Par l’entremise de la revue Veritas Acadie, une publication de la Société internationale Veritas Acadie (chouetteacadienne.siva@gmail.com). Traduction de Jean-François Cyr.
Dianne Marshall a publié au moins deux autres livres : Heroes of the Acadian Resistance : The Story of Joseph (Beausoleil) Broussard and Pierre Surette, 1702-1765 et True Stories from Nova Scotia’s Past.
Les Néo-Écossais connaissent tous l’histoire de la déportation des Acadiens, mais peu d’entre eux sont conscients du rôle essentiel joué par cette île bien connue au milieu du port de Halifax.
Neutralité en période de siège
Pendant plusieurs décennies – bien avant la colonisation de Halifax – les tentatives pour faire prêter aux Acadiens un serment d’allégeance à la Couronne britannique ont été pour ainsi dire infructueuses. Comme un grand nombre des membres de leurs familles vivaient dans des colonies occupées par les Français, et que la guerre était toujours imminente, ils n’acceptaient de prêter qu’un serment qualifié qui les dispensait de prendre les armes. En conséquence, ils vivaient sous la menace constante de l’expulsion ; bien que ni Cornwallis ni son successeur, Peregrine Thomas Hopson, n’aient choisi de recourir à cette option. Parallèlement, cependant, la neutralité des Acadiens était contestée sur un autre front. Louisbourg exerçait des pressions afin de les pousser à son tour à prêter un serment sans réserve au roi de France. Cette exigence s’accompagnait parfois de menaces de la part du prêtre français militant, l’abbé Jean- Louis LeLoutre. À titre d’exemple, en janvier 1750, à l’église de Beaubassin, en présence du curé et de plusieurs guerriers indiens, LeLoutre a menacé de mort tout Acadien pris à faire du commerce avec les Anglais ou refusant de prendre les armes contre eux. Le peuple acadien était devenu un pion dans la bataille permanente de deux vieux ennemis.
Lorsque le gouverneur Hopson est rentré en Angleterre à la fin de 1753, le lieutenant-colonel Charles Lawrence lui a succédé, ce qui a changé radicalement le sort du peuple acadien. Son allié le plus proche, le gouverneur William Shirley, du Massachusetts, l’a exhorté, comme il l’avait fait avant lui avec Cornwallis et Hopson, à débarrasser la Nouvelle-Écosse de la présence catholique française. Bien qu’ils aient été peu nombreux à y avoir participé activement, les Acadiens étaient sur le point de payer pour l’alliance Louisbourg-Mi’kmaq qui avait tourmenté les colonies de la Nouvelle-Angleterre pendant plusieurs décennies. Dès décembre 1753 – un mois après le départ de Hopson, Lawrence et Shirley se sont efforcés d’amener les Lords du Commerce et des Plantations à prendre position sur le « problème acadien ». La Commission hésite, préoccupée par les implications politiques et la ponction estimée sur les ressources publiques qu’entraînerait la déportation. En juin 1755, cependant, un événement se produit, fournissant à Lawrence ce qu’il considère être la justification de son plan.
L’Alcide et le Lys
Plus tôt cette année-là, la Grande-Bretagne avait reçu des renseignements relatifs à un projet d’expansion de la présence militaire française en Amérique du Nord. En réponse, une flotte de vingt et un navires, commandée par l’amiral Edward Boscawen (« Old Dreadnought »), a été stationnée à Halifax et chargée d’intercepter les navires de guerre français approchant de Louisbourg. Le 15 juin 1755, Boscawen croise une flotte française au large de Terre-Neuve. Dans la bataille qui a suivi, des centaines d’hommes des deux côtés sont soit mutilés, soit tués. Bien que la plupart des navires français aient pu s’échapper et se rendre à Louisbourg, deux d’entre eux – l’Alcide et le Lys – ont été capturés, conduits dans le port de Halifax et ancrés à l’île Georges. Les 1 200 passagers et l’équipage y ont été retenus jusqu’à ce qu’un transport puisse être organisé pour les envoyer à Louisbourg. Les fonctionnaires de l’Amirauté se sont davantage intéressés aux deux trophées et au contenu de leurs cales et cabines.
