Par Andrew Korybko − Le 24 février 2022 − Source OneWorld Press
La crise non-déclarée des missiles, provoquée en Europe par les États-Unis, est en pratique une version contemporaine de la crise des missiles de Cuba, avec une inversion des rôles. Il s’agit d’une vérité concrète et facilement vérifiable : cette crise de sécurité stratégique est la pire qui existe à ce jour dans le monde, au vu du fait qu’elle vient de se transformer en guerre chaude, alors que la précédente était restée une guerre froide… On peut espérer que l’Occident, États-Unis en tête, ne vont pas escalader cette crise à un niveau nucléaire ou menacer d’attaquer l’armée russe déployée en Ukraine ; faute de quoi l’horloge du scénario catastrophe pourrait finalement caler ses aiguilles sur l’horaire funeste de minuit.
Le président russe Vladimir Poutine a autorisé ce qu’il a dénommé une opération spéciale en Ukraine au cours des premières heures du 24 février (heure de Moscou) dans une allocution spéciale à la nation. Les objectifs qu’il a énoncés sont de démilitariser et dénazifier l’Ukraine, avec la remarque : « nous n’avons aucun projet d’occupation du territoire ukrainien« . Il a cité l’Article 51 de la charte des Nations Unies, qui a trait à l’auto-défense, pour justifier ses actions. Beaucoup d’éléments restent flous à ce stade, au vu du brouillard de guerre environnant ces actions, mais il semble que cette opération spéciale ait pour objectif de protéger de manière durable les lignes rouges de sécurité nationale que le président Poutine avait déjà consacré beaucoup de moyens à articuler.
Entre autres exemples les plus parlants de cela, on trouve sa « Réunion étendue du Conseil du Ministère de la Défense« du 21 décembre 2021. C’est à ce moment-là que le dirigeant russe avait réellement expliqué la nature existentielle de la menace posée à la Russie par la coopération militaro-stratégique adoptée par les autorités de l’Ukraine voisine, établies à l’issue du coup d’État avec les États-Unis et l’OTAN. Les minutes de cette réunion méritent d’être parcourues dans leur intégralité pour bien comprendre les intérêts de sécurité nationale qui sont ceux de la Russie, mais le présent article va en citer les extraits principaux, révélant les préoccupations de Moscou quant au fait que Washington s’emploie à éroder de manière graduelle ses capacités de seconde frappe nucléaire :
Il est extrêmement alarmant que des éléments du système de défense global étasunien soient en cours de déploiement près de la Russie. Les lanceurs Mk 41, positionnés en Roumanie et sur le point de l’être en Pologne, sont adaptés au lancement de missiles de frappe Tomahawk. Si cette infrastructure continue d’avancer, et si les systèmes de missiles étasuniens et otaniens sont déployés en Ukraine, leur temps de parcours jusque Moscou ne sera que de 7 à 10 minutes, voire cinq minutes pour des systèmes hypersoniques. Il s’agit d’un défi colossal pour notre sécurité.
Nous sommes ici en présence d’experts, je reste en contact permanent avec eux. Les États-Unis ne sont pas encore en possession d’armes hypersoniques, mais nous savons qu’ils vont en disposer. C’est une chose que l’on ne peut pas dissimuler. Des traces sont laissés, que les tests de ces systèmes aient des résultats positifs ou négatifs. Nous pouvons estimer à quel moment ils en disposeront. Ils livreront des armes hypersoniques à l’Ukraine, et les utiliseront en couverture — cela ne signifie pas qu’ils vont commencer à les utiliser demain, car nous disposons déjà de Tzircon et eux non — pour armer des extrémistes d’un État voisin, et les inciter à s’en prendre à certaines régions de la Fédération russe, comme la Crimée, lorsqu’ils considéreront les circonstances comme favorables.
Pensez-vous véritablement que nous ne voyons pas ces menaces ? Ou pensent-ils que nous allons simplement rester les bras ballants, en regardant ces menaces contre la Russie émerger ? C’est le problème : nous n’avons aucun endroit jusqu’où reculer. C’est la question.
Pour dire les choses simplement, l’objectif de la grande stratégie étasunienne est de neutraliser les capacités russes de seconde frappe par le déploiement régional de « systèmes anti-missiles » et des armes de frappe — dont un jour des missiles hypersoniques et cela peut-être en fin de compte jusqu’en Ukraine — afin de placer la Grande Puissance eurasiatique en position de chantage nucléaire. Le présent auteur a écrit le 24 janvier 2022 dans son article « La grande stratégie de l’État profond étasunien vis-à-vis de la Russie et de la Chine« que :
L’objectif à long terme que la faction de l’« État profond » anti-russe entretiendrait est de placer leur Grande Puissance cible en position de chantage nucléaire. Ils y parviendraient en remportant la course aux armements en cours, qui se déroule en Europe, ayant trait au déploiement en masse des diverses armes de frappe étasuniennes — y compris des armes hypersoniques — et en y ajoutant des armes défensives comme « des systèmes anti-missiles » aussi près que possible des frontières de la Russie.
