Par Leonid Savin − Le 24 janvier 2022 − Source Oriental Review
Comment les partisans de la guerre essayent d’influencer le résultat des discussions entre la Russie et l’OTAN.
Alors que les dirigeants du Département d’État recherchent des compromis possibles avec Moscou sur le sujet de la sécurité européenne (un sujet vraiment difficile pour eux, vu qu’il leur faut sauver la face), le lobby russophobe, implanté dans diverses institutions, appelle activement à l’adoption d’une ligne dure. Voyons leurs propositions.
Christopher Bort, l’ancien officier de renseignement représentant le Carnegie Endowment for International Peace, estime : « Peu de gens en Occident sont désireux de négocier réellement avec Poutine, surtout lorsqu’ils sont habités par des mensonges tellement éhontés qu’ils en recourent au chantage. Même si les gouvernements occidentaux pouvaient accepter des compromis sur les points clés — fermer la porte ouverte de l’OTAN à une adhésion ukrainienne, par exemple, ou s’abstenir de critiquer les violations des droits de l’homme au sein de la Russie — une image fausse est faite de Poutine, selon laquelle il ne ferait que rechercher les faiblesses de ses interlocuteurs sans entretenir la moindre intention de satisfaire aux obligations qu’il aura négociées. » En d’autres termes, il n’est pas nécessaire de prendre en compte les propositions de la Russie.
Seth Jones, vice-président du CSIS, dans une publication partagée avec Philip Wasielewski, ancien officier paramilitaire de la CIA, réfléchit à l’« invasion de l’Ukraine » par la Russie. Se comportant comme si strictement aucune proposition n’avait été avancée en vue de normaliser les relations, ils proposent un train de mesure comprenant non seulement de graves sanctions économiques, mais aussi la livraison à l’Ukraine de technologies et d’équipements militaires sans contreparties, ainsi qu’un soutien humanitaire et des renseignements, accompagnés d’actions clandestines menées par la CIA si le Congrès refuse d’adopter les projets de loi s’y afférant.
Selon Daniel Kochis et Luke Coffey, de l’Heritage Foundation, conservatrice : « Le temps joue peut-être en faveur des États-Unis et de leurs alliés : pour des raisons financières et politiques intérieures, la Russie ne peut pas indéfiniment maintenir son accumulation massive aux abords de la frontière ukrainienne ; elle ne peut pas non plus ignorer que d’ici quelques semaines, l’hiver va reculer en Ukraine (ce qui facilitera les défenses), que l’armée ukrainienne continue de déployer de nouveaux systèmes qui vont compliquer toute nouvelle incursion, ou que l’intervention russe au Kazakhstan a modifié certains calculs géopolitiques. Les États-Unis et leurs alliés, ayant accepté de mener des discussions avec la Russie, doivent sortir de ces discussions avec aussi peu de dégâts que possible, puis soutenir la tâche consistant à renforcer la défense collective de l’OTAN, ainsi que la capacité de l’Ukraine à se défendre par elle-même. »
Ils proposent sept règles que les États-Unis devraient suivre :
- Ne pas proposer de fermer la porte de l’OTAN, ni même de l’entrebâiller… Les États-Unis et leurs alliés doivent diffuser un message clair, selon lequel la politique de porte ouverte [aux nouvelles adhésions, NdT] de l’OTAN reste fermement en place pour les pays répondant aux critères… Alors que l’Administration peut être tentée de proposer un moratoire sur les nouvelles adhésions, en échange d’une désescalade (surtout pour les nations qui sont loin d’être prêtes à adhérer), des garanties de cette nature sont non seulement mauvaises par principe, mais la Russie ferait également pression sur l’Alliance pour étendre sans limite de fin un tel moratoire, ce qui lui accorderait de facto un veto sur l’élargissement de l’Alliance.
- Ne pas sacrifier les inestimables exercices d’entraînement avec les partenaires européens… Le plus grand atout des États-Unis est son réseau d’alliances, et l’huile qui permet de faire tourner ces alliances rondement d’un point de vue militaire est apportée par des exercices militaires réguliers, qui aident nos alliés à développer de la cohésion et une conscience opérationnelle conjointe, tout en testant les capacités de contrôle, de nouveaux moyens, de tactiques de la part des commandements, sous conditions de stress.
- Ne pas laisser la Russie leur imposer quand, où, ni avec qui les États-Unis mènent des exercices.
- Ne pas négocier le droit à l’auto-défense de l’Ukraine… Comme habilités par plusieurs lois d’habilitation à la défense nationale, les États-Unis devraient consentir des fonds pour augmenter leur assistance à l’armée ukrainienne, avec davantage d’armements anti-blindés, d’armements anti-aériens, et d’armements légers, avec des restrictions moindres ou plus flexibles… Les États-Unis devraient chercher des moyens de soutenir le développement et les capacités de la marine ukrainienne.
- Ne pas retirer de soldat étasunien hors d’Europe. Les soldats étasuniens restent en premier chef en Europe car cela relève des intérêts de la sécurité nationale des États-Unis.