La découverte à bord de 19 938 gallons de rhum et de cognac ainsi que du trésor de guerre français de ₤30 000 a d’abord été source de réjouissances. Mais la découverte ultérieure de vingt sacs en cuir contenant un total de 10 000 couteaux à scalper a provoqué une vive inquiétude dans une ville qui vivait sous la menace constante d’une attaque indienne. L’affirmation d’un officier du Régiment de la Marine selon laquelle ces outils meurtriers étaient destinés à être distribués aux Acadiens et aux Indiens de toute la province s’inscrivait parfaitement dans le plan de Lawrence. Deux jours plus tard, le fort Beauséjour tombe aux mains des troupes dirigées par le colonel Monckton. Quelques centaines d’Acadiens sont mis en détention et Lawrence en profite pour tester son plan d’expulsion. Le 28 juin, il écrit aux Lords du Commerce : « … Je lui ai donné l’ordre de les chasser du pays… » La réponse de la Commission, datée du 13 août, a sans doute été rédigée dans les jours qui ont suivi la réception de la lettre de Lawrence. Ils lui ont conseillé de « faire preuve de la plus grande prudence… et d’assurer à ceux d’entre eux en qui l’on peut avoir confiance, en particulier lors de leur prestation de serment, qu’ils peuvent rester en possession de leurs installations en toute tranquillité, en vertu d’une réglementation appropriée…» Les passages avaient été soulignés pour accentuer l’importance de l’ordre. Lorsque la lettre est arrivé, en septembre, il était toutefois déjà trop tard.
Une tragédie prend place
Début juillet, une délégation de députés des communautés acadiennes s’est rendue à Halifax pour intervenir auprès du Conseil des gouverneurs. Ils avaient apporté des pétitions qui expliquaient la position acadienne les amenant à ne pas signer un serment sans réserve et assuraient les autorités anglaises qu’elles resteraient neutres dans tout conflit. Leurs efforts ont cependant échoué. Lawrence n’avait pas l’intention de changer d’avis et il a ordonné aux troupes de se rendre dans les communautés pour amener davantage de députés à Halifax – avec le même objectif en tête. Chaque délégation, une après l’autre, se retrouva ainsi confinée dans les hangars de la prison de l’île Georges.
Le 28 juillet, le Conseil – composé de Lawrence, de l’amiral Boscawen et de son commandant en second Mostyn, de Benjamin Green, de John Collier, du capitaine John Rous, de Jonathan Belcher et de William Cotterell – a rencontré l’ensemble du groupe de prisonniers et les a informés que la décision de déportation était définitive. Les députés, réalisant que la menace avec laquelle ils avaient vécu pendant si longtemps était sur le point de devenir réalité, ont fait savoir à leurs ravisseurs qu’après réflexion, le peuple acadien prêterait serment. Lawrence leur a répondu : « … votre consentement n’est que le fruit de la peur, ce n’est pas un attachement sincère à Sa Majesté… vous ne pouvez plus être considérés autrement que comme des papistes récalcitrants. » Les députés ont été renvoyés dans l’île et, une fois de plus, Lawrence ordonna l’envoi de troupes dans leurs communautés, cette fois-ci pour y mettre leurs prêtres aux arrêts.
L’abbé Henri Daudin a été arrêté à Annapolis le 6 août 1755 alors qu’il terminait la messe. Il a été conduit avec deux autres personnes – l’abbé Chauvreul et l’abbé LeMaire – d’abord à Fort Edward (Windsor), puis à Halifax et à l’île Georges. À la fin du mois d’août, pas moins de soixante-dix députés et prêtres étaient en détention et pendant près de deux mois, ils ont attendu l’inévitable. Lorsque la nouvelle est parvenue à leurs villages, les familles des prisonniers se sont mises en route pour Chebucto. Elles ont campé le long de la côte de Dartmouth, en face de l’île Georges, et de là, ont envoyé des délégations au gouverneur pour solliciter sa compassion. Mais il est vite apparu que Lawrence avait l’intention ferme de déporter leurs proches et qu’il n’écouterait aucun argument en leur faveur. Plutôt que de voir leurs familles déchirées, les parents, les femmes et les enfants des prisonniers ont supplié qu’on leur permette de les accompagner. Le gouverneur est cependant resté indifférent.
Pendant la nuit précédant le départ, un certain nombre d’hommes ont échappé à leurs ravisseurs et, sur la plage à l’extrémité nord de l’île, ont trouvé un bateau sans surveillance. Bien qu’ils aient réussi à traverser le canal de l’Est pour rejoindre leurs familles, leur fuite fut rapidement découverte et des troupes armées se sont lancées à leur poursuite. La plupart d’entre eux ont été rapidement repris et renvoyés sur l’île. Plusieurs autres ont été abattus lors de cette tentative. Le jour suivant, le Providence a appareillé comme prévu, laissant derrière lui de nombreuses familles désemparées qui ont dû faire face à leur propre arrestation et déportation.
Les curés des paroisses ont été témoins de cet évènement, mais n’ont pas pu l’empêcher. La plupart sont restés prisonniers sur l’île jusqu’à la fin octobre, date à laquelle ils ont été placés à bord du navire de Boscawen et emmenés à Portsmouth, en Angleterre. De là, ils ont été autorisés à louer un bateau qui les a emmenés en France. Entre-temps, un ordre a été donné afin que les Acadiens, où qu’ils se trouvent dans la province, soient mis en détention.