L’objectif est de reprendre le contrôle de l’économie russe, pour la forcer à accepter des concessions unilatérales sans fin, afin de priver la Chine de ces ressources. Il s’agit évidemment à ce jour de fantasme politique, et il n’existe aucune raison crédible de s’attendre à voir un tel plan fonctionner d’une quelconque manière, même dans un avenir lointain, mais ce dessein vise néanmoins à expliquer les calculs de l’État profond anti-russe d’une manière aussi « rationnelle » que possible.
Si la Russie peut en fin de compte être transformée en État client de l’Occident, États-Unis en tête, on pourrait lui ordonner de rejoindre les mesures de « confinement » contre la Chine. On pourrait ainsi voir la Russie « étrangler » la République populaire, chose qui, dans les desseins de l’État profond étasunien, permettrait de lancer le même processus contre cette seconde Grande Puissance, après avoir réussi à dompter la première. L’objectif final, comme précédemment, serait de positionner leur cible en position de chantage nucléaire et économique.
Pour le lecteur qui n’en serait pas familier, l’auteur utilise le terme « État profond« pour désigner les administrations permanentes militaires, de renseignements et diplomatiques, qui existent bel et bien dans tout pays, qui sont pétries de factions décidant des politiques suivies par ces pays, et qui ne constituent en rien une « théorie du complot » comme certains l’affirment de manière ridicule. Deux jours avant, l’auteur avait publié un article « Démystifier l’Infox qui prétend que la Russie veut ‘Envahir’, ‘Occuper’ et ‘Annexer’ l’Ukraine« , au sein duquel il prédisait ce qui suit, qui s’est bel et bien produit au vu des développements dramatiques de ce jeudi matin :
Dans le scénario du pire, mettant en jeu un conflit conventionnel russo-ukrainien — déclenché soit par la Russie en défense de ses intérêts de sécurité nationale après que Kiev aura provoqué une troisième salve d’hostilités de Guerre Civile et/ou aura même attaqué les forces russes directement en franchissant la frontière — la Russie s’emploierait à « entrer, faire le travail, sortir » et non pas à « envahir », « occuper » et par la suite « annexer » l’Ukraine, en tout ou partie, pour les raisons expliquées précédemment. Tout ce que Moscou viserait à faire serait de neutraliser la menace militaire posée à ses lignes rouges, même si cela doit être mené d’une manière « stupeur & effroi », selon le scénario.
Les événements suggèrent bel et bien que la Russie applique en ce moment sa stratégie « stupeur & effroi » pour neutraliser les menaces imminentes et chaudes envers ses lignes rouges de sécurité nationale, en provenance d’Ukraine. Ces menaces ont été révélées en détail au cours de deux événements qui se sont produits lundi, la tenue télévisée du Conseil de Sécurité de la Russie, et l’allocution du président Poutine à la nation, dans la soirée, au cours de laquelle il a reconnu les Républiques du Donbass comme États indépendants.
Le premier événement a confirmé que les États-Unis et l’OTAN n’ont pas répondu de manière satisfaisante aux demandes de garanties de sécurité formulées par la Russie, qui leur demandait de s’engager légalement à : mettre fin à l’expansion de l’OTAN vers l’Est ; ne pas déployer d’armes de frappe aux abords des frontières russes ; et de revenir au statu quo militaire continental de l’Acte Fondateur russo-OTAN de 1997, désormais failli. Le second événement a vu le dirigeant russe révéler des informations détaillées au sujet des menaces en provenance d’Ukraine, constituées par les armées étasuniennes et de l’OTAN :
Au cours des années récentes, des contingents militaires de pays de l’OTAN ont été presque constamment présents sur le territoire ukrainien, sous prétexte d’exercices. Le système de contrôle des armées ukrainiennes a été intégré à l’OTAN. Cela signifie que le quartier général de l’OTAN peut envoyer des commandements directs aux forces armées ukrainiennes, jusqu’à leurs unités et escadrons individuels.
