Un État « sentinelle » américain au point d’étranglement de Bab-el-Mandab, qui perturbe la route de la soie maritime de la Chine.
Par Alastair Crooke – Le 30 janvier 2022 – Source Al Mayadeen
Les États-Unis sont au moins clairs, maintenant, sur leur stratégie globale : il s’agit de barricader la Chine et la Russie à l’intérieur des frontières de leurs propres territoires et de les contenir par la mise en place de chaînes ininterrompues d’« États sentinelles » afin de contenir les deux pays sur tous les fronts et de paralyser potentiellement leur économie en cas de crise future.
Les États-Unis sont au moins clairs, maintenant, sur leur stratégie globale : il s’agit de barricader la Chine et la Russie à l’intérieur des frontières de leurs propres territoires et de les contenir par la mise en place de chaînes ininterrompues d’« États sentinelles » afin de contenir les deux pays sur tous les fronts et de paralyser potentiellement leur économie en cas de crise future.En outre, la situation en Ukraine et à Taïwan est présentée comme une analogie du mythe selon lequel l’Afghanistan était le bourbier dans lequel les États-Unis avaient enfoncé l’Union soviétique. C’est un mythe – j’étais là à l’époque. L’URSS a plié sous le poids de ses contradictions inhérentes. Elle n’a pas été vaincue en Afghanistan.
Mais peu importe ; le mythe est devenu un dogme et renaît aujourd’hui avec l’Ukraine et Taïwan qui constituent à la fois des moyens de pression permanents et des pôles dédiés à la guerre de l’information autour desquels les États-Unis peuvent mobiliser et retourner l’opinion mondiale de manière décisive contre la Chine et la Russie.
Le texte de la National Defense Authorisation Act 2022 des États-Unis est très clair à ce sujet. Il prévoit un plan global pour freiner la montée en puissance de la Chine, visant ainsi à assurer la suprématie permanente de l’Amérique. Avec la transformation de Taïwan en un allié militaire de facto des États-Unis, il ne pourrait y avoir d’attaque plus directe contre la position fondamentale de la Chine, à savoir que, tôt ou tard, l’île doit accepter de renouer pacifiquement avec le continent, ou faire face à une action militaire.
Ce qu’il faut retenir, c’est que l’« encerclement » et l’« endiguement » sont effectivement devenus le méta objectif de l’administration Biden – et ont été consolidés – dans la première étape de cette méta-doctrine actuellement mise en œuvre via la Russie (en tant que première étape de l’ère Biden sur la voie définie dans la NDAA 2022). La notion d’endiguement remonte bien sûr à la période qui a suivi la Seconde Guerre mondiale, mais elle se déploie aujourd’hui de manière inattendue, ce qui reflète le début d’une nouvelle « guerre ».
Il ne s’agit pas tant d’une nouvelle itération de la Guerre froide que du début de la « guerre » de l’axe Russie-Chine-Iran visant à faire voler en éclats son « endiguement et son encerclement ». La Russie a effectivement lancé cette guerre en publiant un projet de Traité exigeant que l’OTAN fasse ses valises et abandonne son empiétement du Heartland de l’Asie. Ces deux documents publiés par Moscou représentent un défi stratégique réfléchi et coordonné à l’ordre mondial imposé par les États-Unis.
Paradoxalement, cependant, parmi les premiers signes visibles de cette guerre nouvellement lancée « pour faire exploser l’encerclement », un est survenu dans le cadre improbable des Émirats arabes unis, avec l’attaque de missiles et de drones du 17 janvier sur Abu Dhabi – une attaque revendiquée par Ansar Allah. Cet événement, entre autres, est directement lié à la « guerre » plus vaste menée par ces trois États ciblés 1 pour briser l’encerclement américain.
En ce qui concerne l’endiguement maritime – et la ligne d’approvisionnement énergétique – de l’axe Chine-Russie, il existe trois principaux points d’étranglement mondiaux qui pourraient servir à paralyser et à perturber l’économie eurasienne, s’ils sont contrôlés et bloqués par les États-Unis et leurs alliés. Il s’agit du détroit de Malacca, qui n’a qu’une largeur de 1,5 mille marin à son point le plus étroit, du détroit d’Hormuz (également très étroit) et du détroit de Bab-el-Mandab, qui se trouve entre le Yémen et la Corne de l’Afrique.
Il est clair que l’une des principales vulnérabilités à la prospérité économique de l’Eurasie dans les années à venir réside dans la Route de la soie maritime de la Chine, une route maritime qui pivote inévitablement autour de la Corne de l’Afrique et de son point d’étranglement, le détroit de Bab-el-Mandab, au large des côtes du Yémen.
La géographie du sud du Yémen offre donc aux États-Unis un lieu privilégié par lequel ils peuvent « contenir » et refuser à la Chine sa Route de la soie maritime en temps de crise.
Dans ce contexte, les Émirats arabes unis sont le pendant stratégique au Moyen-Orient de « Taïwan », qui est le « point d’ancrage » sécuritaire des États-Unis dans le Pacifique d’une succession de positions « sentinelles » fortes. Les EAU deviennent plutôt le point d’ancrage géographique pour les ports et les îles « sentinelles » donnant sur l’océan Indien, la mer d’Oman, la mer Rouge, la Corne de l’Afrique et le détroit de Bab-el-Mandab (tous actuellement contrôlés par les Émirats arabes unis).
L’importance stratégique accrue des EAU pour « Israël » et les États-Unis découle donc presque entièrement du fait qu’ils ont utilisé de manière flagrante la guerre du Yémen comme une occasion de se donner un rôle surdimensionné, en s’emparant de la « garde » du détroit reliant la mer Rouge au golfe d’Aden.
Ainsi, le port d’Aden, le détroit de Bab-el-Mandab et l’île de Socotra représentent un élément vital de la guerre froide entre la Chine et les États-Unis. L’allié arabe qui peut contrôler ce détroit essentiel donnera aux États-Unis un moyen de pression pour mettre en péril la Route de la soie maritime de la Chine – ce qui, dans certains cercles de Washington, est considéré comme une justification du soutien américain au conflit en cours au Yémen.
Nous notons que la crainte des États-Unis et d’« Israël » de voir Ansar Allah s’emparer de la ville de Marib et de la province était suffisamment forte pour inciter les Américains à forcer les Émirats arabes unis à reconsidérer leur « stratégie de sortie » de la guerre au Yémen et à se réengager précisément pour empêcher la chute de Marib, avec la perspective de voir d’autres dominos stratégiques tomber entre les mains d’Ansar Allah, jusqu’à Bab-el-Mandab.
D’où l’attaque de drones des Houthis contre les Émirats arabes unis, signalant qu’ils n’ont pas l’intention de céder des points d’étranglement maritimes aussi vitaux.
Ansar Allah met les Émirats arabes unis face à un choix amer : des frappes sur ses villes ou l’abandon de l’atout stratégique que constituent Bab-el-Mandab et ses environs. L’Iran et la Chine suivront de près l’issue de cette initiative d’encerclement.
Ceux qui se demandent pourquoi la guerre au Yémen ne se termine pas ont leur réponse : la guerre au Yémen est devenue un élément stratégique pour paralyser la stratégie d’encerclement des États-Unis.
Alastair Crooke
Traduit par Zineb, relu par Wayan, pour le Saker Francophone
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