Alors que le Québec redescend du sommet d’une cinquième vague qui l’a pris par surprise, ses différents commerces et services sont en train de rouvrir tranquillement. Les propriétaires et gérants de restaurants, magasins, cinémas, quincailleries doivent toutefois gérer tout un casse-tête avec l’extension du passeport vaccinal dans plusieurs lieux qui n’y étaient pas soumis auparavant. Si les médias parlent beaucoup des règles byzantines qui régissent son application dans les magasins à grande surface, on passe sous silence le problème énorme que pose l’imposition du passeport vaccinal aux lieux de culte.
Chose surprenante pour certains, un lieu de culte, que ce soit une église, une mosquée ou une synagogue, n’est pas la même chose qu’un gym, un restaurant ou un théâtre. En effet, le premier droit mentionné dans la charte canadienne des droits et libertés est la liberté de conscience et de religion.
Plusieurs questions se posent :
L’accès à ces lieux, en vue du libre exercice de la religion qui est un droit fondamental, peut-il être conditionnel à l’obtention d’un passeport vaccinal ?
Au-delà des devoirs et des droits du gouvernement dans cette affaire, qu’en est-il des croyants et de leur communauté ?
Légal ou pas ?
Depuis bientôt deux ans, le Gouvernement du Québec a déclenché l’état d’urgence sanitaire. Cette mesure, prévue dans la Loi sur la santé publique, accorde au Gouvernement des pouvoirs quasi illimités pour employer les actions nécessaires lorsqu’une « menace grave à la santé de la population, réelle ou imminente, exige l’application immédiate de certaines mesures prévues à l’article 123 pour protéger la santé de la population. »
Ces mesures incluent, sans toutefois s’y limiter, la fermeture des lieux de rassemblements ainsi que l’interdiction de l’accès, pour certaines personnes, à certaines parties du territoire.
Comme la République romaine pouvait, en temps de crise, nommer temporairement un dictateur, c’est-à-dire un magistrat détenant un pouvoir absolu en cas de grave danger, de la même manière, l’état d’urgence accorde des pouvoirs « dictatoriaux » au gouvernement. C’est ainsi que les mesures sanitaires sont appliquées par décret (c’est-à-dire dictées par le ministre de la Santé) plutôt qu’adoptées par l’Assemblée nationale comme ce serait le cas en temps normal. Il faut toutefois se rappeler que la loi qui permet ces mesures a, elle, été adoptée démocratiquement.
Donc, à la question de savoir si le Gouvernement du Québec a le droit d’imposer un passeport vaccinal, la réponse est oui : cette mesure est permise selon l’article 123 de la Loi sur la santé publique. En fait, selon la loi, l’État pourrait aller plus loin et même imposer la vaccination obligatoire.
Un droit fondamental, mais pas absolu
Alors, pourquoi en faire un plat lorsqu’elle s’applique aux lieux de culte ? C’est que c’est un peu plus compliqué.
Le problème est que la Loi québécoise est soumise aux dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés. Les premiers articles de la Charte décrivent les libertés fondamentales de tous les Canadiens, liberté de religion, d’expression, de réunion pacifique, etc. Ainsi, une loi (ou un décret), qu’elle soit fédérale ou provinciale, peut être invalidée par la cour si celle-ci juge qu’elle brime ces droits et libertés. (La disposition de dérogation – ou clause nonobstant – peut à son tour permettre à une loi de contrevenir à la constitution… mais c’est une autre histoire.)
Article 2
Chacun a les libertés fondamentales suivantes : la liberté de conscience et de religion.
On pourrait donc croire que l’application du passeport vaccinal dans les lieux de culte constitue une atteinte à la liberté de conscience et de religion des personnes qui ne sont pas vaccinées, ou qui, par motif de conscience, refusent d’utiliser un passeport vaccinal.
Mais si l’article 2 de la Constitution canadienne décrit la liberté de religion comme droit fondamental, elle n’est pas un droit absolu. L’article 1 détermine sous quelles conditions particulières ces droits et libertés pourraient être restreints.
Article 1
La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui sont raisonnables et dont la justification peut se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique.
Autrement dit, les droits individuels, même s’ils sont fondamentaux, ne priment pas toujours sur les besoins de la société. Par exemple, on ne saurait pas justifier, au nom de la liberté de religion, le droit d’organiser un culte au beau milieu de l’autoroute 40. De même, la liberté d’expression ne donne pas le droit à faire des appels à la violence.
Les trois critères de la Cour
Au fil du temps, la Cour suprême du Canada a, à travers différents jugements, établi certains critères pour déterminer si une restriction à une liberté fondamentale est raisonnable.
1– Est-ce qu’il s’agit d’une restriction établie par règle de droit ?
2– Est-ce que l’objectif de la loi est réel et urgent ?