Les États-Unis et l’OTAN ont entamé un développement impudent, utilisant le territoire ukrainien comme théâtre de potentielles opérations militaires. Leurs exercices conjoints réguliers sont évidemment anti-russes. Au cours de la seule année passée, plus de 23 000 soldats et plus d’un millier d’unités matérielles ont été impliquées.
Une loi a déjà été adoptée, permettant aux soldats étrangers d’entrer en Ukraine en 2022, pour prendre part à des exercices multinationaux. Naturellement, il s’agit principalement de soldats de l’OTAN. Cette année, ce sont au moins dix exercices conjoints qui sont programmés.
De toute évidence, ces agissements sont conçus comme couverture pour une accumulation rapide du groupe militaire de l’OTAN sur le territoire ukrainien. Cela est d’autant plus vrai que le réseau d’aéroports, amélioré avec l’aide étasunienne à Borispol, Ivano-Frankovsk, Chuguyev et Odessa, pour en citer quelques-uns, est capable de transférer des unités de l’armée en un temps très réduit. L’espace aérien ukrainien est ouvert aux vols stratégiques étasuniens, ainsi qu’aux aéronefs et drones de reconnaissance opérant des missions de surveillance du territoire russe.
J’ajouterai que le Centre d’Opérations Maritimes, construit par les États-Unis à Ochakov rend possible le soutien d’activités de navires de guerre de l’OTAN, y compris l’utilisation d’armes de précision, contre la Flotte russe de la Mer Noire et contre nos infrastructures sur l’ensemble des côtes de la Mer Noire. …
Pour poursuivre, notablement, l’article 17 de la Constitution de l’Ukraine stipule que déployer des bases militaires étrangères sur son territoire est interdit. Cependant, il s’avère qu’il s’agit d’une formalité facilement contournée.
L’Ukraine est le foyer de missions d’entraînements de l’OTAN qui sont, dans la réalité, des bases militaires étrangères. Ils les ont appelées missions et le tour est joué.
Kiev a proclamé de longue date sa stratégie de ralliement à l’OTAN. De fait, tout pays a droit de choisir son propre système de sécurité et ses alliances militaires. Cela ne constituerait pas du tout un problème, s’il n’y avait pas un ‘mais’. Les documents internationaux stipulent expressément le principe de la sécurité égale et indivisible, qui comprend des obligations de ne pas renforcer sa propre sécurité aux dépens de celle d’autres États. Ce point est énoncé dans la Charte de 1999 de l’OSCE pour la Sécurité Européenne, adoptée à Istanbul et dans la déclaration de l’OSCE d’Astana de 2010.
En d’autres termes, le choix des trajectoires assurant la sécurité ne devrait pas constituer une menace envers d’autres États ; que l’Ukraine rejoigne l’OTAN constitue une menace directe pour la sécurité de la Russie. …
Qui plus est, nous sommes conscients de la position et des mots des dirigeants étasuniens, selon qui les hostilités actives dans l’Est de l’Ukraine ne portent pas ombrage à la possibilité que ce pays rejoigne l’OTAN s’il répond aux critères de l’OTAN et résout ses problèmes de corruption.
Et pendant tout ce temps, ils s’emploient de manière répétée à nous convaincre que l’OTAN est une alliance éprise de paix et purement défensive, qui ne constitue aucune menace envers la Russie. …
Par conséquent, l’Alliance et ses infrastructures militaires ont atteint les frontières de la Russie. Il s’agit de l’une des clés de la crise de sécurité européenne ; cela a eu l’impact le plus négatif sur l’ensemble du système de relations internationales, et a amené à la perte de la confiance mutuelle.
La situation continue de se dégrader, y compris en matière stratégique. Ainsi, des zones de positionnement pour des missiles d’interception sont en cours d’installation en Roumanie et en Pologne dans le cadre du projet étasunien visant à créer un système de défense global à base de missiles. Nul n’ignore que les lanceurs déployés là-bas peuvent être utilisés pour déclencher des missiles de croisière Tomahawk — des systèmes de frappe offensive.
En outre, les États-Unis développent leur Standard Missile-6 à usages multiples, qui peut assurer une défense aérienne et anti-missile, ainsi que frapper des cibles terrestres et en surface. En d’autres termes, le système de soi-disant défense étasunien se développe et acquiert de nouvelles capacités offensives.
Les informations dont nous disposons nous donnent de bonnes raisons de penser que l’accession de l’Ukraine à l’OTAN, et le déploiement qui s’ensuivra d’infrastructures de l’OTAN, ont déjà été décidés et ne constituent plus qu’une affaire de temps. Nous comprenons clairement qu’au vu de ce scénario, le niveau de menaces militaires posées à la Russie va croître de manière très importante, et se multiplier de plusieurs ordres. Et j’aimerais souligner le point que le risque d’une frappe soudaine contre notre pays va se multiplier.