L’expulsion
Pendant près d’une décennie (1755-1764), les Acadiens vivant en Nouvelle-Écosse étaient tous en péril. Des camps de prisonniers furent établis dans toute la province, les principaux étant ceux de Fort Cumberland (anciennement fort Beauséjour), Fort Anne à Annapolis, Fort Edward à Pisiquid (Windsor) et l’île Georges à Halifax. La première expulsion, qui a touché pas moins de 6 000 Acadiens, a eu lieu dans la baie de Fundy. Les communautés de la côte atlantique ont toutefois également fait l’objet de raids et, comme il s’agissait du camp de prisonniers le plus proche, plusieurs centaines de ces Acadiens ont été amenés à l’île Georges. Ainsi, quelques semaines seulement après la déportation des prêtres – le 8 décembre 1755 – 342 Acadiens (dont 254 enfants) ont été retirés des confins de l’île et placés à bord du Hopson. Ils ont débarqué en Caroline du Sud le 15 janvier 1756. Un flot continu de navires – dont l’Edward, l’Experiment, le Helena, le Pembroke et le Two Sisters – se rendait de Halifax à Annapolis, où ils augmentaient leur cargaison humaine et poursuivaient leur route vers des colonies éloignées. Le navire Providence, qui avait emmené le premier groupe de députés de l’île en octobre, est retourné à Halifax et a fait un second voyage en Caroline du Nord, en décembre, emmenant pas moins de 50 autres exilés.
Avec la déclaration officielle de guerre entre l’Angleterre et la France, au printemps 1756, de nouveaux prisonniers se sont ajoutés. Les navires français qui naviguaient dans les eaux de la Nouvelle-Écosse étaient souvent capturés comme butin et les prisonniers de guerre étaient détenus sur l’île Georges pendant des semaines et même des mois. De nouvelles baraques ont été construites pour eux et ils étaient approvisionnés en bois de chauffage et en rations complètes. Les Acadiens n’ont toutefois pas eu autant de veine. À part les deux hangars de la prison, qui étaient généralement remplis de criminels de la ville, il y avait très peu d’abris pour eux. Un grand nombre était contraint de vivre en plein air, exposé aux éléments et affamé en raison des rations limitées. Les personnes âgées et les très jeunes enfants ont été les plus durement touchés par ces conditions. Plusieurs d’entre eux sont morts.
Tentatives d’évasion
Pendant que des milliers de personnes effrayées et désespérées étaient forcées de monter à bord des navires, des centaines d’autres se sont enfuis au plus profond de la forêt ou ont désespérément essayé d’atteindre Québec ou Louisbourg. En 1756, un groupe s’est mis en route, dans leurs petites embarcations, en direction de Québec et a réussi à se rendre jusqu’au golfe du Saint-Laurent avant de tomber sur une flotte anglaise. Ils ont rapidement été maitrisés, amenés à Halifax et placés dans le camp de l’île. Ceux qui s’étaient réfugiés dans les forêts n’étaient pas mieux lotis. Les troupes britanniques effectuaient régulièrement des raids dans les bois pour débusquer les évadés, bien que plusieurs en aient été chassés par la famine et le désespoir. Après leur capture, la plupart ont été amenés à l’île Georges où ils sont restés pendant des semaines ou des mois avant d’être déportés. Pour avoir défié l’ordre d’expulsion de Lawrence, ces Acadiens ont été maltraités et, dans certains cas, torturés pendant leur détention.
Cap de Sable
Bien qu’on n’ait pas tenu compte de leur présence lors de la première expulsion, les Acadiens vivant dans la région de Cape de Sable ont ensuite fait l’objet de trois déportations. En 1756, les troupes en route pour Boston ont fait un raid dans la région et ont capturé 72 hommes, femmes et enfants. Deux ans plus tard, Lawrence a ordonné un deuxième assaut. Le major Roger Morris, qui commandait deux navires de guerre et un navire de transport, est parti de Halifax pour le Cap de Sable en date du 11 septembre 1758. Pendant plusieurs semaines, 325 soldats ont envahi la campagne à la recherche d’Acadiens pour, au bout du compte, arrêter un prêtre, l’abbé Desenclaves, et 69 de ses paroissiens. Le 28 octobre, les femmes et les enfants ont été embarqués sur le bateau de transport et amenés à l’île Georges. Les hommes sont restés sur place, forcés d’aider les troupes à détruire leurs propres maisons et récoltes. Le 31 octobre, ils ont également été amenés à Halifax avec leur prêtre.
