Tensions Est-Ouest autour de l’Ukraine : Pourquoi n’entend on pas ce que dit la Russie ? — Bruno DRWESKI

Tensions Est-Ouest autour de l’Ukraine : Pourquoi n’entend on pas ce que dit la Russie ? — Bruno DRWESKI

On nous répète comme une mantra que la Russie serait une ennemie de la démocratie aux traditions irrémédiablement autoritaires alors que son système politique actuel résulte d’une constitution adoptée en 1993 certes au pas de charge, mais sur les conseils d’Occidentaux qui avaient alors leurs entrées à tous les niveaux de l’administration russe et même de ses bases militaires et du KGB. Peu nombreux sont d’ailleurs ceux qui sont prêts à admettre que les puissances capitalistes occidentales qui se sont crues « victorieuses » en 1991 ont alors humilié les Russes. Quant à l’équilibre des forces entre la Russie et les pays de l’OTAN il n’y a qu’à regarder la carte pour constater que l’URSS finissante puis la Russie ont accepté de reculer systématiquement depuis 1989 et que ce « vide » a été rempli par l’OTAN aujourd’hui quasiment aux portes de Moscou. La tension autour de l’Ukraine n’est donc que la conséquence d’une Russie qui considère qu’elle s’est vue obligée de faire montre de fermeté après tant de reculades. Ne doit-on pas au moins essayer de comprendre la source de ce sentiment ?

On doit savoir que si la Russie n’a pas été intégrée dans l’Occident ce n’est pas uniquement à cause de l’arrogance occidentale et de la surestimation de leurs forces par les élites occidentales, de leurs moyens. La Russie n’a pas non plus été « vaincue » en 1991, contrairement à ce que dictait le sentiment d’’autosatisfaction aux dirigeants des pays occidentaux égocentrés de l’époque, car la classe dirigeante soviétique a « librement » décidé de dissoudre le communisme et l’URSS pour des raisons d’intérêts de classe …mal perçus. Mais ce « mépris » pour la Russie a été et reste surtout dû au fait que le capitalisme avait besoin en Russie et dans toute l’Eurasie d’un marché captif et passif, mais certainement pas d’un partenaire, car un partenaire cela voudrait dire un concurrent de plus au sein du système unipolaire, un conflit intra-impérialiste de plus. Les EU peuvent accepter des petits chienchiens bien dressés et avec de petites arrière-cours néocoloniales comme l’Angleterre, la France, la RFA depuis sa réunification, car ces pays sont pénétrés depuis 1945 par des agents d’influence étasuniens, soft ou hard, sans parler des autres petits pays européens, mais ne serait-ce que par sa taille, la Russie ne pouvait être réduite à un chienchien, donc il était illusoire d’envisager son intégration dans le capitalisme/impérialisme unipolaire. C’est pour cela que Brzezinski militait ouvertement pour que la Russie survivante soit cassée en quatre ou cinq Etats. Mais, bien sûr, à cette époque les élites russes et post-communistes, passées du matérialisme à l’idéalisme, Poutine compris, n’ont pu le comprendre tout de suite, et se sont laissées avoir …sauf les gros capitalistes russes (dits « oligarques ») qui, eux, ont pu placer les produits de leur pillage intérieur dans les « paradis fiscaux » sous protection du gendarme OTAN. Le parti pro-otan existe toujours à la cour du Kremlin, en particulier l’inamovible présidence de la banque nationale et plusieurs ministères économiques en conflit permanent avec les « ministères de force », les « siloviki », les diplomates russes navigant entre les deux.

Dans ce contexte, si la bourgeoisie compradore russe a poursuivi et poursuit jusqu’à aujourd’hui, à l’extérieur comme à l’intérieur de l’appareil gouvernemental russe, sa stratégie de ramener la Russie à l’état de chienchien néo-eltsinien, la bourgeoisie nationale russe (voir « les contradictions au sein du peuple » de Mao Zedong), elle, a compris que la Russie devait avoir son capitalisme national concurrentiel avec le capitalisme USAno-occidental, à l’abri d’ailleurs de la puissance économique chinoise et d’autres partenaires « contre-hégémoniques » pour faire le poids.

