Entretien annuel du Secrétaire Général du Hezbollah, Sayed Hassan Nasrallah, avec la chaîne TV iranienne arabophone Al-Alam, le 8 février 2022.
Source : video.moqawama.org
Traduction : lecridespeuples.fr
Transcription :
Journaliste : […] Venons-en maintenant à la Palestine. Aujourd’hui, nous assistons à une escalade dans les agressions sionistes contre les Palestiniens, contre le peuple palestinien, que ce soit dans le Néguev, dans le quartier de Cheikh Jarrah [à Jérusalem], les plans de démolition, de colonisation, les agressions, les arrestations… Et aujourd’hui, il y a eu un événement (tragique), à savoir le martyre de trois membres des Brigades des Martyrs d’Al-Aqsa, tués par les balles de l’occupant israélien à Naplouse. Que peut-on dire quant à cette situation ?
Hassan Nasrallah : Premièrement, je tiens à m’adresser aux familles de ces martyrs, et aux dirigeants des Brigades des Martyrs d’Al-Aqsa, à la fois pour leur présenter, comme nous le faisons toujours dans ces circonstances, mes condoléances pour la perte de ces êtres chers, et mes félicitations pour l’honneur du martyre. C’est un événement très douloureux, la manière dont ils ont été exécutés, etc. J’ai vu la vidéo aujourd’hui.
Journaliste : Ils ont été tués dans leur voiture.
Hassan Nasrallah : Oui. C’est une agression claire de la part des Israéliens. Quoi qu’il en soit, cela advient dans le contexte général (d’agressions israéliennes) constaté depuis un certain temps. Aujourd’hui, le gouvernement ennemi, le chef du gouvernement actuel veut surenchérir sur les actions de Netanyahou. Tout propos au sujet de nouvelles négociations politiques israélo-palestiniennes est complètement déplacé. Même l’idée de solution à deux États n’est plus à l’ordre du jour. Bennett déclare que s’il doit y avoir des négociations, si quelqu’un veut imposer des négociations à Israël sur une solution à deux États, il n’hésitera pas à faire tomber le gouvernement. Il affirme son rejet catégorique qu’un seul pas soit fait dans cette direction sous son mandat.
Bien sûr, (le conflit israélo-palestinien) ne fait pas partie des priorités des États-Unis, qui sont accaparés en Ukraine, en Chine, (aux négociations sur le nucléaire iranien) à Vienne et ailleurs, et même si les questions de la Palestine et des négociations israélo-palestiniennes est présente sur la liste (de leurs dossiers courants), c’est en toute fin de liste. Oui, tout ce que le gouvernement ennemi veut de l’Autorité Palestinienne (AP), c’est la coopération sécuritaire, contre un peu d’argent afin que l’AP reste bien disposée à l’égard d’Israël. Il n’y a rien d’autre, rien de plus que ça.
Au niveau politique, l’AP, ses responsables et ses dirigeants annoncent tous qu’ils sont dans une impasse totale (avec Israël). Lorsque l’impasse politique est totale, cela ne peut que renforcer —et non pas fonder car il existe déjà— le choix de la Résistance, pour faire pression sur Israël en le combattant, surtout qu’il continue à s’approprier les terres (palestiniennes), à coloniser (les territoires occupés) et à judaïser Al-Quds (Jérusalem), construisant des milliers d’unités résidentielles autour d’Al-Quds et sur les collines avoisinantes, Israël continue à opprimer et arrêter toujours plus de Palestiniens, il persécute les prisonniers, cause qui tient beaucoup à cœur aux Palestiniens, il continue à démolir les maisons. Et ce sont les Palestiniens qui doivent détruire leurs propres maisons (sous peine de fortes amendes), ce n’est pas Israël qui le fait.
Quoi qu’il en soit, toutes ces données de terrain ne laissent qu’une possibilité au peuple palestinien, quels que soient ses choix et opinions politiques, à savoir la Résistance et la lutte, qui prennent divers aspects, et ce d’autant plus que depuis l’Épée d’Al-Quds (guerre entre Israël et Gaza en mai 2021) à ce jour, en Cisjordanie, il y a un mouvement (de lutte) plus avancé et développé que les années précédentes, qui inquiète (beaucoup) l’ennemi israélien. C’est pour cela que l’occupant devient plus violent. Israël a toujours été violent avec les Palestiniens de Cisjordanie, mais il est devenu encore plus acharné.
Journaliste : L’équation selon laquelle toute agression contre Al-Quds (Jérusalem) est une agression contre l’ensemble de l’Axe de la Résistance est-elle toujours valable ?
Hassan Nasrallah : Bien sûr, même si cela n’a pas été (officiellement) annoncé. Nous en avons discuté avec les principales forces (de Résistance) de la région, et c’est une chose à laquelle nous œuvrons sérieusement et quotidiennement.
Journaliste : Mais il y a également le processus de normalisation, Éminent Sayed. (Le Président israélien) Herzog et (le Ministre de la Défense) Benny Gantz se sont rendus aux Émirats et au Bahreïn, et il y a une forte poussée en direction de la normalisation. Quelles sont les conséquences de ce processus ?
