Un texte de Romain Martiny
La polarisation affecte toutes les sphères de la société et la science n’y échappe pas. Entre une foi absolue en la science qui la transforme en nouvelle religion et une méfiance qui pousse à la rejeter, comment développer une relation saine avec elle ?
La pandémie a sans conteste modifié notre rapport à la science. Les multiples contradictions entre experts exposées dans les médias au printemps 2020 ont amené de nombreuses personnes à douter du savoir scientifique. Pour certains, la science ne parait plus être le domaine de la certitude, comme si le lien de confiance s’était brisé. Pour d’autres, au contraire, il reste important de « croire en la science » et de laisser celle-ci dicter toutes les décisions relatives à la pandémie.
Comment deux positions aussi contradictoires peuvent-elles avoir émergé ? Comment développer un rapport sain avec la science ? Répondre à ces questions implique de comprendre la construction du savoir scientifique et le rôle de la science.
Un savoir en construction
Contrairement à ce qu’on pense souvent, le savoir scientifique est le fruit d’une construction. Dans leurs recherches, les scientifiques s’appuient en effet toujours sur du savoir antérieur. J’ai découvert cela à l’université, pendant mes études en chimie. Tous mes projets de recherche en chimie ne commençaient ainsi pas par des manipulations, mais par la lecture des travaux antérieurs dans mon domaine de recherche. Et le nouveau savoir produit ne pouvait être considéré comme valide qu’après avoir été confronté au jugement des pairs.
Cette confrontation d’idées est un point clé dans la construction du savoir scientifique et elle peut parfois être longue et sujette à des discussions très vives. J’ai longtemps pensé que les nouveaux savoirs s’imposaient d’eux-mêmes par la raison et j’ai été très surpris qu’ils soient en fait le fruit d’un consensus entre scientifiques du même domaine. Ce consensus est parfois difficile à atteindre, notamment lorsque les nouvelles idées viennent changer le paradigme ambiant ou contredire un scientifique renommé d’une université prestigieuse. Il est aussi parfois difficile pour certains chercheurs d’admettre qu’ils ont eu tort et cela retarde l’adoption du consensus. Après tout, les scientifiques restent des êtres humains, et les êtres humains n’aiment pas se tromper !
Habituellement, ces discussions se font en vase clos, entre scientifiques, et il est rare qu’elles soient étalées dans les médias. Il arrive parfois, sur certains sujets controversés, de voir ce genre de débat apparaitre, mais cela reste rare, et la diffusion du savoir pour le grand public ne s’effectue normalement qu’une fois le consensus atteint. On peut donc facilement penser que la science est remplie de certitudes et que les scientifiques sont toujours d’accord entre eux, mais cette image est trompeuse.
Bien comprendre le rôle de la science
Nous avons donc été nombreux, en mars 2020, à être étonnés de voir des discussions animées entre scientifiques occuper l’espace médiatique. Cela nous a fait l’effet d’une douche froide et a provoqué de la méfiance, voire de la défiance envers la science. Peut-être que sans le savoir, nous avions transformé la science, domaine de la certitude absolue, en nouvelle religion. Nous l’avions peut-être idolâtrée et nous avons été déçus, alors qu’elle suivait simplement son processus habituel. Nous avons peut-être aussi péché par impatience.
Après mure réflexion, je me dis que c’est notre impatience qui est à la source de cela : les médias demandent aux scientifiques des réponses immédiates, car nous voulons des réponses immédiates, au lieu d’avoir l’humilité de reconnaitre que nous ne savons pas encore grand-chose sur le virus.
Conscient du lent processus d’élaboration du savoir scientifique (l’ayant moi-même traversé), j’ai moi aussi été surpris, à l’époque, de voir ces discussions dévoilées au grand jour. Après mure réflexion, je me dis que c’est notre impatience qui est à la source de cela : les médias demandent aux scientifiques des réponses immédiates, car nous voulons des réponses immédiates, au lieu d’avoir l’humilité de reconnaitre que nous ne savons pas encore grand-chose sur le virus. Nous pensons à tort que la science peut répondre instantanément à toutes nos questions.
Nous avons, en fait, mal compris le rôle de la science.
Il est d’abord important de reconnaitre que la science n’a pas toutes les réponses sur un sujet donné. D’ailleurs, plus on creuse un sujet, plus on se rend compte qu’il en reste beaucoup à découvrir, que cela prend du temps et que certaines questions resteront sans réponse. On ne sait pas tout et on ne saura jamais tout. De plus, le savoir établi peut être remis en question à la suite de nouvelles recherches ou d’un changement de paradigme. En ce sens, la science n’apporte pas de vérité absolue, mais plutôt des vérités valides dans un contexte donné. Nous devons donc faire preuve d’humilité par rapport à ce que nous savons et ne pas nous enorgueillir.
Cela dit, la science offre de nombreuses réponses et elle possède un très grand caractère prédictif, ce qui constitue d’ailleurs sa principale force. Elle permet également de décrire le monde de manière cohérente et organisée.
Un champ d’action à respecter
La science ne nous dit cependant pas quoi faire de ces découvertes, car cela n’est pas de son ressort. Elle ne nous permet donc pas de savoir quel serait le bon usage ou le mauvais usage des trouvailles ou des développements technologiques réalisés. Il faut donc prendre garde à ne pas demander à la science de se prononcer hors de son champ d’action. Pour ces questions d’ordre pratique, les réponses sont à trouver dans l’éthique, la philosophie, ou encore dans la foi. Il est important de bien considérer cette limite de la science pour comprendre son rôle.
En étant conscient du fonctionnement et du rôle de la science, il est donc possible d’éviter d’avoir un rapport de soumission avec le savoir scientifique, sans être pour autant tenté de le rejeter en bloc. Il faut plutôt développer un lien sain avec ce savoir ; cela implique que celui-ci soit davantage vulgarisé par les scientifiques pour que les citoyens puissent bien en comprendre les enjeux. Négliger cette étape de vulgarisation et de pédagogie tout en demandant au grand public d’avoir confiance envers les scientifiques est contradictoire et peut expliquer la polarisation actuelle.
Inclure cette étape nous évitera en revanche de devenir « scientosceptiques » sans pour autant tomber dans le scientisme.
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Source : Lire l'article complet par Le Verbe
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