- N’accepter aucune concession quant à la présence étasunienne ou de l’OTAN dans les pays alliés d’Europe de l’Est. Une autre concession clé demandée par la Russie est le retrait des soldats des États-Unis et alliés, ainsi que des systèmes d’armement de tout membre de l’OTAN ayant rejoint l’alliance depuis 1997. Les États-Unis et l’OTAN devraient rejeter les demandes de la Russie, qui affecteraient directement presque la moitié des membres de l’alliance.
- N’accepter aucune vague promesse que les États-Unis pourraient regretter à l’avenir. Il est certes tentant d’accorder une concession à une demande russe qui n’est pas pertinente immédiatement, qu’il s’agisse de l’adhésion de pays loin de remplir les conditions d’adhésion, de limiter le déploiement d’armes nucléaires tactiques et de systèmes de portée intermédiaire en Europe, ou même du soutien étasunien à la société civile en Russie et dans les nations voisines, des garanties consenties en hâte peuvent revenir plus tard hanter les États-Unis dans les décennies à venir.
L’Atlantic Council, le groupe de réflexion de l’OTAN, a adopté le positionnement le plus odieux.
Dans un article paru dans le New Atlanticist le 14 janvier 2022, Tom Tugendhat, président du comité des affaires étrangères anglais, écrit : « Au Royaume-Uni, le Foreign Affairs Select Committee parlementaire, que je préside, va prochainement lancer une nouvelle investigation sur la Russie et le blanchiment d’argent kleptocratique, sur la base de nos travaux de 2018. Mais une conversation élargie doit être menée : les alliés occidentaux devraient établir un ensemble de standards éthiques à destination des anciens hommes politiques, pour mettre fin à cette ‘Schroederization’ en limitant leurs possibilités de travailler avec les entreprises d’État des États autoritaires hostiles et les entreprises qui leur sont associées. Partout en Europe, nous — les élites occidentales — devrions tarir le marché pour les kleptocrates. »
En commentaire des discussions du 17 janvier 2022, Daniel Fried, un membre émérite de l’Atlantic Council, écrit : « Les États-Unis et l’Europe sont … bien placés pour l’emporter dans cet affrontement, s’ils maintiennent la pression sur leur détermination et leur puissance. Comme à l’époque de la Guerre Froide, le Kremlin dispose de l’avantage tactique d’être en mesure de menacer et de fanfaronner à volonté. Mais, comme nous l’avons également appris durant la Guerre Froide, la tyrannie intérieure maintient la Russie dans une position faible économiquement, fragile politiquement, et en fin de compte incapable de tenir une confrontation prolongée contre les États-Unis et l’Europe. En Russie, Poutine a tous ses canons. Mais la société russe ne semble pas enthousiaste à l’idée d’une longue guerre contre l’Ukraine. S’engager dans une telle guerre serait un coup de poker risqué de la part de Poutine. Si le Kremlin agit ainsi, ou s’il provoque suffisamment l’Occident par d’autres moyens, des contre-pressions soutenues risquent d’en sortir, qui finiront mal pour le Kremlin… Les États-Unis et l’Europe ne devraient prendre aucune part à cela. Ils devraient rester patients, déterminés, et répondre avec fermetés aux provocations. Alors, le Kremlin pourrait en venir à arrêter les ultimatums, pour entrer dans une discussion plus productive au sujet de la sécurité européenne, possiblement en rétablissant des mesures de contrôle sur les armements, de transparence et de stabilisation, mesures que le Kremlin a ignorées, violées ou dénigrées au cours des récentes années. Il existe une voie de sortie, mais les semaines à venir pourraient être difficiles. »
Le 18 janvier 2022, Christopher Skaluba et Conor Rodihan, du Scowcroft Center for Strategy and Security de l’Atlantic Council, ont suggéré que l’absence de consensus sur les sujets de sécurité avec la Russie n’est pas un problème. L’OTAN est une alliance forte, et ses membres sont suffisamment flexibles pour agir hors du cadre propre à l’OTAN.
Aussi étrange que cela puisse apparaître, la vision la plus équilibrée a été celle de Samuel Charap, de la RAND Corporation, qui écrit : « Au mois de décembre 1996, les alliés de l’OTAN ont déclaré qu’ils n’avaient ‘aucune intention, aucun projet, ni aucune raison de déployer des armes nucléaires sur le territoire des nouveaux membres’ — ce que l’on appelle les ‘trois nons’. Cette déclaration a été réalisée avant qu’aucun des nouveaux membres aient rejoint l’alliance. S’il était acceptable pour l’OTAN de s’engager de la sorte il y a 25 ans, cela devrait rester acceptable aujourd’hui. Affirmer que l’alliance n’a aucune intention d’accorder l’adhésion à l’Ukraine pour l’instant ne devrait être consenti qu’en échange d’une diminution tangible de la taille des armées russes situées à cette frontière… Si reconnaître cette réalité peut éviter un conflit capable de détruire l’Ukraine et de déstabiliser l’Europe, le prix en semble faible. »
Mais l’OTAN semble avoir la mémoire extrêmement courte. Elle ne se souvient même pas des promesses consenties à Mikael Gorbatchev, selon lesquelles l’alliance ne s’étendrait pas vers l’Est après la réunification allemande. Au vu de la profondeur de l’amnésie des négociateurs auxquels les diplomates russes sont exposés, les négociations promettent d’être extrêmement difficiles.
Leonid Savin
Traduit par José Martí pour le Saker Francophone
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