Hassan Nasrallah : Que veut tirer Israël de tout ce processus de normalisation (avec les pays arabes) ? Il veut établir que la Palestine est à lui, que (la légitimité de) son État (est incontestable), que les Palestiniens… Je vous décris là la manière dont réfléchissent les dirigeants israéliens. Ils veulent persuader la communauté internationale, qui reste, d’une certaine manière, attachée à la solution à deux États (indépendamment des frontières de l’État palestinien, de sa viabilité, de sa superficie, de sa contiguïté territoriale, de son droit à la souveraineté, à un espace aérien, à un port, à un aéroport, à une armée, etc., qui est une toute autre question), la communauté internationale reste attaché (du moins nominalement) au principe des deux États ; Israël veut en finir avec l’idée des deux États, établir que cette option est enterrée, et que la solution doit être un État israélien sur toute la Palestine historique, à l’exception de Gaza qu’il « concède » aux Palestiniens pour qu’ils y érigent leur État ; et quant à la part de la Cisjordanie dévolue aux Palestiniens, elle ne doit avoir aucune continuité territoriale, et simplement une auto-administration (sans indépendance), comme une municipalité élargie, rien de plus. Telle est la solution qu’espèrent les Israéliens.
Quant aux réfugiés palestiniens, (dans ce projet israélien), ils sont censés s’établir dans les pays où ils sont et en obtenir la nationalité. En plus de la question de la naturalisation des Palestiniens dans les pays où ils se trouvent, on voit que de nombreux pays du monde essayent d’appâter les Palestiniens pour qu’ils y émigrent, leur promettant la nationalité, un logement, des opportunités de travail, etc., afin que progressivement, leurs enfants et petits-enfants en deviennent des habitants (natifs) et oublient la Palestine. Bien sûr, jusqu’à présent, cela n’a pas fonctionné. Pourquoi ? La principale raison de cet échec est l’attachement des Palestiniens à leur terre, qu’il s’agisse des réfugiés à l’extérieur où de ceux qui résident à l’intérieur de la Palestine occupée. Et pas seulement ceux qui résident en Cisjordanie ou à Gaza, mais même les Palestiniens qui résident dans les territoires occupés en 1948, et au sujet desquels beaucoup considéraient qu’ils avaient normalisé leurs relations avec Israël (ayant acquis la nationalité israélienne) et oublié la cause palestinienne, se sont habitués à l’occupation, et que les nouvelles générations ont renoncé et oublié, l’expérience de l’Épée d’Al-Quds (durant laquelle les Palestiniens des territoires de 1948 se sont massivement soulevés) a démontré le contraire de manière magistrale.
Le projet d’Israël est que les choses avancent dans la direction de la normalisation, de sorte qu’en normalisant ses relations avec les pays arabes, et en tissant avec eux des liens économiques, politiques, diplomatiques, etc., le peuple palestinien se retrouve seul et isolé, incapable de faire quoi que ce soit ; Israël lui ouvrira alors des portes, et comme l’a dit Trump au sujet de l’Accord du Siècle, les Palestiniens n’auront plus d’autre choix que d’accepter les miettes qu’on leur offre. Mais la réalité est qu’il ne se trouve pas un seul Palestinien qui puisse accepter les miettes qu’offre Israël. Israël joue cependant la carte du temps, du désespoir, du découragement. Et c’est là qu’Israël espère tirer profit de la normalisation. Bien sûr, si l’entité sioniste s’imagine que via la normalisation, elle pourra créer une alliance militaire pour combattre l’Axe de la Résistance, elle se fait des illusions. Bien au contraire, comme je l’ai mentionné au début de notre entretien, militairement, ces pays constituent un fardeau pour Israël et les Etats-Unis, et en aucun cas une aide. (Loin de constituer un renfort, les monarchies du Golfe) ont besoin de protecteurs, de défenseurs, de soutiens (pour que leur régime subsiste). C’est pourquoi, à mes yeux, la véritable menace que représente la normalisation (des relations israélo-arabes) est le risque de faire parvenir le peuple palestinien au désespoir, au découragement, de sorte que soit il renoncera complètement à sa cause, soit il acceptera les miettes qu’on lui propose. Et Israël instrumentalise la normalisation à cet effet. Ils en parlent souvent au peuple palestinien. Même dans les manifestations qui se produisent parfois à Al-Quds (Jérusalem) ou à Al-Khalil (Hébron), on voit des colons israéliens venir et crier aux manifestants palestiniens dans des mégaphones « Les Arabes vous ont vendus. Nous sommes (accueillis) à Dubaï, nous sommes (accueillis) à Manama, et demain nous serons (accueillis) à Riyad, etc. » Tout cela s’inscrit dans cette bataille.
L’objectif principal de la normalisation est que le peuple palestinien finisse par se désespérer, se décourager, qu’il déprime, qu’il se sente complètement vaincu et renonce à sa cause. Mais face à tous ces efforts israéliens, le peuple palestinien reste fermement attaché à sa cause, persévérant, continue à faire des sacrifices, au point qu’il mérite le nom de peuple de Titans. C’est vraiment un peuple titanesque.