La vie derrière les palissades de l’île était extrêmement difficile pour les prisonniers. On leur avait retiré leurs vêtements chauds et bon nombre d’entre eux sont tombés malades à cause de la malnutrition et de l’exposition aux éléments. Mais ils n’étaient pas seuls dans leur misère. D’autres étaient là avant eux et d’autres encore continuaient à arriver. De nombreux navires de guerre qui arrivaient au port s’arrêtaient d’abord au quai de l’île pour décharger des hommes, des femmes et des enfants désemparés et effrayés – y compris une centaine de prisonniers pris par le colonel Monckton dans la région du fleuve Saint-Jean. L’abbé Desenclaves et ses paroissiens sont restés sur l’île jusqu’en janvier 1759, date à laquelle ils ont été embarqués sur des navires à destination de la France.
Si certaines des troupes britanniques ont trouvé leur tâche de mauvais goût, elles n’ont guère eu d’autre choix que de suivre les ordres ou de s’exposer à de sévères punitions. C’était en temps de guerre et il n’était pas rare de voir des hommes être flagellés ou pendus à une vergue, même pour des infractions mineures.
Pendant ce temps, un certain nombre d’Acadiens de la région de Cape de Sable avait jusqu’à présent réussi à échapper aux troupes de Lawrence. Ils vivaient au plus profond de la forêt depuis la première attaque de 1756. Au cours des hivers qui ont suivi, il y a eu de nombreux décès dus à l’exposition au froid et à la famine et, au printemps 1759, ils se sont retrouvés dans une situation catastrophique. En désespoir de cause, ils ont envoyé une délégation à Halifax pour plaider leur cause auprès de Lawrence qui est cependant demeuré impassible, envoyant, pour toute réponse, le capitaine Goreham et ses Rangers pour les mettre en détention.
Le 29 juin, ces 152 Acadiens de Cape de Sable ont été amenés à l’île Georges et détenus avec 6 autres qui avaient été pris dans la région du fleuve Saint-Jean. Au cours des cinq mois suivants, ils s’en sont sortis à peine mieux que dans la forêt. Pendant leur séjour sur l’île, huit des prisonniers sont morts et un enfant est né. Le 3 novembre, les prisonniers acadiens survivants qui étaient sur l’île – 151 hommes, femmes et enfants – ont été embarqués sur le Mary the Fourth, à bord duquel ils ont affronté la pire tempête qui ait frappé la ville depuis des années. Le navire a pris la mer le 10 novembre et a atteint Cherbourg, en France, le 14 janvier 1760. Au cours de la traversée, 4 autres personnes sont mortes.
Des années plus tard, à la fin des expulsions, un certain nombre de ces Acadiens sontretournés en Nouvelle-Écosse et aujourd’hui, un grand nombre de leurs descendants vivent encore dans la région de Pubnico.
Reddition
À la fin de 1759, les Britanniques ont pris Louisbourg et Québec. Les Acadiens qui vivaient encore dans la forêt se sont soudainement retrouvés sans leurs principales sources d’approvisionnement. Au cours des mois d’hiver, 900 personnes se sont rendues au Fort Cumberland en quête d’un abri et de nourriture. En mai 1760, 300 autres ont fait de même et en juillet, entre 200 et 300 autres se sont rendus. Le gouverneur Lawrence a alors ordonné qu’ils soient acheminés en deux lots vers Halifax, en mai et en août ; et dans ce qui a été décrit comme une rare démonstration de compassion, il a envoyé des navires pour recueillir les personnes âgées et les malades qui n’étaient pas en condition de faire le voyage. À leur arrivée à Halifax, les prisonniers ont immédiatement été enfermés derrière les palissades de l’île Georges, où ils rejoignaient les 300 autres qui avaient été amenés là depuis la région du fleuve Saint-Jean.
Résistance
Près de 1800 prisonniers ont été amenés sur l’île au cours du printemps et de l’été 1760, et parmi eux, on estime à 900 le nombre de combattants de la liberté. En raison de leur présence, la sécurité sur l’île a été considérablement renforcée. L’un des chefs de la résistance, Joseph dit Beausoleil Broussard, était probablement le plus craint de tous les partisans, car on pense qu’il a été l’instigateur de plusieurs raids meurtriers sur Halifax.
