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Bien que la catégorisation soit anachronique (la notion de néoplatonisme ne naissant qu’au 17ème siècle en Allemagne), Plotin est le premier des néoplatoniciens ; et malgré les six siècles qui les séparent, ce dernier se considère comme un interprète de Platon, son maitre à penser détenteur de la vérité. Philosophe du IIIème siècle, Plotin est d’une certaine manière un théologien rationnel qui nourrira la théologie chrétienne du IVème siècle, inspirant les Pères de l’Eglise dans la construction des dogmes, trouvant chez Plotin une préfiguration de la Trinité.
Plotin décrit en effet la réalité suivant la procession de trois hypostases, ou grands principes, classés selon leur primauté causale, chacun engendrant le suivant selon un processus d’émanation : l’Un, l’Intellect, et l’Âme. Ce processus d’émanation, tient en ce que ces principes, en vertu de leur perfection, produisent quelque chose en plus qui découle d’eux-mêmes comme en surabondance, à la manière d’un épanchement, d’un débordement involontairement de leur activité, comme nous qui, en se déplaçant, laissons sur le sol des empruntes. Ces traces de pas sont notre production, mais non intentionnelle : elles sont un produit accidentel, bien qu’intrinsèque à ce que nous faisons. C’est ainsi que Plotin pense cet engendrement causal, qui n’a rien à voir avec une causation artisanale : ici, la cause ne s’épuise jamais et ne passe jamais dans son produit. Pour autant, et comme le suggère l’image d’écoulement, il n’y a pas une séparation stricte entre les hypostases, mais toujours une ressemblance, une imbrication des réalités, chaque strate gardant la marque du niveau supérieur qui l’a engendrée.
Au plus haut de ce système, Plotin pose l’Un, to en, principe de toute réalité, au-dessus même de l’être et de la pensée dont il est l’origine. L’Un ne peut être appelé ainsi qu’analogiquement, car rien ne peut être dit sans le trahir : en tant qu’unité parfaite, absolument simple, aucun prédicat, aucun objet ne peut lui être attribué. Il est seulement, par lui-même, puissance continue et génératrice de chaque chose, dynamis ponton qui produit la réalité, de l’Intellect aux corps matériels en passant par l’âme, et sans que cela ne l’altère. Plotin parle d’ailleurs de l’autarcie de l’Un, qui est autarkéskaton (En. (VI, 9), 6, 15) au sens d’auto-suffisant, incréé, ne dépendant de rien, et sans besoin.
De l’Un découle directement l’Intellect, c’est-à-dire les intelligibles, universel et immobile. A ce niveau, vie, être et pensée convergent : l’Intellect est par nature une réalité parfaite qui possède la capacité de se penser soi-même. Plotin reprend ici des éléments de la théologie aristotélicienne. Dans la Métaphysique, Aristote postule un Dieu qui est pensée de lui-même, pure activité, vie, et intellection. Dès qu’il y a pensée il y a multiplicité, à minima un sujet distinct de la chose pensée, mais en postulant dans l’Intellect une pensée qui est pensée d’elle-même, Plotin identifie le sujet à l’objet et unifie ces deux pôles dans une pensée non discursive qui est un « tout ensemble ». L’analogie la moins fautive de l’Intellect divin plotinien serait un objet fractal, où chaque partie reflète le tout, chaque idée se pensant elle-même et se constituant en se pensant elle-même, formant ainsi une « unité-totalité » ou « unité-multiple » (En. V, 3, 15).