Je vais expliquer que les documents étasuniens de planification stratégique confirment la possibilité de ce qu’ils appellent une frappe anticipée sur les systèmes de missiles ennemis. Nous savons également qui est l’adversaire principal aux yeux des États-Unis et de l’OTAN. Il s’agit de la Russie. L’OTAN documente officiellement notre pays comme principale menace à la sécurité Euro-Atlantique. L’Ukraine servira de tête de pont avancée à une telle frappe. …
De nombreux aérodromes ukrainiens se trouvent aux abords de nos frontières. L’aviation tactique de l’OTAN déployée sur ces sites, comprenant des porteurs d’armes de précision, sera en mesure de frapper notre territoire aussi profondément que la ligne Volgograd-Kazan-Samara-Astrakhan. Le déploiement de radars de reconnaissance sur le territoire ukrainien permettra à l’OTAN de contrôler étroitement l’espace aérien russe jusqu’à l’Oural. …
En fin de compte, après que les États-Unis ont détruit le traité FNI, le Pentagone s’est ouvertement mis à développer de nombreuses armes d’attaque à base terrestre, y compris des missiles balistiques en mesure de frapper des cibles à une distance se trouvant jusqu’à 5500 kilomètres. S’ils sont déployés en Ukraine, de tels systèmes seront en mesure de frapper des cibles en Russie sur l’ensemble de la zone européenne du territoire. Le temps de vol des missiles de croisière Tomahawk jusque Moscou sera inférieur à 35 minutes ; des missiles balistiques décollant depuis Kharkov auront un temps de vol compris entre sept et huit minutes ; et des armes d’attaque hypersoniques, quatre à cinq minutes. C’est comme un couteau sous la gorge. Je ne doute pas qu’ils espèrent mener à bien ces projets, comme ils l’ont fait à de multiples reprises par le passé, en étendant l’OTAN vers l’Est, en déplaçant leur infrastructure militaire vers les frontières russes et en ignorant totalement nos préoccupations, nos protestations et nos avertissements.
Les extraits qui précèdent peuvent se révéler très surprenants pour les lecteurs qui n’ont jusqu’ici pas eu accès à ces informations très importantes, du fait des manipulations de leurs médias, qui les laissent délibérément dans le noir au sujet des préoccupations légitimes de sécurité exprimées par la Russie vis-à-vis de l’Occident, États-Unis en tête, afin de bâtir des fausses représentations de la Grande Puissance eurasiatique, qui est la victime de ces opérations, comme un agresseur, en dépit du rôle objectivement tenu par leurs propres gouvernements. Les tentatives menées par Washington de mettre Moscou en position de chantage nucléaire sont directement responsables de cette crise de sécurité sans précédent. Les « fabricants de perception » de Washington auront œuvré à présenter la situation pour que chacun pense que la Russie est fautive, alors qu’elle ne l’est pas.
La reconnaissance par la Russie des Républiques du Donbass a constitué la tentative finale menée par Moscou d’amener l’Occident, États-Unis en tête, à prendre au sérieux ses demandes de garanties de sécurité. Cette démarche a échoué, les homologues occidentaux des Russes n’ayant jamais entretenu de désir sincère de négocier avec la Russie sur ces sujets, comme l’établit leur réponse diplomatique indifférente depuis que la Russie a dévoilé ses propositions à la fin du mois de décembre 2021. Avec littéralement « nulle part pour reculer », comme le président Poutine l’a exprimé lui-même de manière inoubliable durant la réunion précitée du 21 décembre, ce n’était par conséquent plus qu’affaire de temps avant de voir la Russie réagir, de la seule manière possible pouvant lui permettre de ne pas voir franchies ses lignes rouges de sécurité nationale en Ukraine.
Le scepticisme manifesté auparavant par l’auteur au sujet du déroulement d’un tel scénario avait fait suite aux informations publiques précédant ce qui a été révélé le 21 février 2022, durant la réunion télévisée du Conseil de Sécurité russe, et de l’allocution du président Poutine à la nation. Jusqu’à ce stade, il restait ambigu de savoir si les États-Unis et l’OTAN constituaient une menace imminente envers les lignes rouges de sécurité nationale précédemment tracées par la Russie. S’appuyant sur des sources publiques — parmi lesquelles les déclarations officielles — la détermination était que la menace n’était pas encore pleinement matérialisée au point de déclencher une réponse russe décisive, mais cette conclusion s’est avérée incorrecte, comme l’ont révélé les informations dévoilées par la suite lors de ces deux événements du 21 février.