Broussard est né à Port Royal en 1702, huit ans avant que la ville ne tombe pour la dernière fois aux mains des Britanniques. Lorsqu’il a atteint l’âge adulte, il a tout naturellement assumé un rôle de leader au sein de son peuple et, alors que les menaces anglaises contre lui s’intensifiaient, lui et son frère Alexandre ont formé un mouvement de résistance. Avec leurs amis Jean Basque et Simon Martin, ils se sont engagés dans une guérilla depuis leur base située dans la région de Peticodiac, dans l’actuel Nouveau-Brunswick. Ils ont mené des raids terrestres sur les colonies anglaises et ont armé un navire corsaire, dans la baie de Fundy, avec lequel ils prenaient d’assaut les navires britanniques chaque fois que l’occasion se présentait. Louisbourg fournissait volontiers des provisions et avec l’assistance compétente de leurs alliés indiens, qui connaissaient si bien les forêts, ils pouvaient attaquer n’importe quel Anglais sans avertissement – et ils le faisaient souvent.
Les défaites françaises à Québec et à Louisbourg avaient tellement affecté leur capacité d’obtenir des armes et des provisions que, le 16 novembre 1759, Broussard et 190 partisans ont été forcés de se rendre au colonel Frye au Fort Cumberland. Deux jours plus tard, le 18 novembre, un autre résistant, Pierre II Surette et ses amis Jean et Michel Bourque, ainsi qu’environ 700 partisans, se sont également rendus. Surette n’était pas étranger au Fort Cumberland. Il y avait été brièvement fait prisonnier en 1756, réussissant une évasion audacieuse avec 80 autres prisonniers. Quelques mois plus tard, les deux groupes ont participé à la longue marche vers Halifax et l’île Georges.
Par la suite, les prisonniers les moins dangereux ont été soit déportés, soit mis au travail dans des fermes dont ils étaient autrefois propriétaires. Les fermiers anglais et allemands qui avaient pris possession des terres acadiennes confisquées étaient incapables de maintenir le système complexe de digues et ils faisaient pression sur le gouvernement pour qu’il permette aux prisonniers de travailler pour eux. Pour s’assurer qu’ils travailleraient avec assez d’ardeur, les Acadiens recevaient un salaire afin de compléter ou de remplacer les rations insuffisantes qui leur avaient été allouées. Des dispositions similaires ont été prises pour qu’un certain nombre puisse également travailler dans la ville de Halifax.
Les partisans – Broussard, Surette et un grand nombre de membres de leur famille et de sympathisants – n’avaient pas droit à de telles libertés pourtant bien limitées. Le gouvernement craignait qu’à la première occasion, ils ne constituent une menace supplémentaire pour la Nouvelle-Écosse britannique. C’est la raison pour laquelle les partisans sont restés sur l’île Georges pendant plusieurs années. Pendant cette période, ils ont été témoins des arrivées et des départs de plusieurs centaines de leurs compatriotes, y compris, en 1761, des 300 personnes qui avaient été prises lors de la bataille de la Ristigouche.
Vie familiale
Aussi difficile qu’elle pouvait être, la vie a continué. Il y a eu des mariages, des naissances et beaucoup trop de décès. En 1763, Elizabeth Isabelle Broussard – la petite-fille de Joseph dit Beausoleil – est née dans le camp de l’île ; et le fils aîné d’Alexandre dit Beausoleil – Joseph Grégoire Broussard – y est mort. Il a laissé sa veuve Ursule Trahan et trois jeunes enfants sous la protection de son père. En l’absence de prêtres catholiques, des membres du clergé protestant de Halifax ont organisé des cérémonies de mariage et baptisé les enfants. Plus tard, lorsqu’ils ont enfin été libres de le faire, les couples ont renouvelé leurs vœux et ont fait baptiser leurs enfants dans des églises catholiques en des endroits comme Saint-Malo ou la Louisiane.
Sur les traces de Lawrence
Lawrence est mort à Halifax en octobre 1760 et il a été enterré sous l’église Saint-Paul. Il n’a jamais exprimé de regret pour la décision qui le caractérisera à jamais et il a continué à la défendre jusqu’à la fin de ses jours. En 1757, durant la troisième année de son mandat, Lawrence avait été fustigé par les Haligoniens pour « son mauvais esprit et ses procédures perfides » et pour « son oppression et sa tyrannie ». Le gouverneur Jonathan Belcher, un membre du Conseil qui avait donné l’ordre d’expulsion, n’était pas plus sympathique que son prédécesseur. Pendant toute la durée de son mandat, Belcher a craint que les prisonniers acadiens de Halifax ne s’échappent et ne l’assassinent dans son sommeil. Bien que ceux qui travaillaient dans la ville fussent étroitement surveillés et que les plus dangereux étaient confinés en toute sécurité sur l’île Georges, il ne souhaitait rien d’autre que de les déporter et il a entrepris plusieurs démarches auprès du général Amherst et des Lords du Commerce, demandant l’autorisation de le faire. Ils lui ont cependant conseillé fortement de permettre aux Acadiens restants de rester dans la province.
