Il peut sembler étrange que le grand poète américain se soit intéressé à une discipline aride – l’économie – qui ne semble pas a priori fort poétique. C’est pourtant le cas mais comprenons qu’Ezra Pound, dans ces quelques textes depuis fort longtemps devenus introuvables en français, fut attentif aux raisons qui privèrent de sens et de beauté la vie humaine devenue inauthentique. Comment réenchanter un monde éloigné de toute spiritualité et livré aux vices engendrés par l’usure? S’inscrivant dans la veine d’Aristote condamnant la seconde forme de la chrématistique basée sur la quête illimitée de la richesse matérielle, le poète expose les mécanismes permettant de manipuler la monnaie et la dette. Il prend fait et cause pour « le productif » contre « le corrosif », ce dernier tirant un intérêt d’un argent qui n’existe pas! Ce système, qu’il taxe d’usurocratie, et qui a pris des proportions gigantesques de nos jours. « L’erreur fut d’idolâtrer l’argent, d’en faire un dieu.Cette dénaturation tient à la fausse représentation que nous nous faisons de l’argent, lui attribuant un pouvoir qui ne lui revient pas. » (p.42). Aux antipodes de la « toxicologie del’argent », Pound privilégie l’idée d’une « monnaie-travail » qui serait « un certificat du travailaccompli à condition que ce travail se fasse à l’intérieur d’un système défini. […] Encore faut-il que ce certificat indique un travail utile ou agréable à la communauté. » (p.36).
On peut regretter que notre auteur n’ait pas confronté ses conceptions à celles de Marx sur la question mais probablement les ignorait-il. Dans la Critique du Programme de Gotha, lisons-nous, que dans la phase inférieure de la société communiste, les producteurs « n’échangent pas du tout leurs produits », différence notable avec Pound, mais que « le producteur individuel » (Marx collectiviste?!) « reçoit de la société un bon certifiant qu’il afourni telle somme de travail (après déduction du travail effectué pour les fonds collectifs) et, avec ce bon, il retire des réserves sociales exactement autant d’objets de consommation que lui a coûté son travail. Le même quantum de travail qu’il a donné à la société sous une forme, il le reçoit en retour sous une autre. » Il n’est donc pas étonnant que l’on rencontre chez les deux penseurs les mêmes imprécations en faveur de la dissociation « de l’idée de travail decelle du lucre » (Pound. p.90). Il y a toute une poésie à l’œuvre dans la désaliénation du monde.
Jean GALIE
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