Au départ, cela semblait être un mouvement spontané réclamant la levée de l’obligation d’être vacciné pour les camionneurs traversant la frontière. Puis, c’est devenu une manifestation revendiquant la levée de l’ensemble des mesures sanitaires, pour se transformer en un siège de la capitale canadienne exigeant que la Gouverneure générale et le Sénat, deux institutions non électives, démettent le premier ministre dûment élu Justin Trudeau.
On croyait à un coup d’État d’opérette. Mais, au fil des jours, nous avons appris que le siège est l’oeuvre d’émules des trumpistes qui ont pris d’assaut le Capitole, il y a un an. Les trumpistes voulaient empêcher la certification de l’élection de Joe Biden; leurs imitateurs canadiens ont obtenu la tête du chef du Parti conservateur Érin O’Toole et celui qui semble le mieux placé pour lui succéder, Pierre Poilièvre, est venu les accueillir avec du café et des beignets sur la colline parlementaire.
Le « convoi pour la liberté » était bien organisé, bénéficiait d’une solide logistique et était, entre autres, dirigé par d’anciens membres hauts placés de la GRC et de l’armée. Il a bénéficié de l’appui de députés conservateurs, de l’ex-chef Andrew Scheer et de la chef intérimaire Candice Bergen. Ses appuis médiatiques se sont élargis du journal marginal de l’Ouest The Rebel jusqu’aux quotidiens Toronto Sun et National Post, les deux étant détenus par Postmedia Network, le plus grand groupe de presse au Canada.
L’ex-président Trump a cité le convoi en exemple. Fox News en a fait une cause célèbre et la constellation des réseaux sociaux d’extrême-droite nord-américaine a recueilli en un rien de temps plus de 20 millions $.
Les dirigeants du convoi vont s’enorgueillir d’avoir fait la nouvelle autour du monde. Ils s’approprieront aussi le crédit de la levée des mesures sanitaires. Leur résistance face à des forces policières complaisantes et leur emprisonnement consacreront à leurs dirigeants le statut de héros dans la mouvance de l’extrême-droite.
La montée d’Éric Duhaime
À première vue, le convoi n’a pas eu le même impact au Québec, malgré la participation indéniable d’un certain nombre de personnes. Au Québec même, le convoi de Rambo et Big exhalait une odeur d’improvisation et d’amateurisme. Et, contrairement au Canada anglais, l’ensemble de la classe politique s’est tenue à distance. Les Conservateurs québécois ont rompu idéologiquement avec leurs collègues canadiens et ils sollicitent Jean Charest pour prendre la direction de leur parti. Même Éric Duhaime, le chef du Parti Conservateur, a refusé d’être associé au convoi québécois, tout en appuyant leur revendication de levée des mesures sanitaires.
Avec 14 % des intentions de vote, lors du dernier sondage, Duhaime et son parti surpassent Québec Solidaire (12 %) et le Parti Québécois (11%). Il est devancé par la CAQ (42 %) et le PLQ (20 %), mais il est deuxième chez les francophones. Avec 25 % d’appuis dans la région de Québec, il représente désormais une menace pour François Legault.
Le succès de Duhaime et les insuccès des partis d’opposition s’expliquent par la pertinence des critiques de la gestion de la pandémie du premier et la « docilité » des seconds, pétrifiés par les taux d’approbation du gouvernement Legault, malgré les bilans catastrophiques des première et cinquième vagues de la COVID.
De la droite à l’extrême-droite
Avec ses propositions de privatisation du système de santé et de désengagement de l’État, le discours de Duhaime est jusqu’à un certain point du « déjà vu ». Il reprend des thèmes chers à l’ADQ et à la CAQ, que Legault avait mis sur le rond arrière avec la crise de la pandémie, mais qu’il va sûrement réactiver avec l’émergence du Parti Conservateur dans ses châteaux-forts de la région de Québec.