Avec la chute de Saint-Jean, Terre-Neuve, aux mains des Français, en juin 1762, les Haligoniens craignaient pour leur propre sécurité. Une telle ambiance dans la ville a encouragé Belcher à réexaminer la question acadienne ; et grâce à cette situation, il est parvenu à convaincre le général Amherst qu’en permettant aux prisonniers de rester, la ville risquait une révolte sanglante et un massacre. Cette fois, les Lords du Commerce n’ont pas été consultés. Avec la seule approbation du général, le Conseil a déclaré la loi martiale le 13 juillet et a envoyé la milice à travers la province pour rassembler le plus grand nombre possible d’Acadiens restants afin de les emmener en marche forcée jusqu’à Halifax. La grande majorité était composée de femmes et d’enfants.
En juillet, Joseph dit Beausoleil, son fils Joseph et Anselme, le fils d’Alexandre dit Beausoleil Boussard, étaient détenus au Fort Edward, à Windsor, à une distance considérable de Halifax, tandis que d’autres membres de la famille étaient restés sur l’île Georges. Compte tenu de la crainte du gouverneur d’un soulèvement, il semble qu’il aurait jugé prudent de les séparer.
À la même époque, les propriétaires fonciers du comté de Kings craignaient de plus en plus les représailles. Les Acadiens qui étaient utilisés pour construire des digues sur les terres qui leur avaient été prises s’agitaient et menaçaient de trancher la gorge des nouveaux propriétaires. Les autorités locales en ont arrêté 130 et ont plaidé auprès de Halifax pour qu’ils leur soient retirés. Lors d’une réunion du Conseil du Gouverneur, le lundi 26 juillet, il fut décidé que ces prisonniers ne pouvaient plus être considérés comme fiables et qu’ils devaient être conduits à Halifax, et « … étroitement enfermés sous une forte garde de la milice de la ville… suivant le grand désagrément et la détresse des dits habitants. » Ils ont été eux aussi placés dans le camp de prisonniers de l’île Georges.
L’évènement a renforcé la détermination de Belcher à se débarrasser une fois pour toutes du « problème acadien ». C’est ainsi qu’à l’aube du 18 août 1762, cinq navires de transport ont été amarrés au large de la côte nord de l’île Georges. En quelques heures, plus de 1 200 prisonniers ont été placés dans leurs cales et les navires ont mis le cap sur Boston. Les choses ne se sont toutefois pas déroulées comme prévu. Le Conseil du Massachusetts, las des difficultés et des dépenses liées à la prise en charge des réfugiés de Nouvelle-Écosse, a refusé catégoriquement de les accepter. Après être restés dans le port de Boston pendant deux à trois semaines, les navires n’ont eu d’autre choix que de rentrer à Halifax et les prisonniers de retourner au camp de l’île.
Son mépris des Lords du Commerce, combiné à plusieurs critiques au sujet de son administration, a conduit en quelques semaines à la destitution de Belcher et à son remplacement par Montague Wilmot – bien que le nouveau gouverneur eut la même opinion sur la question des Acadiens. Au moment de sa nomination, Wilmot a reçu des instructions de Lord Halifax selon lesquelles il devait utiliser tous les moyens légaux pour encourager les Acadiens à rester dans la province. Pour Londres, les expulsions avaient déjà pris fin. Wilmot n’avait cependant aucune intention de libérer les prisonniers.
Quelques mois plus tard, au printemps 1763, lorsque la correspondance entre Joseph dit Beausoleil, à Fort Edward, et un Acadien de Halifax, Joseph LeMaigre, a été interceptée, Wilmot a convoqué une réunion d’urgence de son Conseil. Ils ont vu dans cette lettre la preuve que, quel que soit l’endroit où il se trouvait, Broussard continuait à représenter une menace bien réelle. Il a été renvoyé à l’île Georges où il pouvait être surveillé de plus près.
En 1764, Wilmot a approché de nouveau les Lords du Commerce sur la question acadienne en proposant que les derniers prisonniers soient envoyés aux Antilles françaises. Bien que la guerre avec la France était terminée, il a fait valoir – comme l’avait fait Belcher avant lui – qu’il serait dangereux de les laisser s’installer dans la province. La Commission n’a pas bronché. Lord Halifax lui a de nouveau ordonné de permettre aux Acadiens de rester en Nouvelle-Écosse « dans le respect de la paix et de la sécurité publiques », ce qui, bien entendu, nécessitait un serment d’allégeance au roi.
