Choc & Stupéfaction de la raison
9 février 2022 (19H00) – Sommes-nous capables de voir les évidences ? Grande question aux jours d’hégémonie du système de la communication, et qui vaut pour les plus expérimentés et les plus sensibles aux choses politiques, et souvent d’une façon louable. Je prends le cas de Matthieu Bock, sociologue, politologue, et archétype de l’intellectuel québécois rétif à l’influence anglo-saxonne, délégué par ce courant sur la scène médiatique et intellectuelle parisienne et donc plutôt ami des courants souverainistes et patriotes.
Pour moi, sur son terrain d’élection, particulièrement dans la bataille anti-wokeniste, il fait « du bon boulot » selon l’immortelle parole du non moins immortel quoiqu’ex-ministre français des affaires étrangères, et actuel gardien du temple qu’est le Conseil Constitutionnel au service du président actuel et de sa mouvance sinueuse et détestable. Bref, je suis incliné à voir dans Bock-Côté un dénonciateur de la fameuse ‘doxa’ (néolibérale), et ma citation du mot de Laurent Fabius était plutôt pour l’opposer à ce personnage incroyablement traître et sirupeux, gluand et incroyablement salonard de Paris, qu’est l’ancien “plus jeune Premier ministre de France” du byzantin président Mitterrand.
Lorsque j’identifie telle ou telle personne au côté de laquelle je peux me retrouver dans telle ou telle bataille importante (l’anti-wokenisme dans ce cas), j’ai tendance à me sentir en confiance, conforté dans mes sentiments antiSystème généraux, et croire que je me retrouverai à ses côtés dans toute autre bataille du même gabarit. C’était le cas pour le ‘Freedom Convoy’, dont on sait avec quelle empathie je l’accueillis (le 29 janvier) après une courte et simple réflexion, selon la non-moins simple formule que “tout ennemi de mon ennemi [le Système] est mon ami” qui est si vraie pour la sorte d’Armageddon que nous vivons. C’était au fond un peu le même sentiment pour Bock-Côté, et je l’attendais avec grand intérêt sur le terrain des “truckers” canadiens, puisque Canadien lui-même.
Quelle ne fut pas ma surprise de l’entendre, le 1er février sur CNews, à ‘Face à l’Info’ (voyez la vidéo, autour de 49’30”). Bock-Côté expédia rapidement le ‘Freedom Convoy’, et d’une façon assez peu agréable, citant notamment des “groupes douteux”, des “suprémacistes blancs” qui sont « le poison de l’Amérique du Nord » (ce n’est pas mon jugement, lorsqu’on décompte les ignominies que le système américaniste a développé en deux siècles et demi, et continue à développer y compris lorsqu’il dénonce pour la conformité tactique les “suprémacistes blancs” ; et Bock-Côté devrait savoir, avec ses chers Québécois qui sont du style “pur blanc-de-blanc” et l’ayant subi eux-mêmes, qu’il ne peut être à cet égard question que de “suprémacisme anglo-saxon”, dans lequel je mets avec enthousiasme un certain nombre de blacks bien intégrés dans le Système passé à l’éteignoir du wokenisme) ;
et de toutes les façons enfin, au terme de sa péroraison, et c’est ce qui m’importe, Bock-Côté jugeant que ce mouvement sans raison d’être était d’ores et déjà en train de se désintégrer.
Il y est revenu une semaine plus tard, dans la même émission, celle du 8 février (vidéo à 50’00”), où il ne dissimula pas la surprise, la stupéfaction même où il se trouvait de voir au contraire le mouvement se développer et devenant une sorte de modèle mondial pour une contestation anti-Covid (contre les contraintes). D’une certaine façon, il joua cartes sur table et fort loyalement, reconnaissant indirectement son erreur de jugement en première instance ; et cela, constatant en plus dans l’événement la sorte de situation où l’on ne voyait pas matière à réduire la crise par un compromis, donc on en pouvait déduire qu’elle témoignait d’un « profond malaise » en général, un peu dans toute la population. Cela vaut pour le Canada, mais aussi pour les autres pays où le ‘Freedom Convoy’ est promis à s’étendre, comme cela vaut pour les Gilets-Jaunes, comme cela vaut pour l’abstention en France, comme cela vaut pour les folies et la bêtise du wokenisme, comme cela vaut pour le radicalisme de la catastrophe climatique, comme cela vaut pour la vogue sensationnelle du complotisme, comme cela vaut pour les conspirationnistes et les anti-conspirationnistes, comme cela vaut pour nos folles ukrainiades…
Partout, absolument partout règne ce que je ne peux qualifier que de “malaise métaphysique” ; et lorsque l’on a un 35 tonnes sous les pieds, l’on exprime son malaise avec son 35 tonnes !
On reconnaîtra mon propos à cet égard, et je ne le trouve pas déplacé : tout ce que nous constatons et jugeons en fait de subcrises et d’hystérie de la psychologie renvoie à la Grande Crise qui nous embrasse et nous emprisonne dans son ombre, et au Système comme création diabolique ; tout cela, chaque jour source de troubles divers, exprimé par ces troubles divers, démontré par eux… La “lecture” des événements est à cet égard d’une très grande simplicité, elle ne fait pas un pli.