Suite à l’Intellect, Plotin postule l’âme, principe d’animation. Le cosmos, l’univers, est pour lui un seul être vivant, réglé et ordonné par l’âme du monde, à laquelle s’ajoutent les âmes individuelles qui président aux corps. Plotin tendra à montrer que les âmes n’en forment qu’une, suggérant une unité profonde d’âmes-sœurs. Les trois strates de la réalité depuis l’Un jusqu’à l’âme, et encore en dessous la matière inerte, régressent ontologiquement, chaque niveau étant plus imparfait que celui dont il émane, parce que toujours plus éloigné de l’Un simple, c’est-à-dire toujours plus dispersée dans le multiple. Mais l’âme a une particularité : elle est voyageuse. Elle traverse la procession des hypostases en ayant la capacité de se fondre dans chacune d’elle, précisément parce que l’âme les contient toutes. L’exploration de l’âme n’est pas celle d’une réalité extérieure, mais d’une vie spirituelle intérieure :
« Les trois principes n’existent pas seulement dans l’univers ; ils existent encore en nous, ils constituent en nous l’homme intérieur. En effet, notre âme est une essence immatérielle, et par là elle participe à l’Âme universelle. Ensuite, comme elle juge, comme elle raisonne, et qu’elle ne saurait raisonner sans avoir des principes immuables, il faut que nous ayons en nous l’Intelligence, parce que c’est d’elle que l’âme tire ces principes immuables. Enfin, comme nous ne saurions posséder en nous l’Intelligence sans posséder également en nous sa cause, qui est l’Un, nous jouissons de la présence de l’Un, nous le touchons en quelque sorte par le fond le plus intime de notre être, et nous sommes édifiés en lui dès que nous nous tournons vers lui. »1
Toute la chevauchée de l’âme en elle-même relève d’une dynamique typiquement néo-platonicien de sortie et retour au principe : à la procession, proodos des hypostases qui s’était effectuée par descente et multiplication est corrélée à un mouvement inverse de remontée, ou conversion, epistophè, c’est-à-dire de retour au principe par réunification. Cette trajectoire, l’âme va l’opérer en commençant par se détourner du sensible, du corps dans lequel elle est incarnée, pour remonter à son origine directe, l’Intellect, puis de l’Intellect à l’Un, sommet de sa quête philosophique. Cette rencontre avec le premier principe, que Plotin nomme union extatique, est un rare état d’extase que l’âme vit à la fin de son parcours, s’unissant à cet absolu principe créateur.
La saisit de l’Intellect
Suivons donc son odyssée. La première étape est la remontée de l’âme vers le principe dont elle découle, l’Intellect. Ce retour ne peut se faire que parce que l’âme est d’essence intelligible : quelque chose en elle n’a jamais quitté l’Intellect. Pour Plotin, il s’agit plus que d’une parenté : la descente de l’âme dans le corps est réversible car elle n’est jamais complète. Une partie d’elle, sa plus élevée, est « non descendue » et capable de contempler niveau supérieure qu’est l’Intellect. L’âme est donc de nature amphibie, partagée entre deux milieux différents : celui des corps sensibles dont elle s’occupe, et celui de l’intelligible, qu’elle oublie une fois tombée dans le corps. L’âme prend en effet le monde d’ici-bas pour la seule réalité ; et si sa descente dans le corps était nécessaire, c’est à l’oublie de ce que Plotin nomme le « père »2 qu’il faut remédier : ici réside tout l’intérêt de la philosophie. La philosophie va réparer le mal de l’oubli, ouvrant la voie à un changement de perspective, un mouvement de conversion intellectuel : l’âme est conduite de la connaissance des corps qu’elle prend pour tout ce qui est, à ce qu’elle est véritablement. Elle détourne son attention du sensible et se réapproprie sa nature intelligible. Ce revirement s’opère au moyen du phénomène de la vie, qui fait se ressouvenir à l’âme sa divinité : la vie, inexplicable par des propriétés matérielles internes aux corps, lui fait comprendre que sa capacité à l’insuffler lui est permise par le fait même de sa nature différente et supérieure à la corporalité. Par la vie, l’âme intuitionne son essence intelligible et se tourne vers sa source en revenant à elle-même. Plotin écrit « Il faut que l’âme, se détachant des objets extérieurs, rentre en elle-même et examine sa propre nature : par-là, elle voit qu’ayant une étroite affinité avec les choses divines, elle peut et elle doit chercher à les connaître » (Enn. (V, I), 1). C’est en elle-même qu’elle retrouve le lien qui l’unissait à son origine, et qu’elle regagne l’Intellect, lieu de la pensée et de l’être pure. L’âme, qui ne pouvait penser les choses que successivement, les unes après les autres, par discursivité du raisonnement, rencontre l’Intellect divin où tout est visible : elle connait alors sa première extase noétique, dans laquelle elle s’identifie à l’universel et à l’immuable. Dans l’intelligible, l’âme prend part au « tout ensemble à la fois », omo panta qu’est l’Intellect. Elle n’est plus l’âme d’un corps particulier dont elle s’est soustraie : elle coïncide maintenant avec l’être tout entier. En se défaisant du corps, l’âme perd ce qui l’individualise, la personnalise, et fusionne avec la totalité de l’être et de la pensée. A ce stade, écrit Plotin :
