L’auteur est co-coordonnateur du Regroupement Des Universitaires
Le 22 décembre dernier, le ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MELCC) annonçait dans la Gazette du Québec qu’il allait modifier le Règlement sur l’assainissement de l’atmosphère en multipliant la norme journalière de nickel par cinq, passant ainsi de 14 à 70 ng/m3, pour autant que la moyenne annuelle ne dépasse pas les 20 ng/m3. Selon ce qui a été annoncé sur le site du MELCC, ce changement vise à « obtenir une solution optimale sur les plans de la protection de la santé publique, de l’environnement et du développement économique ».
À la lecture de la Revue toxicologique publiée sur le site du MELCC, on peut légitimement se demander si le ministère a délibérément choisi de ne pas considérer le cas particulier du transbordement de minerai de nickel au port de Québec pour établir la nouvelle norme.
Plusieurs formes de nickel
Avant d’aborder cette question, il est important de souligner que le nickel dans l’air peut se présenter sous plusieurs formes. Outre sa forme métallique, il est présent sous forme de sels solubles, d’oxydes et de sulfures peu solubles. Concernant la toxicité des formes inhalables de nickel, la Revue toxicologique parle principalement des trois formes étudiées par le National Toxicity Program (NTP), un organisme gouvernemental américain voué à l’étude toxicologique de substances de toutes sortes. Le NTP a publié trois études (1996a, 1996b, 1996c) sur lesquelles se sont entre autres basés l’Union européenne (UE), la Environmental Protection Agency américaine (EPA) et le MELCC pour établir leurs normes. La première porte sur l’oxyde de nickel, la seconde sur le sous-sulfure de nickel et la troisième, sur le sulfate de nickel. Règle générale, lorsqu’il y a du nickel émis dans l’air à cause d’activités humaines, c’est normalement dû à la combustion de matières qui en contiennent; le nickel présent dans les produits de combustion contiendra donc principalement des sulfates et des oxydes de nickel.
Le sulfate de nickel est un sel soluble dans l’eau, lorsqu’il est inhalé, il peut avoir des effets irritants et causer des problèmes respiratoires. Comme le sulfate de nickel et les autres formes de nickel soluble composent une bonne part des émissions humaines, c’est sur la toxicité de ce composé que les différentes juridictions ont choisi de baser leurs normes.
Les oxydes de nickel sont peu solubles dans l’eau. Ils sont moins courants que les formes solubles et sont considérés comme cancérigènes par le Centre international de Recherche sur le Cancer (CIRC).
Le sous-sulfure de nickel est lui aussi cancérigène. Il provient des raffineries de nickel et est, en général, plus rare. Plusieurs organismes dont l’EPA, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et le Centre d’étude sur l’Évaluation de la Protection dans le domaine Nucléaire (CEPN, France) (p.143) ont établi que des doses de l’ordre de 2 à 4 ng/m3, à l‘échelle d’une vie, équivalent à un risque de cancer de un sur un million. Il n’existe malheureusement pas d’études aussi poussées pour les autres sulfures de nickel. Le CIRC estime toutefois qu’il existe assez de preuves pour conclure que ces composés sont cancérigènes (p.144).
L’établissement des normes
En se basant sur le fait que le sous-sulfure de nickel est peu présent, l’UE, les États-Unis et de nombreuses autres juridictions ont donc établi leurs normes en se basant sur la toxicité non cancérigène du sulfate de nickel. Dans la plupart des situations, une concentration de nickel de 20 ng/m3 semble tout à fait acceptable si on est exposé à un mélange de sulfates et d’oxydes de nickel. La fiche technique, également disponible sur le site du MELCC, cite d’ailleurs un rapport texan à l’effet qu’une telle concentration équivaut à un risque de trois cas d’effets chroniques pour un million. Notons toutefois que ce document mentionne explicitement qu’il n’y a aucune mine ni raffinerie de nickel dans l’État et qu’il n’y a que peu de nickel sous forme de sulfure émis sur son territoire.
Le Revue toxicologique reprend donc essentiellement les mêmes arguments que ceux avancés par les autres juridictions: « il semblerait qu’une valeur limite en moyenne annuelle, applicable à toutes les formes de nickel, c’est-à-dire au nickel et ses composés, et établie sur la base de l’étude chronique du NTP sur le sulfate de nickel serait à considérer pour la révision de la norme du nickel et ses composés dans l’air ambiant au Québec. » (p.79).
Le cas de Limoilou
Or, si la population du Québec est, de manière générale, exposée à des formes solubles s’apparentant à du sulfate de nickel, c’est loin d’être le cas pour les citoyens demeurant dans Limoilou. Il a été démontré dans le rapport « Origine des concentrations élevées de nickel dans l’air ambiant à Limoilou » que les particules contenant du nickel dans Limoilou sont principalement des particules de pentlandite (p.17), un minéral de la famille des sulfures de nickel dont plusieurs membres sont cancérigènes. Il est d’ailleurs plutôt étonnant que l’équipe ayant rédigé la Revue toxicologique, pourtant issue d’une université québécoise, ait omis d’inclure dans sa bibliographie ce rapport du gouvernement, tout en prenant la peine de citer les rapports d’autres juridictions (p.60-61) qui mentionnent que les sulfates et les oxydes constituent de loin la plus grande part du nickel présent dans l’air ambiant.
Pour des normes adaptées
À la lumière de ces faits, il semble évident que les arguments scientifiques avancés pour justifier la modification du Règlement sur l’assainissement de l’atmosphère comportent un flagrant biais méthodologique. Si la santé publique est une véritable préoccupation pour le gouvernement, celui-ci devrait se baser sur des données scientifiques qui reflètent la problématique locale. Si les poussières de nickel dans Limoilou sont bel et bien sans danger pour la population, il appartient au gouvernement d’en faire la preuve, et la Revue toxicologique n’apporte aucun éclaircissement quant au risque réellement encouru par la population.
À défaut, il revient à l’industrie de revoir ses pratiques et de réduire ses émissions polluantes afin de respecter les normes, et non au gouvernement d’augmenter les normes pour satisfaire l’industrie et, ainsi, mettre en péril la santé des populations.
Notes
(1) Vidéo produite par le Regroupement Vigilance Mines Abitibi-Témiscamingue et partagée par la Coalition Pour que le Québec ait Meilleure MINE (2:06)
(2) Attention aux avis d’experts qui, comme Michèle Bouchard (qui détient une Chaire d’analyse et de gestion des risques toxicologiques financée par RioTinto, Noranda et EuroMetaux), se prononcent publiquement en faveur de l’allègement des normes de nickel (Politique municipale avec Louise Boisvert) et qui ne sont pas libres de conflits d’intérêts. Cet enjeu requiert des avis d’experts indépendants de l’industrie et de la transparence.
Source: Lire l'article complet de L'aut'journal