Notes d’allocution lors de mon passage devant le comité des langues officielles à Ottawa
Préambule
Depuis une quinzaine d’années, une dynamique linguistique inédite s’est mise en place au Québec. Depuis 1871, le poids démographique des francophones au Québec n’était jamais descendu sous les 80 %. Il est maintenant de 78 %, après avoir chuté de 3,4 points en quinze ans: un record. Il baisse aussi du côté de la langue parlée à la maison, presque aussi rapidement. Les projections démolinguistiques effectuées par Statistique Canada indiquent que le poids relatif du groupe francophone va continuer à baisser pour tout l’avenir prévisible.
Pour arrêter la chute du français au Québec, il faudra faire des changements fondamentaux dans la Loi sur les Langues officielles.
La Loi sur les langues officielles
La Loi sur les langues officielles (LLO) a été adoptée de 1969. Son objet est :
a) « d’assurer le respect du français et de l’anglais à titre de langues officielles du Canada, leur égalité de statut »
et
b) d’appuyer le développement des minorités francophones et anglophones et, d’une façon générale, de favoriser, au sein de la société canadienne, la progression vers l’égalité de statut et d’usage du français et de l’anglais.
Le principe de personnalité
La LLO a déclaré l’anglais et le français comme langues officielles et a mis ces deux langues sur un pied d’égalité strictement juridique, sans, cependant, tenir compte de la réalité sociologique de l’anglais et du français au Canada. Une réalité qui est fondée, en réalité, sur un rapport de force démographique. Ce rapport de force fait en sorte que l’anglais est la langue dominante partout au Canada, même au Québec. Le Livre I du rapport de la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme indiquait que, selon le recensement de 1961, l’anglais assimilait presque neuf fois plus, relativement, que le français au Canada. L’anglais avait donc, déjà, une vitalité bien supérieure à celle du français. La LLO, adoptée par le gouvernement de Pierre Elliott Trudeau, n’a pas tenu compte de cette réalité élémentaire.
Au Québec, les anglophones assimilent environ la moitié des immigrants allophones alors qu’ils ne représentent que 8,1% de la population selon le recensement de 2016. Ce qui signifie que, à proportion égale, le groupe anglophone a un pouvoir d’assimilation dix fois supérieur au groupe francophone au Québec.
Il ne règne donc pas, comme veut nous le faire croire la Loi sur les langues officielles, une situation de bilinguisme égalitaire au Québec. C’est plutôt une situation de bilinguisme inégalitaire (ou compétitif) qui prévaut. Dans un tel contexte, où les droits individuels dominent les droits collectifs, les langues sont en compétition comme vecteurs d’assimilation.
Dans la LLO, la langue est conçue comme le résultat d’un choix, d’une préférence d’un individu: c’est le principe de personnalité. Celui-ci était, et est toujours, bien sûr, une proposition insensée: la langue n’est pas une caractéristique individuelle, c’est un moyen d’échange avec les autres; elle est par définition collective.
Rappelons que la Charte de la langue française est basée, en partie, sur le principe de territorialité qui veut que sur un territoire donné, une seule langue serve de langue de convergence ou de langue commune. Il existe un conflit entre les approches fédérale et québécoise en matière d’aménagement linguistique.
Il est connu qu’une situation de bilinguisme compétitif entre langues possédant des statuts inégaux comme celle que subit le Québec est instable et entraîne le plus souvent la disparition de la langue possédant le statut le plus faible.
Le « principe de personnalité » doit être abandonné si on souhaite réellement atteindre à l’égalité réelle entre le français et l’anglais. La LLO devrait considérer et reconnaitre que le Québec est une province de langue française.
Cela aurait de nombreuse conséquences pratiques. Par exemple, un immigrant souhaitant obtenir la résidence permanente au Québec devrait démontrer sa connaissance du français (et non du français ou de l’anglais). Les fonctionnaires fédéraux au Québec devraient être tenus de travailler en français. La loi 101 devrait s’appliquer aux domaines de juridiction fédérale au Québec.
La double majorité ou la double minorité
Par un jeu de symétrie, la LLO institue une « double majorité » au Canada; les anglophones seraient majoritaires hors Québec tandis que les francophones seraient majoritaires au Québec. Cette double majorité est effective seulement si on considère que la dynamique linguistique est déterminée par les frontières provinciales. Or, ceci est faux; la dynamique linguistique est déterminée par le pays auquel appartient le Québec, c’est-à-dire le Canada.
La LLO s’attelle donc au développement de la minorité anglophone du Québec. Or, cette « minorité » n’est pas une minorité mais est en réalité partie intégrante de la majorité canadienne et en possède tous les attributs, dont la vitalité linguistique.
Il faut que la LLO abandonne le concept de double majorité.
Cela signifie abandonner les subventions visant à l’épanouissement de l’anglais au Québec, par exemple, les fonds attribués à l’Entente Canada-Québec relative à l’enseignement dans la langue de la minorité et à l’enseignement des langues secondes, fonds qui viennent rehausser le statut et la vitalité de l’anglais au Québec.
Autres recommandations
La discrimination exercée contre les immigrants francophones par le ministère de l’immigration fédéral nuit aux efforts du Québec pour attirer des immigrants francophones ou francotropes qui s’intègreront bien au Québec français. Le pouvoir de sélection de l’immigration temporaire (ce qui inclut les étudiants internationaux) devrait être transférée au Québec.
Les subventions versées par le fédéral aux universités du Québec défavorisent fortement les universités de langue française. Presque 40% des fonds versés par Ottawa au Québec sont attribués aux universités de langue anglaise. Environ le tiers des fonds fédéraux est attribué à la seule McGill University. Dans l’attribution des fonds fédéraux, il existe une discrimination systémique exercée contre les universités de langue française. L’attribution des fonds fondés sur des critères de soi-disant « excellence » récompense les gagnants passés et pénalise les perdants passés. Ou, pour le dire autrement, récompense les universités qui sont déjà les plus riches, comme McGill. Des critères alternatifs, comme des critères relatifs à la langue d’enseignement doivent être introduits dans les programmes de subventions fédéraux afin d’attribuer une juste part aux universités de langue française (90%).
Source: Lire l'article complet de L'aut'journal