« Que l’on songe à ces états de contemplation très profonds même ici-bas, où la pensée ne fait aucun retour sur elle-même ; nous nous possédons nous même ; mais notre activité est dirigée sur l’objet contemplé ; nous devenons cet objet ; nous nous offrons à lui comme une matière qu’il informe ; nous ne sommes plus nous-mêmes qu’en puissance. » (Enn. (VI, 9), 5, 7)3
Comme l’âme, l’Intellect aspire à retrouver sa source : ce qui est pensée demande un principe qui dépasse la pensée elle-même. Plotin postule en effet qu’à chaque fois qu’on trouve une propriété, un prédicat dans une réalité, ou quelque chose qui la détermine, cet attribut sera originé par un principe supérieur qui ne le détient pas. Ainsi, l’Intellect, et l’âme qui s’est unie à lui, regardent dans la direction de l’Un. L’intellect embarque l’âme dans la dernière étape du parcours philosophique :
« Mais dès qu’elle ressent la douce chaleur du Bien, elle prend des forces, elle s’éveille et elle ouvre ses ailes ; et, au lieu de s’arrêter à admirer l’Intelligence qui est devant elle, elle s’élève à l’aide de la réminiscence à un principe plus haut encore [au Premier]. Tant qu’il y a quelque chose de supérieur à ce qu’elle possède, elle monte entraînée par l’attrait naturel qu’a pour elle Celui qui inspire l’amour ; elle franchit la région de l’Intelligence, et elle s’arrête au Bien parce qu’il n’y a plus rien au-delà. Tant qu’elle contemple l’Intelligence, elle jouit assurément d’un noble et magnifique spectacle, mais elle ne possède pas encore pleinement ce qu’elle cherche. Tel est un visage qui ne peut attirer les regards malgré sa beauté, parce qu’il n’y joint pas le charme de la grâce. » (Enn. (VI, 9), 7, 22)
L’Un était un principe de production dans la procession des hypostases, origine du mouvement descendant ; l’Un-Bien est le principe mystique qui initie le mouvement ascendant. L’identification de l’Un et du Bien révèle l’arrière fond platonicien. Dans la République, Platon pose l’Idée du Bien au-delà de l’être, « dépassant l’être en dignité et en puissance » (VI, 509B 9-10), même si celle-ci, bien qu’au sommet de l’intelligible, reste eidos. Plotin s’appuiera néanmoins sur cette intuition pour aller plus loin, faire du l’Un non plus une idée, mais l’origine des idées. En le nommant Bien, le philosophe ne fait pas du bien une propriété de l’Un, mais nous dit simplement que c’est un bien pour nous : l’Un est bien non pas en lui-même, mais par rapport à nous. Par son rayonnement, il insuffle à l’âme le désir qui la guide. Le désir s’entend ici au sens de l’Eros philosophique, tension qui porte vers l’éternité, démon chez Platon qui assure la médiation entre les hommes et Dieu, soit dans la bouche de Diotime dans le Banquet « un intermédiaire entre le mortel et l’immortel » (202 d). Le désir a une direction : il pousse l’âme vers le haut dans le but de s’unir à l’Un, retrouver le Bien digne d’amour. Mais l’objet de son amour est au-delà de ses limites car, rappelons-le, l’âme appartient au monde de la pensée. L’âme, dans son élévation spirituelle, a pu s’installer au niveau de l’Intellect parce qu’elle était à son image. Or l’Un n’est pas un objet de connaissance : il est au-dessus de la pensée. La pure unité est au-delà même de l’intellection : elle n’a pas de rapport à la multiplicité. Comment l’âme peut-elle alors parvenir à l’Un, qui n’est ni être ni pensée ? Dès lors que l’âme, siège du raisonnement, s’élève au-dessus de l’intelligible, elle est prise dans une impasse : l’Un n’est pas de sa nature. Il dépasse toute connaissance, même la plus aboutie ; de fait, Plotin l’affirme : « L’aporie naît surtout parce que notre saisie de l’Un ne se fait ni au moyen de la science ni au moyen de l’intellection, comme c’est le cas pour les autres intelligibles, mais qu’elle résulte d’une présence qui est supérieure à la science » ((Enn. (VI, 9), 4, 1). Pour s’unir à lui, l’âme semble devoir aller au-delà d’elle-même, au-delà de ce qui constituait jusqu’ici son identité. Dans l’Intellect, l’âme avait déjà renoncé à ce qu’elle était : elle s’était soustraie au particularisme, au mouvement, au temps du sensible pour se fondre dans la pensée et l’être pure, l’immédiateté, l’éternité. Mais transportée vers l’Un, elle doit pousser plus loin encore l’abandon d’elle-même : au sommet du parcours philosophique l’attend une expérience qui, bien qu’elle s’y enracine, dépasse l’intellect sur le mode de la contemplation.
