Lire Félix-Antoine Savard, c’est approfondir nos racines, mieux comprendre le combat de nos ancêtres. Leur combat de la foi et leur combat pour mener une vie plus libre.
Lire Félix-Antoine Savard, c’est plonger dans une œuvre d’une grande poésie et nous laisser transformer par elle. Ses mots nous changent, nous attirent vers le haut.
Lire Félix-Antoine Savard, c’est nous régaler de son legs d’une richesse inouïe.
Ancien professeur et doyen de la Faculté des lettres à l’Université Laval, Savard (1896-1982) maniait la langue française et les régionalismes québécois pour les faire chanter, et aussi pour dire la vie, à la fois dure et riche, menée par nos aïeux : la vie des travailleurs saisonniers ponctuée de souffrance physique et traversée par une quête profonde de sens.
Né à Québec puis déménagé à Chicoutimi pour suivre sa formation classique au Grand Séminaire, Savard est ordonné prêtre à la mi-vingtaine. Il manifeste un gout précoce pour l’enseignement, mais son ministère l’emmènera en plein cœur de plusieurs régions éloignées, où il deviendra curé de campagne. Vicaire notamment à La Malbaie, et plus tard curé fondateur de Clermont, puis envoyé en mission en Abitibi, Savard sera immergé dans un monde où la vie et le travail sont synonymes de hardiesse. Il en demeurera profondément marqué.
Son célèbre roman Menaud, maître-draveur naitra justement après que Savard a vu, de ses propres yeux, la misère quotidienne vécue par ses paroissiens, qui étaient pour la plupart des travailleurs saisonniers. Considéré comme un classique du roman canadien-français traditionnel, Menaud n’a d’ailleurs pas fini d’ébranler l’imaginaire québécois.
Le cri de nos aïeux
Alors que, d’un côté, de grandes compagnies anglaises s’appropriaient le commerce du bois, au Lac-Saint-Jean notamment, et que, de l’autre côté, des gens d’ici risquaient leur vie deux fois plutôt qu’une au travail, le moral des troupes canadiennes-françaises était à son plus bas. Menaud, maître-draveur, publié en 1937, permet à tout un peuple de s’identifier dans la quête de justice de son protagoniste. Il lève un étendard important pour se défendre contre la dépossession de la « Montagne », contre la dépossession de notre pays : « Nous sommes venus il y a trois cents ans et nous sommes restés […]. Autour de nous, des étrangers sont venus qu’il nous plait d’appeler des barbares ! Ils ont acquis presque tout l’argent… » (Louis Hémon, Maria Chapdelaine).
Ce sont d’ailleurs ces paroles de Louis Hémon qui réveilleront Menaud au début du récit et qui retentiront tout au long de celui-ci, comme des tintements réguliers qu’on ne peut plus faire taire. Avec son lyrisme criant et son aspect tragique, Menaud éveille les consciences. Comment taire l’engloutissement de Joson, le fils de Menaud, dans la rivière, comment ne pas enrager après avoir été témoin d’un spectacle aussi odieux ?
« Joson, sur la queue de l’embâcle, était emporté, là-bas…
Il n’avait pu sauter à temps.
Menaud se leva. Devant lui hurlait la rivière en bête qui veut tuer.
Mais il ne put qu’étreindre du regard l’enfant qui s’en allait, contre lequel tout se dressait haineusement, comme des loups quand ils cernent le chevreuil enneigé. » (Savard, Menaud, maître-draveur)
Si Menaud sombre dans la folie à la suite de l’accident qui s’est avéré fatal pour son fils, il aura tout de même transmis à sa fille et à son fils spirituel, Le Lucon, sa mission, son devoir de résistance devant la dépossession de leur terre.
Malgré toutes les injustices vécues par les différents protagonistes à qui Savard a donné vie dans son œuvre, on y voit toujours poindre une lueur, une Espérance. Celle-ci se matérialise notamment dans la nature, la beauté des terres et particulièrement en Charlevoix, une région à laquelle Savard est resté profondément attaché.
Mais voici qu’au pied
Des côtes de Misère,
Un timide soleil
Griffonne un brouillon
De printemps. (Savard, Aux marges du silence)
Même si Misère renvoie ici à un rang des Éboulements, c’est tout le jeu du poète qui se trame dans cet extrait du recueil Aux marges du silence, publié en 1975. La réalité misérable qui se fait éclairer par le « timide soleil » de printemps. Mais d’où vient-elle cette lumière, au juste ?