Mais ce ne pourrait être là que des vaguelettes avant que nous frappe le tsunami en gestation aux États-Unis et en France, deux pays aux influences prépondérantes sur le Québec. Déjà, le « convoi pour la liberté » a montré qu’il n’y a pas de frontière idéologique entre les États-Unis et le Canada anglais. Imaginons l’impact d’une victoire des Républicains trumpistes l’an prochain, lors des élections de mi-mandat au Congrès, et un retour de Trump en 2024.
La situation en France est tout aussi inquiétante. Le candidat Éric Zemmour, qui vient d’avoir un long entretien téléphonique consenti avec Donald Trump, est maintenant deuxième dans les sondages avec 16,5 % des appuis et son score combiné à celui de Marine Le Pen (16 %) donne un tiers des intentions de vote à l’extrême-droite. Leurs succès contaminent maintenant la droite au point où la candidate du parti Les Républicains, Valérie Pécresse (15 %), vient de faire sienne la théorie du Grand Remplacement – selon laquelle les musulmans remplaceraient les Français de souche – et d’adopter la dénomination dévalorisante et raciste « Français de papier » pour désigner la population ayant acquis récemment la citoyenneté française.
Zemmour propose, entre autres, d’expulser de France deux millions d’étrangers au cours des cinq années de son mandat présidentiel, supprimer le droit du sol, le droit d’asile, le regroupement familial et toutes les aides sociales aux étrangers extra-européens. Le résultat prévisible est la guerre civile.
La stratégie de Zemmour est de supprimer le mur historique entre la droite et l’extrême-droite en France. Mathieu Bock-Côté, qui a remplacé Zemmour, le journaliste, sur la chaîne de télé CNews – le Fox News français, propriété du magnat de la presse Vincent Bolloré, le patron et promoteur de Zemmour – est à la manœuvre dans ses chroniques sur CNews, la radio Europe 1 et dans le journal Le Figaro pour faire la promotion de Zemmour et de son programme.
Bock-Côté essaie de nous vendre au Québec cette légitimation de l’extrême-droite avec la subtile complicité du chroniqueur Christian Rioux du journal Le Devoir. Il est même loisible de se demander, compte tenu de ses chroniques quasi-quotidiennes dans le Journal de Montréal, si le Bolloré québécois Pierre-Karl Péladeau ne prépare une éventuelle candidature Bock-Côté après la débandade appréhendée du Parti Québécois aux prochaines élections.
La responsabilité syndicale
La soudaine popularité d’Éric Duhaime et l’absence d’alternative progressiste sérieuse à la CAQ devrait faire scintiller des voyants rouges sur le tableau de bord des centrales syndicales. Faut-il rappeler qu’en plus de prôner ouvertement la privatisation du système de santé, Éric Duhaime a publié L’État contre les jeunes : comment les baby-boomers ont détourné le système (VLB éditeur, 2012), Libérez-nous des syndicats (Éditions Genex, 2013) et La SAQ pousse le bouchon (VLB éditeur,2014).
Dans l’entrevue qu’elle nous accorde (voir page 3), la présidente de la FIQ Julie Bouchard déclare que les infirmières, et les femmes en général, « ne vont pas tolérer l’intolérable encore longtemps » et qu’elles sont de plus en plus nombreuses à s’impliquer « dans le milieu syndical et en politique ».
Cependant, ce n’est pas par des candidatures individuelles dans des partis de droite (PLC, CAQ), comme nous l’avons vu récemment, qu’il sera possible de résister au vent de droite et d’extrême-droite qui va déferler. Le mouvement syndical doit prendre ses responsabilités. Au-delà de la nécessaire défense des intérêts corporatistes de ses membres, il doit élaborer un programme politique, former des noyaux de militantes et de militants politiques, en s’inspirant de l’expérience passée. La très grande majorité des principales législations progressistes adoptées au Québec ont émané du mouvement syndical avant d’être reprises à leur compte par des partis politiques. Seul le mouvement syndical a aujourd’hui l’autorité morale et les ressources organisationnelles et financières pour répondre aux exigences que commande la situation.
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