Wilmot ne s’est pas laissé décourager. Il a concocté un plan qui, tout en se conformant à l’ordre, était conçu de manière à décourager les Acadiens de rester dans la province. Il proposait de les installer par groupes de dix, à de grandes distances les uns des autres – une option désagréable chez des personnes qui avaient de forts liens familiaux et qui avaient déjà tant perdu. En outre, ils devaient signer un serment qui constituait une insulte envers l’Église catholique. Si certains, las de la lutte, ont accepté à contrecœur, plusieurs autres ont choisi de quitter la province pour le Québec. Pour des raisons de sécurité, le Québec n’était pas une option à envisager concernant Broussard, Surette et leurs disciples. C’était à trop grande proximité pour la tranquillité du gouverneur.
Le départ des partisans
Pour la plupart des prisonniers, le choix entre l’assimilation dans les conditions fixées par Wilmot ou le maintien en prison n’était pas du tout un choix. Ils ont décidé que s’ils voulaient préserver leur culture, ils devaient quitter la province. En utilisant les fonds amassés par les Acadiens grâce au travail sur les digues et en vendant les maigres biens qu’ils possédaient encore, les prisonniers de Halifax ont pris des dispositions en vue de louer des bateaux qui les emmèneraient aux Antilles, puis en Louisiane. De là, ils entendaient continuer jusqu’au cœur de l’Amérique du Nord où ils allaient rétablir leur communauté loin des forces anglaises perfides. En apprenant le plan des partisans, Wilmot s’est réjoui que son plan ait si bien fonctionné. Les fauteurs de troubles ne seraient plus une ponction sur les ressources de la colonie et se trouveraient bientôt à des milliers de kilomètres. Plus de 600 Acadiens, menés par Joseph dit Beausoleil Broussard, ont quitté Halifax en deux groupes – le premier en décembre 1764 et le second au début du printemps 1765.
Certains d’entre eux n’étaient cependant pas prêts à quitter la terre de leurs ancêtres. Pierre II Surette, sa famille et de nombreux supporteurs sont restés sur l’île pendant quelques mois encore, jusqu’à ce que Wilmot soit finalement contraint de les libérer. Ces Acadiens ont passé plusieurs années supplémentaires dans les environs de Halifax avant de s’installer dans le comté de Yarmouth où vivent aujourd’hui un grand nombre de leurs descendants. Depuis les Antilles, Broussard et 193 Acadiens sont montés à bord d’un autre navire à destination de la Louisiane où ils sont arrivés en février 1765.
Plutôt que d’aller plus loin comme prévu, le groupe s’est installé dans la région des Attakapas, dans le sud de la Louisiane, et Broussard a continué à soutenir son peuple. Les années d’enfermement avaient toutefois affecté sa santé et en octobre, à l’âge de 63 ans, il meurt et est enterré près de ce qui est aujourd’hui la ville de Broussard. Il a passé la plus grande partie de sa vie adulte à se battre pour les droits de son peuple et on se souvient aujourd’hui de lui comme d’un grand héros acadien.
Les derniers jours
Les estimations du nombre d’Acadiens vivant en Nouvelle-Écosse avant les expulsions vont de 12 000 à 15 000. Il n’y a pas de décompte précis du nombre de personnes qui ont été déplacées, cependant, le recensement de la Nouvelle-Écosse de 1767 nous révèle que moins de 2 000 Acadiens étaient encore dans la province. Des milliers d’entre eux ont passé leurs derniers jours dans leur patrie, sur l’île Georges ; par ailleurs, en 1872, des soldats qui creusaient une tranchée sur l’île ont ouvert une fosse commune non marquée contenant plusieurs cercueils. Les occupants n’ont jamais été formellement identifiés.
Chefs de famille parmi les prisonniers acadiens
(incomplet) détenus à l’île Georges, Halifax
Sous l’autorité du gouvernement du roi George III de Grande-Bretagne
1763-1764
(nombre de personnes dans chaque famille)
A
Jean Arcenos (6)
Joseph Arcenos (2)
Pier Arsenos (3)
Marie Aucoin (?)
Jean Lui Aupens (3)
B
Bazile Baben (3)
Victore Baben (un garçon)
Cherle Babinos (3)
Pier Balen (5)
Paul Beausejour (1)
Joseph Belivos (4)
Berthelemy Bellefontaine(3)
Cherle Bellefontene (10)
Augustin Bergeron (5)
Berthelemy Bergeron (?)
Cherle Bergeron (5)
Jean Baptiste Bergeron (7?)
Michel Bernar (3)
Paul Bernar (6)
Pier Bernar (5?)
Pier Bernar (8)
Aunoré Blanchare (5)
Guilaume Blanchare (3)
Auliviae Blanchare (5)
Charles Blorin (8)
Pier Bois (6)
Jacque Bonnevie (3)
Jean Boudrau (2)
Joseph Boudrou (2)
Jean Jaque Bourgois (4)
Michel Bourgois (3)
Cherle Bourque (13)
Joseph Bourque (7)
Joseph Bourque (3)
Nastazie Bourque (5)
Veuve Cyles Brau (7)
Veuve Michel Breun(2)
Jean Brou (3)
Joseph Brou (4)
Alexandre dit Beausoleil Brousare (6)
Charles Brousare (?)