De la justice
Cette lumière, on la voit plus aisément dans le second roman de Savard, La Minuit. Dans cette histoire des plus touchantes, un doute profond quant à la justice divine habite le personnage principal, Geneviève. Pourquoi vit-on si pauvrement à Saint-Basque ? Un déserteur du vallon, Corneau, est venu brouiller la paix qui régnait dans l’esprit de ses compatriotes : « Et, tout naïvement, Geneviève écoutait cela : l’évocation des villes splendides, sises par-delà ce bois qu’elle n’avait jamais dépassé ; l’appel de ces royaumes qui brillaient la nuit plus que tous les astres ensemble. »
Plus qu’un manifeste social, La Minuit pose de grandes questions existentielles : Dieu est-il vraiment « toujours là » ? Remplie de réalisme et de poésie, cette œuvre de Savard se lit lentement. Plonger dans La Minuit, c’est écouter les plus profondes questions surgir de son âme.
Cet article est d’abord paru dans notre numéro spécial automne 2021. Cliquez sur cette bannière pour y accéder en format Web.
Dans ce roman, Savard nous montre, et ce, toujours sans moralisme, quelles sont les conséquences des doutes qui nous habitent quant à l’existence de Dieu. Ces doutes naissent insidieusement chez Geneviève, qui porte de grandes croix : être injustement payée, mener une vie terrestre bien austère et, surtout, savoir son époux et son fils en danger par leur travail physique si rude.
Malgré les doutes et la confusion qui l’habitent, Geneviève mène le bon combat : celui de la foi. Et devant la mort, elle voit le Christ qui est toujours là : « Et le Verbe s’est fait chair, et il habité parmi nous… » (Jn 1,14).
C’est grâce à la « Minuit », c’est-à-dire la grande nuit de Noël, que l’homme peut enfin espérer que cette vie matérielle soit illuminée et transformée réellement.
La valeur du travail
Malgré les rudesses du travail saisonnier que son œuvre met en lumière, Savard donne également une grande valeur au travail physique et manuel. Ses poèmes font souvent parler les artisans :
Le Forgeron :
« Viens dans ma boutique,
et je te montrerai
ce que veut dire
le mot Travail. »
(Savard, Aux marges du silence)
Savard redonne à plusieurs métiers, aujourd’hui délaissés et méconnus, leurs lettres de noblesse. Alors que lui-même était un intellectuel et un littéraire féru de poésie, son œuvre n’a pas été écrite pour une élite universitaire. Elle s’adresse à chacun de nous, peu importe notre niveau d’instruction. Dommage qu’elle soit pourtant si peu mise entre les mains des jeunes écoliers.
Elle est pourtant en elle-même une des plus grandes leçons d’histoire québécoise. Elle valorise le courage des hommes et des femmes qui mettent la main à la pâte sur nos terres depuis des siècles pour que cette nation existe et survive.
Bien plus, l’œuvre de Savard nous permet de nous identifier aux crises et au découragement vécus par ses protagonistes. Certes, la vie humaine peut être traversée par de grandes croix, mais notre vie terrestre est en vue d’une autre, à laquelle Savard nous oblige d’espérer.
« Les gens de Saint-Basque continuaient d’entrer. Ils répondaient avec les autres, puis sortaient, chuchotaient entre eux :
– C’est de malheur, Gabriel ne sera pas de la Minuit.
– Il va en avoir une plus belle que la nôtre… » (Savard, La Minuit)
Si dans son roman La Minuit, injustement méconnu, Savard nous aide à plonger dans notre réalité, il nous pousse aussi, avec sa poésie, à nous unir aux prières de Geneviève :
« Geneviève était debout au milieu de tout ce mouvement. Les gens entraient, s’informaient, jetaient un regard de compassion.
Ce Noël, il était bien loin de celui qu’elle avait prévu. Tout de même, les pieux sentiments qui s’exprimaient tout autour, et les cantiques qui volaient dans Saint-Basque, faisaient une rumeur d’espoir. De temps en temps, elle levait les yeux, ses beaux yeux d’autrefois, vers le Christ comme vers Celui qu’elle ne devrait plus jamais abandonner. » (Ibid.)
La Minuit nous rend témoins de cette conversion chez Geneviève, de ce changement radical dans sa façon de voir sa réalité. Le tragique et la défaite prennent une tout autre dimension.
Alors oui, lire Félix-Antoine Savard, c’est suivre une leçon de courage.
Lire Félix-Antoine Savard, c’est être sublimé par le meilleur que peut nous offrir la littérature.
Lire Félix-Antoine Savard, c’est découvrir notre héritage canadien-français, comprendre la sève qui coulait dans les veines de nos ancêtres et en être profondément fier.
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Source : Lire l'article complet par Le Verbe
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