3– Existe-t-il un degré suffisant de proportionnalité entre l’objectif et le moyen utilisé pour l’atteindre ?
Appliquons ces critères au passeport vaccinal :
1– Est-ce que le passeport vaccinal est établi par règle de droit ?
Comme nous l’avons vu, le passeport vaccinal a été imposé par décret ministériel, comme prévu par la Loi sur la santé publique. À cet égard, son application semblerait répondre au premier critère.
2– Est-ce que l’objectif du passeport vaccinal est réel et urgent ?
C’est ici que les choses se corsent. Quel est l’objectif réel du passeport vaccinal ?
Si on se fie aux communiqués de presse du ministère de la Santé l’été dernier, le passeport vaccinal devait servir à « éviter un confinement généralisé cet automne ». Ce passeport devait être utilisé « seulement s’il y [avait] une dégradation […] qui justifierait son utilisation », et ne devait pas être utilisé pour l’accès à « des services publics ou essentiels ». L’espoir du Gouvernement, à l’époque, était que les vaccins confèreraient une immunité forte et limiteraient ainsi de manière importante la contagion du virus.
Outils de protection ou de pression ?
Toutefois, le passeport vaccinal est rapidement passé d’un outil de limitation de la propagation et de protection à un outil servant à encourager, pour ne pas dire contraindre, le public à se faire vacciner. On se souviendra des publicités « n’attendez pas de frapper un mur » où l’accent était mis non pas sur les bénéfices directs du vaccin, mais sur les manières dont ceux qui n’ont pas de passeport seraient « emmerdés », pour reprendre la formule célèbre d’Emmanuel Macron.
Il est difficile de se positionner au sujet de l’urgence de l’objectif du passeport vaccinal, puisque cet objectif a changé plusieurs fois depuis six mois : en juillet, c’était d’éviter un confinement, à l’automne, d’inciter des gens à la vaccination, cet hiver, de pousser les gens à la vaccination pour éviter l’effondrement du système de santé.
C’est ce changement d’objectif qui explique l’application nouvelle du passeport dans des endroits choisis davantage pour faire pression sur les non-vaccinés, que par rapport au risque d’éclosion qu’ils posent : quincailleries, magasins à grande surface, etc.
Amener les gens à se faire vacciner est peut-être louable, utile, mais est-il réel et urgent pour le bien de la société ?
Un calcul cout-bénéfice
Penchons-nous maintenant sur le troisième critère utilisé pour déterminer si une restriction à une liberté fondamentale est raisonnable.
3– Existe-t-il un degré suffisant de proportionnalité entre l’objectif et le moyen utilisé pour l’atteindre ?
Lorsque le Comité d’éthique de l’Institut national de santé publique (INSPQ) a été appelé à se pencher sur la possibilité d’établir un passeport immunitaire (et non pas seulement un passeport vaccinal qui ne tient pas compte de l’immunité naturelle acquise par une infection), il a établi que « les bénéfices escomptés en termes de bienfaisance, de liberté et de solidarité sont légèrement plus importants ». Autrement dit, la marge cout-bénéfice existait, mais était bien mince.
C’est pourquoi le Comité d’éthique prenait soin de préciser que « l’évaluation de la prépondérance des bénéfices sur les inconvénients du PI [passeport immunitaire] ne peut reposer que sur une évaluation objective du risque. » Soulignons qu’au moment de se pencher sur ces questions, l’immunité conférée par le vaccin était estimée à 95 % (pour ceux de Pfizer et Moderna) face au variant historique. À l’heure d’Omicron, ces calculs qui auraient dû être revus ne l’ont pas été.
Ainsi, est-ce que les cibles d’immunité actuelles justifient de façon raisonnable d’empêcher quelqu’un de non vacciné (mais peut-être infecté par le passé) d’aller dans un lieu de culte pour pratiquer sa religion ? Je suis personnellement porté, ainsi que d’autres, à croire que non.
Toutefois, la plupart des leadeurs religieux du Québec, dont les évêques catholiques, pensent qu’il est possible qu’un compromis soit fait, pour un temps, tout en reconnaissant que cette mesure indispose profondément les croyants.
Comme chrétiens, cette mesure « est contre nature pour nous. On est là pour dire que Dieu accueille tout le monde », pour reprendre les mots du modérateur de la Table interreligieuse de concertation, Mgr Pierre Murray. Dans le but d’appuyer le dialogue entrepris par cette Table, j’invite également les gens qui le souhaitent à signer cette pétition pour le retrait du passeport vaccinal dans les lieux de culte.
Dans ma communauté évangélique, nous avons décidé jusqu’à ce jour de poursuivre nos activités à l’extérieur, où le passeport vaccinal n’est pas imposé.
À -20 degrés, dimanche dernier, on était inconfortables, mais on était ensemble !
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Source : Lire l'article complet par Le Verbe
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