Et face aux efforts israéliens, notons également que les peuples arabes (restent massivement attachés à la cause palestinienne). On nous raconte par exemple qu’il y a des Tweets arabes qui soutiennent la normalisation. Mais c’est à voir. Car il y a des armées électroniques (stipendiées). On voit dans des documentaires des images de grandes salles, que ce soit en Arabie Saoudite, dans les Émirats où que sais-je encore, ou des milliers d’étudiants sont assis devant un ordinateur et œuvrent à fabriquer des vagues d’opinion fictives selon lesquelles des milliers, des centaines de milliers ou des millions de personnes soutiendraient telle idée, alors que ce sont des ordres du pouvoir.
Jusqu’à présent, il n’y a aucun signe de normalisation des relations israélo-arabes au niveau populaire. Et au Bahreïn, il y a même des manifestations (massives) contre la normalisation. Et si le régime bahreïni autorisait le peuple à manifester son opinion, même la partie du peuple qui n’est pas fondamentalement opposée à la monarchie sur le plan de la politique intérieure, on verrait des manifestations plus massives encore dans les rues du Bahreïn contre la normalisation.
Aux Émirats, on entend qu’unetelle veut étudier dans une université israélienne, qu’untel et untel se sont rendus en Israël… Mais c’est très limité. Même aux Émirats, personne n’a apporté de preuve que le peuple émirati, que ce soit de tel ou tel émirat, accepte ou soutienne la normalisation. Mais même en supposant que le peuple émirati l’aurait acceptée, ce n’est pas le cas du peuple du Bahreïn, ni de la société saoudienne (indépendamment des différends politiques qui nous opposent à eux), ni même des peuples égyptien, jordanien, de l’Afrique du Nord, du monde musulman, l’Indonésie, la Malaisie, l’Afghanistan, l’Iran, l’Irak, le Pakistan, l’Inde… Quoi, il faudrait croire que le peuple arabo-musulman se limite aux Émirats et au Bahreïn ? Chaque peuple et chaque pays a son importance (plus ou moins grande au sein du monde arabo-musulman), que chacun reste à sa place !
De même, face à tous ces efforts israéliens, il faut prendre en compte quelque chose de très important, qui a été exprimé par des sportifs, des artistes, des entreprises, qui ont refusé catégoriquement toute normalisation ou même reconnaissance d’Israël. Nous avons vu de jeunes hommes et de jeunes femmes, des personnes âgées et des tous-petits, arabes et/ou musulmans, exprimer cela. Par exemple, le plus grand espoir d’un jeune sportif est d’obtenir une médaille d’or dans telle compétition internationale. Mais s’il doit affronter un Israélien sur le parcours, il se retire de la compétition, par égard pour la Palestine. Telle est la vérité. Les fausses campagnes arabes pro-israéliennes qu’on voit sur les réseaux sociaux ne sont que de la duperie. Il y a quelques jours, au Liban, nous avons honoré ces figures qui refusent toute reconnaissance d’Israël, car nous éprouvons pour eux (et pour ceux qui leur emboîteront le pas à l’avenir) le plus grand respect et la plus humble révérence, car ce sont de nobles et véritables Résistants.
Journaliste : L’Algérie a également pris une position remarquable en refusant à l’entité israélienne le poste d’observateur au sein de l’Union Africaine. Cette position est également à inscrire dans l’opposition à la normalisation.
Hassan Nasrallah : C’est une position très louable, et c’est ce à quoi on s’attendait de la part d’un pays comme l’Algérie, qui a une position forte sur la question palestinienne. En dédiant le sommet à la Palestine, l’Algérie a embarrassé pour les pays arabes normalisateurs. Les efforts de l’Algérie pour unir les factions palestiniennes, avec des délégations qui se sont rendues à Alger et ont commencé à tenir des rencontres dans cette perspective, etc., tout cela constitue un retour d’un grand, important et influent pays arabe, à savoir l’Algérie, dans le dossier palestinien. La position algérienne au sein de l’Union Africaine était très forte, et on peut bâtir de grands espoirs dessus pour la suite.
De même, les efforts déployés par l’Algérie sur la question syrienne, pour rétablir les relations et réinstaller la Syrie au sein de la Ligue arabe sont également une position importante et forte. Cela signifie que le monde arabo-musulman recèle encore beaucoup de bienfaits (au niveau des gouvernements). Quant au niveau des peuples arabo-musulmans, personnellement, je tiens à t’assurer que cette normalisation ne marchera jamais, malgré toute la propagande mensongère qu’on peut voir sur les chaines TV et avec les armées électroniques sur Internet. Car au niveau des gens du commun, des véritables individus de chair et d’os (par opposition aux bots et mercenaires stipendiés), partout dans le monde arabo-musulman, la normalisation n’est qu’illusion et mirage, et ne parviendra à aucun résultat. Comme je l’ai dit, tout cela ne sert véritablement qu’un seul objectif, à savoir faire désespérer le peuple palestinien, mais cela ne se produira jamais, avec la grâce de Dieu. […]
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