Par Binoy Kampmark − Le 31 janvier 2022 − Source Oriental Review
On a pris l’habitude de lire des récits macabres faisant état d’abus commis sur des enfants dans des institutions normalement créées pour s’occuper des plus vulnérables. Orphelinats, foyers d’accueil, ordres religieux se sont régulièrement illustrés quant à exposer les enfants à d’innombrables sadiques et pédérastes. Mais au mois de décembre 2021, une nouvelle institution a provoqué l’émoi, du fait de son rôle supposé dans la maltraitance d’enfants.
Une suite de documentaires radiophoniques danois, À la recherche de mon Moi, n’a pas hésité à accuser la Central Intelligence Agency étasunienne d’avoir contribué financièrement à la tenue d’expériences sur 311 enfants danois au début des années 1960. Nombre de ces enfants étaient orphelins, ou adoptés.
L’une des victimes est le réalisateur du documentaire, Per Wennick, qui affirme avoir été le sujet de tests, sans avoir eu connaissance de leur contexte, dans le sous-sol de l’Hôpital municipal de Copenhague. Ces tests étaient supposés établir des liens entre l’hérédité et des facteurs environnementaux dans l’apparition de la schizophrénie, des travaux inspirés par le psychologue Sarnoff A. Mednick.
L’expérience en question s’intéressait tout particulièrement aux enfants dont la mère était schizophrène. Sur les 311 enfants en question, 207 étaient nés d’une mère schizophrène, et les autres, qui formaient le groupe témoin, étaient nés d’une mère qui ne l’étaient pas. Wennick faisait partie de ce second groupe.
Comme pour les expériences déjà réalisées auparavant en la matière, Wennick reçut de petites incitations à prendre part à ces expériences, sans aucune information. Ce n’était pas très difficile : il avait 11 ans, avait grandi dans l’orphelinat de Godthåb, accompagné, selon ses boutades, de Dieu et de châtiments corporels. On lui avait promis des choses intéressantes à l’Hôpital municipal. Rien que pour y prendre part, on lui donnerait 16 couronnes norvégiennes. On l’assit sur une chaise, un casque muni d’écouteurs sur les oreilles, et il fut sujet à des affirmations, des cris et des bruits effrayants. On positionna des électrodes sur son corps, on mesura ses pulsations cardiaques, sa température, et ses niveaux de sudation.
Les autorités étasuniennes étaient particulièrement intéressées par le Danemark, du fait de l’existence dans ce pays d’un registre central de la population, chose que les États-Unis n’avaient pas. Le registre permettait de suivre à la trace les individus durant toute leur vie, et amena à une longue collaboration entre Mednick et le professeur danois qui était en poste à l’Hôpital municipal, Fini Schulsinger.
Ce dernier allait beaucoup utiliser ce projet lors de sa thèse de doctorat, en 1977. Chose inhabituelle, la thèse de Schulsinger ne fut pas sujette à la défense publique habituelle, car le ministère de la Justice autorisa qu’elle fût soutenue à huis clos. Les raisons en étaient à la fois hypocrites et déshonorantes : préserver l’anonymat des enfants qui étaient utilisés, et s’assurer qu’ils ne connussent pas les raisons de ce programme d’expérimentation mené sur eux.
Jusqu’à nos jours, les contributions apportées par Schulsinger, en tant que fondateur et directeur du Psykologisk Institut de cet hôpital ont été reconnues avec quelque admiration, un auteur affirmant qu’il « a apporté des contributions importantes à la compréhension des problèmes innés-acquis au sein de la psychiatrie. » De toute évidence, cette admiration ne s’étend pas au spectre de l’éthique médicale.
Le programme auquel prit part Wennick était presque certainement une violation du code de Nuremberg de 1947, qui stipule que « Le consentement volontaire du sujet humain est absolument essentiel. » Le consentement ne peut être obtenu éthiquement que lorsque la personne a la capacité légale de l’accorder, dispose de l’exercice de son libre-arbitre, et est « suffisamment informé et comprend bien les éléments du cadre impliqué, afin de lui permettre de prendre une décision pleine et éclairée. »
Chose gênante pour Wennick, il est resté un sujet d’intérêt des décennies durant. En 1974, il a prit part à ce qu’il pensait être le dernier essai, mais ne reçut aucune réponse sur le type de recherche qui était menée. Dix ans plus tard, alors qu’il venait se faire soigner pour un problème dermatologique à l’hôpital, il a découvert avoir été le sujet d’intérêt des psychologues à chaque fois qu’il sollicitait le système de santé. « Je pense », déclare-t-il, « qu’il s’agit d’une violation de mes droits humains en tant que citoyen de cette société. »
Une source importante de financement du projet de l’Hôpital municipal, apportée sous les auspices du système de santé étasunien, fut le Human Ecology Fund, une façade de la CIA, supervisée par Harold Wolff. Le fonds, qui apporta quelque 21 000 $ au programme danois, s’avéra constituer une source vitale pour la tenue de projets de recherche, pour mieux informer l’agence quant à l’usage de torture et de techniques d’interrogations.
