système américain pour alimenter un nouveau marché en Europe ? Non, pas avec une demande qui augmente de plus de 6 % par an et qui s’accélère au fur et à mesure que le monde sort des confinements du COVID-19.

La demande européenne de GNL est si élevée que les fournisseurs américains et russes y trouveront des débouchés considérables. Il ne s’agit donc pas d’une question d’argent, en fin de compte. La plupart des pays européens ayant mis fin à leurs restrictions COVID-19 dans une tentative désespérée d’éviter les troubles politiques, la demande ne peut qu’augmenter.

De plus, le GNL américain est bien plus cher que le gaz russe acheminé par gazoduc. C’est un fait. Et avec l’administration Biden qui travaille avec le Davos pour faire pression sur les banques afin de retarder les investissements dans de nouveaux projets pétroliers et gaziers, l’approvisionnement à long terme de l’Europe en énergie depuis les États-Unis est de toute façon limité.

Les exportations américaines iront là où l’offre est la plus élevée et avec les terribles perspectives de l’Europe, son surendettement massif et son manque de dynamisme économique, elle ne sera pas capable de surenchérir sur les autres clients mondiaux pour le gaz. C’est la raison des prix insensés en Europe cet hiver, la concurrence pour des approvisionnements limités en gaz faisant grimper les prix, malgré l’augmentation de la capacité mondiale.

L’Europe peut-elle survivre sans les approvisionnements énergétiques russes, s’ils devaient être interrompus maintenant en raison de l’impasse et des sanctions ?

Non. Ce n’est tout simplement pas possible, d’autant que l’Allemagne a fermé des réacteurs nucléaires en parfait état cette année. Le grand gagnant sera en fait à court terme la France qui pourra vendre sa capacité électrique excédentaire à l’Allemagne à des prix exorbitants grâce à son empreinte nucléaire massive.

Ce qui se passe actuellement, c’est que l’Allemagne suit le courant politique, ralentissant la certification de Nord Stream 2 dans l’espoir que quelque chose puisse être fait pour éviter que le pire scénario ne se produise en Ukraine.

Il est trop tôt pour dire à quel point les choses vont devenir violentes dans le Donbass {très violentes, apparemment}, mais il est possible que la reconnaissance du Donbass par la Russie incite d’autres régions à déclarer leur indépendance, repoussant les FAU vers Kiev. {Il suffira que la Russie envahisse complètement le pays}. Politiquement, les Allemands devront finalement faire un choix. La Russie et l’indépendance ou continuer à se subordonner à D.C.

{Pour l’instant, l’Allemagne a fait un piètre choix. Cela montre à quel point même l’Europe a été surprise par la taille et l’ampleur de l’intervention de Poutine en Ukraine. Les réactions de l’UE et de l’OTAN aujourd’hui montrent que Poutine leur avait promis de ne pas le faire et qu’il l’a quand même fait. Connaissant Poutine, l’UE a probablement rompu un autre accord secret.}

Le sort de Nord Stream 2 est-il à nouveau en danger au vu des récents développements ?

Peu probable. {Cela n’a pas bien vieilli. Il est possible maintenant que NS2 soit abandonné par la Russie en représailles à la stupidité de l’OTAN et de l’UE.} La nomination de l’ancien chancelier allemand Gerhard Schroeder au conseil d’administration de Gazprom me fait penser qu’il s’agit de sa récompense pour avoir mené le projet jusqu’à ce point et à son achèvement éventuel.

Cela dit, l’excédent commercial de la Russie est si élevé qu’elle a les cartes en main en matière de commerce. Quels que soient les sanctions mises en place, si le monde veut ce que vend la Russie, ce qui va bien au-delà du pétrole et du gaz, il devra finalement traiter avec elle selon les conditions de la Russie, et non selon les siennes.

Par exemple, la récente annonce faite par la Chine et la Russie d’augmenter les ventes de gaz de 10 milliards de mètres cubes supplémentaires par an et de régler les échanges en euros peut facilement être modifiée si l’UE va trop loin dans ses sanctions contre l’Ukraine.