La saisit de l’Un
Plotin avait posé deux voix d’accès à l’Un : la voie rationnelle, qui consistait à admettre l’Un suivant l’axiome fondamentale de l’unité (ce qui est multiple n’est pas premier, il faut donc poser à l’origine un principe parfaitement un), et la voie mystique entreprise par l’âme, elle-même conditionnée par la détermination rationnelle de la nature de l’Un. C’est en effet son statut de puissance absolue et simple, dépourvue de toute altérité, surplombant tout ce qui est, qui va exiger que dans sa remontée jusqu’à lui, l’âme se vide de son contenu : l’âme doits’oublier elle-même. A ce stade nous dit Plotin, « l’âme n’est même plus une âme » (Enn. (VI 9), 7, 35), et c’est précisément là qu’il faut poser l’extase mystique : dans un renoncement qui est de l’ordre d’une épuration. Quand elle atteignait l’Intellect, l’âme le faisait en renonçant à sa situation inférieure d’âme corporelle incarnée dans le sensible ; de même en remontant à l’Un depuis l’intelligible, elle renonce à ce qu’elle est, pensée et intellection, pour se réconcilier avec une pureté essentielle qui n’est pas en dehors d’elle-même, mais en elle-même, comme intimement central. L’âme s’épure alors au point de n’être plus que ce qu’elle contenait déjà essentiellement : l’Un. Ses fonctions intellectives comme la mémoire, sa capacité de raisonnement, sa sensibilité n’étaient que des dérivés accidentels : elles se sont adjointes à l’âme au moment de sa chute dans la matière.4 En remontant au premier principe, elle s’affranchit de toutes les contraintes du sensible, celles liées à la génération. Pour Plotin, « C’est en ignorant toutes les choses, d’abord celles qui proviennent de la sensation […] et en s’ignorant enfin elle-même, qu’elle doit parvenir à la contemplation de l’Un » (Enn. (VI, 9) 7, 15-20) : seule une « âme nue », une âme dépouillée, peut saisir l’Un, car ce n’est qu’en s’effeuillant qu’elle retrouve en elle-même cette unité simple et primordiale, ou comme l’écrit Plotin : « Lorsque l’on voit le Premier, on ne le voit pas comme différent de soi, mais comme un avec soi-même » (Enn. (VI, 9), 9, 10). Les termes d’« extase » (ékstasis littéralement, une « sortie de soi-même », utilisé une seule fois dans les Ennéades) et de « dépassement » sont trompeurs: ce qui ressemble à un élan vers l’extérieur est en réalité un retour intérieur de l’âme sur elle-même. Elle ne sort pas d’elle-même : elle revient en elle en se délestant du superficiel, de ce qui était surajouté de l’extérieur, pour retrouver l’Un, « présence » dans un retour à soi, et qui se révèle à la manière d’une vision unifiante, d’un contact simple et immédiat. Elle trouve l’Un, ou du moins sa trace indélébile, la parousia divine qui l’habite : « L’âme est… contente d’être auprès de lui… elle se réjouit de le contempler, elle a conscience d’avoir en elle quelque chose de lui… » (Enn. (VI, 9), 7, 30). L’âme parvenue à la contemplation de l’Un ne forme plus qu’un avec lui : il n’y a plus ni sujet qui voit, ni objet qui est vu. Seule réside la simple unité indistincte, atteint l’âme au moyen de « autodépassement »5 qui, s’il peut se rapprocher d’une déconstruction de son identité, est en réalité ce qui la mène au plus grand sentiment de complétude. L’expérience mystique est une expérience supra-intellectuelle ou « supra-logique »6 à laquelle l’âme parvient par « donation de soi » ou « simplification de soi » (En. (VI, 9), 11, 20). Pour Plotin :