Pris de cours par cette révélation peu ragoûtante, Alan Howard et Robert Scott, récipiendaires involontaires de cette dotation de la CIA, ne purent que regretter les circonstances, et affirmer que leurs travaux étaient nobles, malgré le fait que les sources de financement ne l’étaient pas. « L’ensemble de nos contributions à la littérature de santé et d’assistance publique a été écrit avec pour objectif de soulager les souffrances humaines, pas de les utiliser pour en tirer des avantages hégémoniques. » Les universitaires et les chercheurs peuvent vraiment se révéler des créatures joyeusement ignorantes.
Il s’agit d’une révélation délectable, au sein des guerres de propagande sur les droits de l’homme menées par l’administration Biden, dans ses combats contre les démons autoritaires et les croque-mitaines violents. Le ministère chinois des affaires étrangères a été heureux de pouvoir inverser la situation et de dénoncer l’hypocrisie creuse des propos étasuniens, en s’étalant sur le projet financé par la CIA au Danemark. Au mois de janvier 2022, Zhao Lijian, porte-parole du ministère des affaires étrangères, a appelé de manière acerbe à ce que les États-Unis présentent leurs excuses et proposent des indemnisations aux victimes de ces « expériences secrètes ».
Ces indemnisations pèseraient lourd sur le Trésor étasunien. Des décennies durant, des expériences interdites et contraires à toute éthique ont été conduites par les autorités étasuniennes sur des citoyens qui n’en soupçonnèrent rien. En 1932, le Tuskegee Institute, travaillant avec le Service de Santé Public des États-Unis, a entamé des travaux sur l’histoire naturelle de la syphilis, qui allaient beaucoup attiser les soupçons vivaces entretenus à l’encontre des autorités de santé publique et leurs ignobles intentions. L’étude du Tuskegee sur la Syphilis non-traitée sur les hommes noirs commença avec 600 hommes noirs, 399 d’entre eux affectés par la syphilis, 201 non-affectés. On ne s’occupa pas de recueillir leur consentement, et l’on se contenta de dire à ces hommes qu’ils étaient soignés parce qu’ils avaient le « sang contaminé ». Des incitations furent proposées aux participants : des repas gratuits, des assurances obsèques, et des examens médicaux gratuits.
Il a fallu quarante années avant qu’un jury consultatif, établi par l’Assistant au Secrétaire des Health and Scientific Affairs découvrît, en ne faisant montre de guère d’indignation, que l’étude avait été « éthiquement injustifiée », produisant des résultats « disproportionnellement maigres au vu des risques connus subis par les sujets humains ».
Dans sa volonté de jouer le véritable citoyen international sur ce sujet, l’imperium étasunien s’est mis à étendre des expériences de ce type à l’étranger. En 1946 [Donc, l’année-même où furent tenus les procès de Nuremberg, appliquant des lois rétroactives aux criminels de guerre nazis, NdT], le gouvernement étasunien s’est trouvé impliqué dans des essais médicaux affectant au moins 5128 Guatémaltèques, non-informés et non-consentants, dont des enfants, des orphelins, des prostitués majeurs et mineurs, des patients de la lèpre, des prisonniers, des soldats, des patients atteints de troubles mentaux et des Indiens du Guatemala.
Quelque 1308 personnes de ce groupe se virent inoculées la syphilis, la blennorragie et le chancre. Sur d’autres, on mena des essais de sérologie. « Les chercheurs », écrivent Michael A. Rodriguez et Robert García, « ont systématiquement et de manière répétée porté atteinte à des personnes profondément vulnérables, dont certaines étaient dans des états affligeants et désespérants, et ont grièvement empiré leurs souffrances ».
Un rapport est ensuite paru sur les expériences, produit par le gouvernement guatémaltèque, Consentir el Daño: Experimentos Médicos de Estados Unidos en Guatemala ( Consentir au Mal : Expériences médicales menées par les États-Unis au Guatemala), établissant que ces actions constituaient « un crime contre l’humanité ». La Presidential Commission for the Study of Bioethical Issues étasunienne évita ces termes dans ses deux rapports, mais reconnut que les expériences seraient « impossibles » à mener selon les cadres éthiques en vigueur.
La réponse apportée par Washington aux survivants du programme tenu à l’Hôpital municipal de Copenhague et financé par la CIA ne dépassera très probablement pas la présentation d’excuses à peine audibles. Wennick et ses compatriotes co-victimes s’en sortiront sans doute mieux en s’en prenant aux responsables au sein de leur pays, en ciblant les connivences et complicités des dirigeants danois qui ont permis que cette sordide entreprise fût menée.
Binoy Kampmark
Traduit par José Martí, relu par Wayan, pour le Saker Francophone
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Source : Lire l'article complet par Le Saker Francophone
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