Je dirais donc ma plus grande surprise et même stupéfaction de celles qu’exprima Bock-Côté, tout en précisant d’une façon paradoxale que je ne suis pas pour autant surpris ni stupéfait par cette sorte d’absence chez lui de l’interprétation la plus simple et la plus évidente, et qui se confirme ensuite. Tout cela est si plein de contradictions, de nécessités d’intuition, de perceptions du symbolique, d’un maniement de la raison qui doit être précieusement enfermée dans les limites strictes de sa conformation en outil de l’esprit (au service de l’esprit) et non pas d’“esprit à la place de l’esprit”.
De même, je n’ai pas été surpris ni stupéfait par le ‘Freedom Convoy’, ni par le Covid si l’on veut remonter plus loin, dans ce qu’ils ont d’événements antiSystème, d’attaques contre le Système, d’une façon ou l’autre ; mais à chaque fois j’ai été totalement et absolument surpris et stupéfait par la forme, l’originalité, l’imprévisibilité de l’événement.
Je veux dire qu’il faut être prêt à tous les possibles, y compris ceux qui le sont le moins, c’est-à-dire les possibles les plus fous, les plus insaisissables, les plus impensables, les plus hors de portée de notre savoir et de notre divination (les “knowns/knowns-unknownw/unknowns-unknowns du philosophe Rumsfeld, en privilégiant absolument le troisième de l’équation, « les choses que nous ne connaissons pas, et dont nous ne savons pas par conséquent que nous ne nous les connaissons pas ») ;
et l’on est d’autant plus prêt à cet affrontement avec l’inconnu que l’on donne, raisonnablement si l’on veut et sans craindre le paradoxe, le moins possible de sa confiance aveugle aux prétentions d’autonomie universelle et d’arrogante certitude de sa propre raison (tout en s’en servant sans hésiter ni barguigner sur l’ouvrage, comme on tord un torchon) ;
car notre raison est cet outil à manier rudement s’il vous plaît, servant d’abord à nous éclairer sur les impuissances de la raison à comprendre le destin du monde ;
car, à un autre propos, j’écrivais ceci alors que nous avions pénétré de plein fouet dans l’année du Covid :
« Alors, bien entendu et aussitôt, j’ajouterais que je ne tiens en rien du tout la raison comme un instrument assurant la mesure et la sagesse, encore moins l’harmonie, l’équilibre et l’ordre. “Que j’aime à voir cette superbe raison humiliée et suppliante”, écrit Pascal, voilà plutôt ce qui me va diablement. Dans sa ‘Nuit de Gethsemani : Essai sur la philosophie de Pascal’ où il fait un parallèle saisissant entre Pascal et Nietzsche, qui eurent toute au long de leur vie, la maladie et la souffrance pour les hisser au-dessus de la raison [laquellle, “par ses vérités propres, fait de notre monde le royaume enchanté du mensonge”], Leon Chestov observait ceci qui implique d’autres personnages :
“Platon disait à Diogène qu’il n’avait pas l’‘organe’ nécessaire pour voir les ‘idées’, et Plotin savait que la vérité n’est pas ‘un jugement obligatoire pour tous’ : Pour voir la vérité, enseignait-il, il faut ‘survoler’ toutes les choses obligatoires, il faut s’élever ‘au-delà’ de la raison et de la conscience”… On comprend bien que je me range derrière cette noble cohorte lorsque je parle, par exemple, – car je change de désignations pour personnaliser ces choses que je ne connais pas mais en l’influence et à l’inspiration desquelles je crois, – de ces “fameuses forces suprahumaines”. »
Tout cela me conduit à dire et à redire sans la moindre hésitation, ni la moindre crainte de me faire apostropher comme une sorte d’illuminé, que je reconnais sans difficulté l’extraordinaire capacité d’originalité, la créativité sans fin des “forces supérieures” (ces « fameuses forces suprahumaines ») qui créent et ordonnent les événements dont nous sommes les jouets, pour les faire évoluer, – accélérer, se précipiter, s’expédier, aussi vite que possible dans le sens qu’il faut. Notre surprise et notre stupéfaction doivent se mêler, c’est dans tous les cas mon fait, d’une certaine admiration : “Bravo l’artiste”. Cela signifie d’ailleurs, outre l’admiration, que les “forces supérieures” sont figurées dans mon jugement absolument intuitif comme autant d’“artistes”, matrices de l’“âme poétique”, exigeantes sur l’esthétique, sur la beauté des actes en cours, sur la sublime harmonie de l’acte décisif de la destruction de l’enfer où le démon tente de nous enfermer.
Aujourd’hui, il faut être à l’affut, prêts à se saisir d’un événement pour trouver la marque de l’antiSystème, de l’autodestruction, de tout ce qui, pour nous, forme un sens absolument décisif.
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