Le président Poutine n’aurait pas autorisé l’opération spéciale menée par la Russie en Ukraine si ses renseignements n’avaient pas été absolument certains du fait que ces menaces précédemment évoquées n’étaient pas réellement imminentes, ou peut-être même sur le point de se concrétiser. L’Occident, États-Unis en tête, a refusé de prendre en compte sérieusement les propositions russes de garanties de sécurités, pensées pour revoir l’architecture de sécurité européenne d’une manière qui aurait fini par déboucher sur une sécurité indivisible pour tous, conformément aux principes énoncés par l’OSCE. Cet objectif désiré aurait empêché qu’un pays mène des actions sous prétexte d’assurer sa sécurité, aux dépens d’un autre pays, comme les États-Unis ont procédé à l’encontre de la Russie au cours des trois décennies passées.
Rétrospectivement, cela a constitué la dernière chance de paix, mais l’Occident, États-Unis en tête, l’a ignorée avec arrogance, en s’imaginant peut-être à tort que la Russie « bluffait » et n’agirait pas exactement comme toute autre Grande Puissance disposant d’un respect de soi, en n’ayant littéralement « nulle part pour reculer », après avoir apaisé la même alliance militaire dont la raison d’être est le confinement de son pays. Cela a constitué la plus grande erreur de calcul stratégique jamais observée : elle a amené la Russie à défendre ses lignes rouges de sécurité nationale alors qu’elles risquent d’être franchies en Ukraine. La crise de missiles provoquée par les États-Unis en Europe constitue en pratique une version contemporaine de la crise des missiles de Cuba, qui voit les rôles inversés.
Il s’agit de la vérité objective et facilement vérifiable de ce qui constitue la crise de sécurité stratégique la pire de l’histoire, au vu du fait que celle-ci est désormais transformée en « guerre chaude », alors que la précédente avait pu rester au stade de la guerre froide. Tout ceci aurait pu être évité si l’Occident, États-Unis en tête, avait simplement respecté les demandes légitimes russes de garanties de sécurité. L’Occident a refusé de manière inexplicable et a ainsi amené la Russie à assurer de manière décisive l’intégrité de ses lignes rouges, en lançant la campagne « stupeur & effroi » en Ukraine, qui vise à résoudre la crise des missiles en Europe provoquée de manière irresponsable par les États-Unis eux-mêmes. À cette fin, Moscou pourrait également tenter d’encourager des changements politiques à Kiev.
L’auteur avait émis l’avertissement, en début de semaine, que « La fin du mini-Empire de Lénine en Ukraine est proche« , suite à la reconnaissance par la Russie des Républiques du Donbass, qui pourrait à son tour inspirer d’autres minorités persécutées dans ce pays — y compris d’autres membres de la population russe sur place — à se lever en résistance aux autorités (fascistes-)« nationalistes« mises en places par le coup d’État soutenu par les États-Unis. Un tel scénario pourrait déboucher sur une décentralisation profonde de l’Ukraine, vers un statut de fédération de régions dont le gouvernement central accepterait de lever l’objectif enchâssé dans la Constitution de rejoindre l’OTAN et de finir par reconnaître la réunification démocratique de la Crimée à la Russie en 2014. Un tel débouché pourrait rapidement améliorer les liens avec la Russie.
Au fil de la campagne « stupeur & effroi », le monde ferait bien de se souvenir des raisons légitimes d’auto-défense avancées par Moscou pour mener cette guerre, en accord avec l’article 51 de la Charte de l’ONU. On va trouver de nombreux « fabricants de perception » essayant par tous moyens de présenter les événements de manière à dépeindre faussement la Russie comme l’agresseur, mais ces gens ne feront que répéter en boucle le récit de guerre de l’information ourdi par le gouvernement étasunien, qui ne tient pas la route lorsque l’on prend la peine de prendre connaissance des discours de Poutine cités ci-avant. On peut espérer que l’Occident, États-Unis en tête, ne va pas escalader le conflit vers une dimension nucléaire, ou menacer d’attaquer l’armée russe en Ukraine, faute de quoi les aiguilles de l’horloge du scénario catastrophe pourraient finir par atteindre l’heure funeste de minuit.
Andrew Korybko est un analyste politique étasunien, établi à Moscou, spécialisé dans les relations entre la stratégie étasunienne en Afrique et en Eurasie, les nouvelles Routes de la soie chinoises, et la Guerre hybride.
Traduit par José Martí pour le Saker Francophone
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