L’Europe, entrainée par les États Unis, ne ferait-elle pas preuve d’un aveuglement suicidaire au sujet de l’Ukraine ?
A-t-elle vraiment pris la mesure de la situation et des données réelles de la crise ? Il y a d’un côté la Russie qui ne peut accepter qu’il y ait des forces de frappe nucléaire de l’OTAN à quelques encablures de Moscou et contre l’attaque desquelles elle ne pourrait même pas avoir le temps de réagir et pour qui, donc, la situation est vitale au sens strict du terme. Et il y a de l’autre une Europe qui raisonne comme s’il s’agissait au plus d’une guerre qui sera limitée entre l’Ukraine et la Russie. L’analyse qui y domine, dans les médias « mainstream », est « qu’il s’agit d’une partie de poker menteur, d’un coup de bluff de la Russie » qui » finira bien » par reculer de peur des sanctions draconiennes annoncées et d’un rapport de forces, pense-t-on, écrasant, économique et militaire en faveur des États-Uni . Or si c’est le cas, bien que ce soit discutable aujourd’hui vu l’évolution du monde, il y a un élément qui semble sous-estimé par l’Occident : il ne faut jamais acculer un adversaire à se battre pour sa survie car on décuple ses forces et sa détermination.
Être ou ne pas être
Or l’Europe, derrière les États-Unis, ne semble pas mesurer que, pour la Russie, c’est réellement une question de survie, une question d’existence, la question d’ » être ou ne pas être ». C’est ce que le président Poutine répète sans arrêt à l’Occident, qui a l’air de ne pas entendre ou de ne pas comprendre. Au Président Macron, le Président Poutine a dit dernièrement que « ce serait une guerre où il n’y aurait pas de vainqueur », ce qui est dire clairement que dans un tel contexte, cette guerre ne pouvait être que nucléaire. C’est toute l’Humanité qui se trouve alors concernée. La sous-estimation de la situation, la désinvolture même de l’Occident dans sa façon de traiter la question auprès de son opinion sont terrifiantes. Les États Unis, et les puissances nucléaires européennes, savent bien pourtant qu’ils n’accepteraient pas la pareille, c’est-à-dire des fusées nucléaires russes directement à leurs frontières. Le précédent de la crise des missiles de Cuba en 1962, ou même leur attitude actuelle sur le nucléaire iranien le prouvent.
Les États Unis annoncent chaque jour que la Russie va, d’un moment à l’autre, envahir l’Ukraine. Rien ne se passe. Quand on leur demande la source de leurs informations, ils disent « qu’il faut les croire sur parole ». Comme sur les armes de destruction massive en Irak, n’est-ce pas ? Les médias européens leur emboitent le pas, amplifient des nouvelles qu’ils savent pourtant fausses comme le prouve chaque fois le journal du lendemain. Les dirigeants ukrainiens eux-mêmes demandent du calme, de ne pas créer la panique, dénoncent la dramatisation de la situation. Rien n’y fait. À quoi joue-t-on à jouer ainsi avec le feu ?
Les Ukrainiens ne sont-ils pas en ce moment manipulés, poussés à la confrontation. Qu’y gagneraient-ils ? Ils en seraient les premières victimes. Mais pas l’Europe qui les pousse par derrière à l’affrontement et encore moins les États Unis qui se trouvent bien loin. Le cynisme est d’ailleurs tel que les États Unis, et après eux les européens, prennent soin de préciser qu’ils ne rentreraient pas en guerre aux côtés de l’Ukraine mais qu’ils prendraient des « sanctions dévastatrices » contre la Russie. On ne ferait pas mieux si on voulait pousser les Russes à envahir l’Ukraine tout en comptant sur des sanctions économiques pour l’affaiblir durablement pour de longues années.
Le principe de souveraineté
Et pourtant, la solution est là bien simple, elle crève les yeux. Une Ukraine sans appartenance à l’OTAN, sans armes de destruction massives des États-Unis dirigées contre la Russie. Que gagnerait l’Ukraine, à être dans l’OTAN ? Rien. Strictement rien. L’Ukraine serait-elle plus souveraine, plus indépendante, plus…heureuse dans l’OTAN ? Le dire c’est déjà montrer l’absurdité, l’incongruité d’une telle interrogation. Le Général De Gaulle avait voulu faire sortir la France de l’OTAN précisément pour des raisons d’indépendance et de souveraineté. Des pays européens comme la Suède, la Finlande, l’Autriche, la Suisse etc.. sont-ils moins souverains de ne pas faire partie de l’OTAN ?
Or c’est justement au nom du principe de souveraineté, que les occidentaux défendent « le droit de l’Ukraine à faire partie de l’OTAN si elle le veut » disent-ils. La liberté ne s’arrête-elle pas là où commence celle de l’autre. Ce serait donc au nom de cette liberté, à laquelle la poussent ses « nouveaux amis » que l’Ukraine mettrait en danger, elle, bien plus que la liberté de son voisin russe, mais la vie, l’existence même de celui-ci. L’ intérêt évident de l’Ukraine est de vivre en bon voisinage, en paix avec la Russie, pour le bonheur et le progrès des ukrainiens. Ce bon voisinage existe d’ailleurs depuis la nuit des temps, imposé par la géographie et la culture. Ceux qui la poussent ainsi à rompre avec son histoire millénaire, à tourner le dos à ses intérêts nationaux profonds, n’en feront pas eux les frais.
Une solution à portée de main
Il reste cependant la question des régions russophiles séparatistes ou tentées par la séparation. On peut raisonnablement penser que si la question de l’OTAN est réglée, il sera certainement beaucoup plus facile de régler ces questions entre l’Ukraine et la Russie. Certes il ne faut pas exclure des tendances au chauvinisme et à l’esprit de grande puissance chez la Russie. D’autre part, la Russie est certainement loin d’être dans une situation où une vie démocratique enracinée peut permettre l’intervention régulatrice de l’opinion. Mais ces problèmes, intégration à l’OTAN, tensions séparatistes, et même démocratie, sont à distinguer et à séparer soigneusement si on veut la solution de la crise, alors que toute la propagande occidentale actuelle tend à les mélanger, à compliquer la question, et à déboussoler ainsi l’opinion.
La solution semble donc à portée de main. Pourquoi lui tourne-t-on le dos ? Pourquoi laisse-t-on délibérément les évènements risquer à chaque instant de déraper, de prendre un tour dangereux pour la paix mondiale ? On a peine à comprendre les mécanismes de raisonnement et les motivations profondes des États-Unis et de leurs alliés.
Je parlais au départ d’un aveuglement. Or l’esprit de domination produit toujours, à un moment ou un autre, un aveuglement historique. C’est l’histoire de tous les empires. Et c’est encore plus vrai, lorsque le dominant se met à craindre pour sa domination et qu’il s’aperçoit qu’elle est sur le déclin. N’est-ce pas le cas actuellement pour l’Occident ? La montée en puissance irréversible de la Chine, l’alliance entre la puissance économique de la Chine et la technologie militaire et la puissance énergétiques russes, la jonction entre ces deux puissances créent un nouveau rapport de force mondial. Ce changement historique, ce déclin annoncé de la domination occidentale sans partage sur le monde peut être vécu « comme une fin du monde ». Il peut être à l’origine, en Occident, de réactions irrationnelles, et de chauvinisme extrême, de théories complotistes et même de réactions de panique, comme on le voit actuellement dans bien des pays occidentaux, en premier lieu aux États-Unis, mais aussi en France avec les théories du « grand déclassement » et du « grand remplacement ». Les nouvelles réalités du monde sont refusées. Tout cela est lourd de dangers.
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