Je suis sûr que si l’UE tente de modifier les termes des contrats existants, actuellement réglés en euros grâce à des sanctions imposées unilatéralement, la Russie dira simplement : « C’est très bien, payez-nous en roubles » . Et nous verrons bien ce qui se passera ensuite.

La leçon à tirer est que les bilans sont importants. Celui de la Russie est sain, avec une faible dette, des réserves élevées, un excédent commercial et de comptabilité courante et une grande marge de manœuvre pour que sa banque centrale puisse répondre aux sanctions. Les sanctions contre elle ciblant le rouble dans ces conditions sont inoffensives, en fait, plus inoffensives aujourd’hui qu’en 2014.

Le GNL est-il une alternative viable au gaz russe, moins cher, rapidement livré aux pays européens ?

En tant que solution provisoire, tout est viable. Le marché des méthaniers est désorganisé en ce moment, mais cela devrait revenir à la normale bientôt. Les conditions actuelles sur un marché comme celui des méthaniers, avec des taux d’affrètement journaliers négatifs, ne sont pas viables, pas plus que les prix du pétrole en mai 2020.

Ce n’est donc une alternative viable que pendant un certain temps. À long terme, les prix élevés de l’énergie en Europe ne sont qu’un frein à la croissance potentielle ou, dans le cas de l’Europe, à la reprise. En l’absence d’un blitz de dépenses massives de l’UE, sur lequel elle ne se mettra jamais d’accord dans un délai raisonnable, l’avenir énergétique de l’Europe, sans Nord Stream 2 et le gazoduc East Med d’Israël, désormais annulé, est sombre.

On s’attend maintenant à un effondrement complet des marchés financiers européens lorsque la Fed relèvera ses taux d’intérêt en mars, ce qui accentuera la pression sur l’euro et la capacité de l’Europe à payer ses importations.


Ce qui ressort clairement de mes réponses à Sputnik et même de leurs questions, c’est qu’aucune des parties à cet échange ne s’attendait au type d’action militaire de Poutine lorsque ces questions ont été formulées et que j’y ai répondu.

Mais une grande partie de la trame sous-jacente est toujours en place. L’UE a de sérieux problèmes.

Maintenant que les choses ont progressé en Ukraine bien au-delà de ce que tout le monde, y compris de nombreux membres de l’appareil politique de l’UE, pensait, la question est maintenant de savoir si la guerre des sanctions va s’intensifier.

Et c’est là que mon analogie avec le « suicide par flic interposé » est pertinente :

[Sputnik m’interroge sur la sécurité énergétique de l’Europe]

Tout se résume à savoir si l’UE décide de détruire son économie en faisant ce que nous, Américains, appelons un « suicide par flic interposé ». C’est quand une personne qui veut mourir se bat avec un policier dans le but de se faire abattre.

L’Europe risque de voir son économie s’effondrer complètement si elle sanctionne le secteur énergétique de la Russie et lui interdit de faire des affaires avec ses banques. La question que personne ne se pose est : « Ont-ils provoqué cette bagarre exprès pour faire exactement cela ? » De mon point de vue, il me semble que leur insistance à ne faire aucune concession diplomatique à la Russie a conduit directement à ce résultat. Donc, la réponse à ma question est « Oui, c’était délibéré » .

Mais, même si je me trompe et qu’il y a d’autres raisons non déclarées pour lesquelles la Russie a rayé de la carte les installations militaires de l’Ukraine la nuit dernière, les retombées de cette situation seront des prix de l’énergie bien plus élevés que ceux que les faibles gouvernements de coalition seront en mesure de supporter. Je m’attends à ce que la carte de l’Europe soit très différente de ce qu’elle est aujourd’hui à la fin de 2024, et ce bien au-delà de l’Ukraine.

Tom Luongo

Traduit par Zineb, relu par Wayan, pour le Saker Francophone

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Source: Lire l'article complet de Le Saker Francophone

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