Charles II Brousare (?)
Enselme Brousare (5)
Jean Batiste Brousare (4)
Joseph dit Beausoleil Brousare (5)
Raphaele Brousare (4)
Tanace Brousare (5)
Victor Brousare (4)
Gulliemes Broutin (5)
C
Joseph Chailons (4)
Jean Batis Chatou (3)
Joseph de Chosur (10)
Polle Clarremont (7)
Jean Batis Cormaie
(1) Joseph Cormaie (5)
Eustache Corp (7)
Michel Coumos (5)
Michel Coumos (5)
D
Paul Dancais (2)
Widow Liautiste Dezon
(3) Michelle Dousain (10)
Paul Duebois (6)
Abraham Dugas (9)
Claude Dugas (7)
Jean Dugas (10)
Joseph Dugas (7)
Joseph Dugas (5)
E
Jean Batis Eber (4)
Joseph Ebert (5?)
G
Jean Galan (7)
Jean Gaudai (8)
Bonnavantier Gauden (3)
Bonneaventure Gauden (9)
Marguerite Gaudin (?)
Nicoulas Gautier (3)
Cherle Gravoi (4)
Pier Gravoi (7)
Jean Gravoi (4)
Paul Gripeoire (5?)
Guilaume Giroy (7)
Joseph Giroire (8)
Joseph Guilbau (2)
Joseph Guilbau (8)
Veuve Guispet (3)
J
Cherle Jeansone (3)
Nicolas J (2)
L
Entoine LaBauve (7)
Simon LaBauve (3)
Joseph Lalende (3)
Piere Landris (5)
Aman Landry (10)
Joseph Landry (4)
Michel Landry (2)
Polle Landry (6)
Pierre Landry (5)
Pierres Landry (7)
Veuve Margrites
Landry (7)
Widow Lanou (6)
Jean LaSale (7)
Alexandre LeBlanc (5)
Jean LeBlanc (9)
Joseph LeBlanc (3)
Joseph LeBlanc (5)
Paul LeBlanc (8)
Pieraute LeBlanc (3)
René LeBlanc (6)
Simon LeBlanc (5)
Simon LeBlanc (5)
Pierres LeBlanc (7)
Joseph dit Fluzan Leger (?)
Paul Legere (6)
Alexandre Lencour (7)
Loschare (7)
M
Manbrou (2)
Aulenoize Martin (4)
Enberoize Martin (8)
Joseph Martin (2)
Siemon Martin (7)
Aunoré Melancons (8)
Michel (10)
Beleaunie Mir (4)
Charles Miros (4?)
Charles Muis (6)
Jean Baptiste Muis (10)
Jean Louis Muis (13)
Joseph Mius (7)
P
Pier Pare (7?)
Grigoire Pelleran (5?)
Cherle Pelleron (2)
Charle Pitre (2)
Joseph Pitre (7)
Pier Pitre (6)
Joseph Poige (4)
Jean Poirye (7)
Michel Poirye (4)
Michel Poirye (5)
Pier Poirye (8)
René Portale (3)
Amable Pregant (2)
R
Claude Richare (3)
Pier Richare (6)
René Richarre (3)
Amable Robicho (5)
Cherle Robicho (6)
Joseph Robicho (3)
René Robichos (6)
Fransois Roux (4?)
Benois Roy (5)
Joseph Roy (10)
Veuve Abraham Roy (3)
S
Étiene Sauniae (11)
Joseph Sauniae (4)
Cherl Savois (5)
Joseph Savois (4)
Jaque Sire (3)
Jean Sire (2)
Pierre II Surette (?)
T
Étiene Terau (7)
Joseph Terau (8)
René Téreau (10)
Joque Terau (4)
Widow Alexy Teryo (6)
Anne Tibaudau (3)
Paul Tibaudau (10)
Cherle Tibaudo (5)
Pier Tibaudo (5)
Widow Pier Tibaudow (5)
Aulivie Tibeaudau(5)
René Trahan (4)
Jean Trahan (5)
Widow Ursule Trahan (4)
V
Jean Vige (2)
Beaucoup de noms français ont été mal orthographiés par leurs ravisseurs, par exemple :
Arcenos = Arsenault
Brousare = Broussard
Eber, Ebert = Hebert
Gauden = Godin
Poirye = Poirier
Richare = Richard
Terau = Theriault
Source: Lire l'article complet de Vigile.Québec