« A ce moment-là, il lui est donné de juger et connaitre parfaitement que « c’est Lui » qu’elle désirait, et d’affirmer qu’il n’y a rien de préférable à Lui, car là-haut, aucune tromperie n’est possible : où trouverait-on plus vrai que le vrai ? Ce qu’elle dit donc : « c’est Lui ! », c’est en fait plus tard qu’elle le prononce, maintenant, c’est son silence qui parle : remplie de joie,elle ne se trompe pas, précisément parce qu’elle est remplie de joie et elle ne le dit pas à cause d’un plaisir qui lui chatouillerait le corps, mais parce qu’elle est devenue ce qu’elle était autrefois quand elle était heureuse. » ((VI, 7), 34, 25-30)
Dans son union intime avec l’Un, l’âme connaît le contentement suprême. Baignant dans le Bien, elle ignore les maux du monde sensible, et aime de l’amour le plus pure qu’il soit. Plotin parle ici d’une condition originaire, primitive de l’âme, avec laquelle elle renoue. L’âme, par la contemplation de l’Un, est revenue à son état-prénatal, celui qui la faisait vivre auprès de l’Un-Bien. Le désir l’âme était animé d’une ambition génétique : elle côtoyait l’Un avant même qu’elle ne se mette à sa recherche. Sur sa route, elle ne s’est pas auto détruite : elle s’est détachée de la pensée et de la conscience afin de se retrouver telle qu’elle était originellement. Finalement, l’état de félicité de l’âme, sommet de son parcours, est à la fois un état antérieur, originel, et postérieur : l’Un est à la fois l’avant et l’après du cheminement de l’âme, et l’extase n’est autre que le point de jonction : le point final de la quête est aussi le point de départ. Il ne faut cependant pas comprendre ce point suivant une temporalité, mais suivant une relation de dépendance : tout est contenu dans tout. Il n’y a pas de structure rectiligne : l’anabase de l’âme n’est pas verticale, elle est circulaire, et c’est cet argument qui va assurer la survie de l’âme dans l’extase, et non son anéantissement. De même à l’échelle de l’univers, tout être tend vers la fin universelle qu’est l’Un, et qui est aussi l’origine universelle de tout. Pour Plotin « ce sont là son « principe » et sa « fin » : le principe, parce qu’elle vient de là-bas, la fin, parce que le bien est là-bas. » (Enn. (VI, 9), 9, 20) A tous les niveaux, il y a donc comme une volonté de réunir le début et la fin, à la manière du Christ : « Je suis l’alpha et l’oméga, le premier et le dernier, le commencement et la fin » (Ap. 22 :13).
Même si l’extase plotinienne est fugace, l’âme finissant toujours par retourner à son incarnation, c’est finalement à nous de décider à quel niveau de réalité nous voulons vivre. Certes nous ne pouvons pas nous désincarner, raison pour laquelle l’union de l’âme avec l’Un n’est pas une fusion puisqu’elle finit nécessairement par se rompre, mais notre âme est à même de se transporter jusqu’au sommet de la vie spirituelle en se transfigurant. C’est en se « dépersonnalisant », en se dépouillant suivant une exigence d’abnégation, que l’âme retrouve le divin dans une illumination mystique. Plotin nous dit que la vie véritable est un ailleurs qui est un au-dedans : un au-delà du monde physique, dans une forteresse intérieure, en communion avec le principe de toute choses : « Telle est la vie que mènent les dieux et les hommes divins et bienheureux : être libéré des choses d’ici-bas, vivre sans trouver son plaisir dans les choses d’ici-bas, fuir seul vers lui seul. » (Enn. (VI, 9), 11, 50).
Camille Mordelynch
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