L’affaire des conscrits russes en Ukraine révèle la persistance de l’ère Eltsin

L’affaire des conscrits russes en Ukraine révèle la persistance de l’ère Eltsin

L’information selon laquelle la présidence russe aurait ordonné l’ouverture d’une enquête sur la présence de conscrits russes en Ukraine semble partiellement confirmer notre analyse sur la corruption des divers échelons du commandement russe.

Cette affaire révèle que les responsables militaires et sécuritaires russes auraient gardé la vieille habitude des rapports mensongers vis à vis de la hiérarchie.

Le président russe Vladimir Poutine a affirmé qu’il n’y avait aucun conscrit en Ukraine et que l’opération militaire russe dans ce pays était menée exclusivement par des engagés volontaires ou des professionnels. Cette affirmation est contredite par un communiqué du Ministère russe de la Défense qui reconnaît que des conscrits ont été envoyés en Ukraine pour sécuriser les lignes d’approvisionnement logistiques et que certains d’entre-eux ont été faits prisonniers par les forces ukrainiennes. Cette déclaration a suscité la fureur du Kremlin qui a ordonné une enquête pour déterminer “qui” a envoyé des conscrits en Ukraine.

Cela fait un peu désordre mais prouve que le président Vladimir Poutine aurait pris sa décision de déclencher une opération militaire d’envergure en Ukraine en se basant sur une fausse perception, délibérément créée et entretenue par le commandement de ses propres forces armées. Il semble que certaines pratiques de l’époque désastreuse de Boris Eltsine et des heures les plus ternes de l’époque soviétique aient la peau dure en Russie.

Poutine aurait pris une décision cruciale et aux conséquences très lourdes sur tous les plans en sa basant sur de faux rapports sur l’état, l’évaluation, la préparation au combat et l’efficience des forces armées russes établis par les responsables militaires et sécuritaires pour camoufler leur petites affaires et ne pas susciter le courroux du Chef de l’État, qui aspire à de grandes ambitions pour son pays.

C’est une “misconception” commune en matière de prise de décision.

L’histoire de la Russie est très riche en épisodes similaires. La Guerre d’Hiver ayant opposé la redoutable Union Soviétique de Staline à la petite Finlande peu avant la Seconde Guerre mondiale avait convaincu l’état-major allemand que leur rival idéologique et stratégique à l’Est était un géant aux pieds d’argile, notamment après les terribles purges staliniennes qui avaient décimé les officiers généraux soviétiques. Une autre occurrence est la Guerre d’Afghanistan (1979-1989) durant laquelle les forces soviétiques ont fait face à une guérrilla soutenue par Washington. Mais le plus grand désastre de l’armée russe post-soviétique eut lieu à Grozny lors de la première guerre tchétchène (1994) lorsque des commandants militaires russes incompétents ont envoyé des unités blindées en plein milieu urbain et où elles ont été décimés.

Poutine a cru avoir grandement remédié à la situation et faisait confiance à des rapports mensongers établis par divers responsables civils et militaires qui relevaient de l’auto-propagande, intoxiquant ainsi le leadership. Cette intoxication visait avant tout à préserver des privilèges, à camoufler des irrégularités et à fuir les sanctions de la hiérarchie.

C’est ce que révèle l’affaire des conscrits russes sans aucune expérience au combat qui se sont retrouvés en Ukraine. Pire encore, les seules forces combattantes de très grande valeur dont dispose actuellement la Russie, sont les forces de la République autonome de Tchétchènie, que son président Ramazan Kadyrov a envoyé pour remédier à la gabegie des autres unités russes.

Les soldats russes originaires de l’extrême ouest ou du nord-ouest de la Russie européenne se sont avérés aussi inaptes que leurs homologues occidentaux. Les soldats originaires des républiques autonomes de l’Extrême-Orient russe, d’origine mongole et iakoutienne, paraissaient totalement perdus sur le théâtre ukrainien.

Sinon comment expliquer que les forces russes buttent en touche à Kharkov, une ville frontalière avec la Russie? Kharkov est la seconde ville d’Ukraine, la mieux défendue du fait de sa proximité immédiate avec la Russie et le principal centre de concentration des forces “volontaires” étrangères qui préparaient la défense de la ville en cas de contre-attaque russe consécutive au projet d’offensive ukrainienne sur le Donbass, l’un des éléments ayant amené la Russie à agir préventivement. Cependant, l’incapacité des forces russes à contourner ce verrou frontalier après près de deux semaines d’opérations a suscité de très nombreuses questions sur l’efficacité de la machine de guerre russe.

Le Kremlin semble avoir pris conscience avec colère de cet état de fait. Des têtes sont tombées ou sont en instance de tomber car la conspiration du silence et du mensonge au sein des forces armées russes a fini par mettre en danger la survie même de la Russie. D’un point de vue historique, la Russie est toujours revenue de loin quand sa survie était menacée. Non sans de très lourdes pertes humaines et matérielles (+20 millions de morts entre 1941 et 1945).

Poutine n’aurait jamais ordonné une opération militaire spéciale en Ukraine s’il avait eu une évaluation réelle et non faussée de l’état de préparation des forces russes. La multiplication des manœuvres militaires lors des derniers mois a été ordonnée par le Kremlin et avait été passablement appréciée par le haut commandement militaire russe qui ne voyait pas d’un très bon œil ce surplus de travail.

C’est une des conséquences de la corruption minant de larges secteurs d’activité en Russie. La Russie n’a pas l’apanage de cette tare. La plupart des pays occidentaux sont minés par la corruption, le népotisme et la gabegie des ressources et aucun d’eux, États-Unis en tête, ne ferait mieux que la Russie si l’appareil de propagande ne présentait pas tout échec en succès. C’est ce qui manque cruellement à la Russie.

Le leadership russe voyait juste en ce qui concerne les enjeux géostratégiques et les cibles à atteindre, notamment les laboratoires biologiques du Pentagone en Ukraine, mais ne dispose pas des moyens de sa politique en raison de la corruption des élites et de la perpétuation de certaines pratiques héritées des ères précédentes.

L’ombre de l’ère Eltsine semble persister au sein des forces armées russes. Le leadership actuel russe vient de l’apprendre de manière brutale, d’autant plus qu’il fait face aux hyènes hurlantes et revenchardes à sa propre porte. C’est une dure leçon de ce qui ce passe actuellement en Ukraine, une ex-république soviétique qui a toujours été source de troubles majeurs.

Photographie d’illustration : des soldats russes bloqués dans un ascenseur dans un immeuble administratif ukrainien. Les militaires ne voulant pas prendre les escaliers, ils furent piégés par paresse.

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