L’observation des événements depuis 1989 semble donc démontrer que les EU/OTAN ont besoin de guerres permanentes car les délocalisations + la financiarisation du capitalisme « post-unipolaire » ont fait que la seule production réelle toujours bien concentrée à l’ouest, c’est celle des armements, et donc le lobby militaro-industriel y est incomparablement plus puissant qu’à l’époque où Eisenhower mettait déjà en garde son peuple contre lui. D’où la téléguidage vers l’administation politique des EU de porte-serviettes soit « alzheimériens avancés » soit fous furieux « autistes » et incultes style Blinken/Sullivan/Pelosi/Mrs. Clinton/Power/Nuland et autres neocons …dans tous les sens de cette dernière syllabe.

L’Ukraine en soi est une faillite économique et étatique aujourd’hui, et la Russie n’a qu’à attendre que le fruit mur …et déjà un peu pourri tombe de l’arbre, mais le Kremlin ne peut accepter que, via l’Ukraine, Moscou soit à 4 minutes des missiles EU/OTAN qui seraient basés en Ukraine (la Russie a déjà accepté d’avaler la couleuvre que la Lettonie pas tellement plus éloignée de Moscou soit dans l’OTAN, et sur ce terrain elle exige un retrait des troupes EU&co. ltd.), alors il fallait pour Moscou faire d’une pierre deux coups :

1/ montrer que la Russie ne reculerait plus comme elle l’avait fait à chaque élargissement de l’OTAN, donc montrer ses dents, « coûte que coûte » comme dirait l’autre. Un pari hasardeux, mais la Russie ne peut plus se payer le luxe de reculer, l’ennemi potentiel est aux portes de Moscou, comme en 1941.

2/ Achever d’essoufler l’économie ukrainienne car la mobilisation de l’armée ukrainienne actuelle coute très cher et Kiev ne tiendra pas six mois à ce rythme, elle s’effondrera …les EU sont mis devant un dilemme, …mieux ! une contradiction ! : soit ils entretiennent l’Etat-failli ukrainien à fonds perdus (ce qui satisfera le lobby militaro-industriel étasunien qui vendra des armes au gouvernement de son pays qui les donnera gratuitement à Kiev incapable de payer), soit le contribuable étasunien (et Trump qui risque de gagner les « mid-terms » et déclare déjà que l’appui des EU à Kiev est une stupidité très coûteuse) ne pourra pas tenir dans une économie en crise, et Washington devra se retirer d’Ukraine la queue basse, ce qui explique la mise en orbite de l’idée de la vice-directrice de l’institut Delors d’accepter une « finlandisation » de l’Ukraine (voir son interview dans Le Soir). A ce moment là, et les Chinois y travaillent déjà et Poutine semble l’envisager, il sera temps de sauver la face des EU pour qu’ils acceptent de se replier sur une politique à « l’autrichienne post-Sadowa » : faire semblant d’être toujours une grande puissance tout en remettant les bijoux de famille dans le coffre du vainqueur que l’oncle Sam devra suivre désormais, dans le cadre d’un monde multipolaire où Washington sera un joueur de moins en moins influent et de moins en moins consulté. A ce moment là, les diverses petites puissances européennes résiduelles devront envisager de se positionner par rapport aux nouvelles puissances. Et là, on verra bien s’il existe encore une « opinion » européenne capable de sortir de sa léthargie et de son apparente mort cérébrale (visible avec les phénomènes Zemmour, Salvini, Johnson, Kaczynski et autres, aux côtés des pitoyables …Macron, New Old New Labour, Draghi, von der Leyen et autres « lamentables », pour paraphraser Lady Clinton).

D’ailleurs, dans ce contexte, l’action de Poutine exacerbe les divergences entre Washington et Berlin malgré la walkirie guerrière vert …de gris, au Ministères des Affaires étrangères allemand. Stolz a refusé de rencontrer Biden et fermé son espace aérien pour les envois d’armes anglaises vers l’Ukraine, ce qui montre que la RFA n’accepte pas, derrière ses paroles otanistes, de suivre passivement la ligne guerrière de Washington.

Pour ce qui est du Donbass, la ligne est toujours la même, imposer par la force le respect des accords de Minsk, ce qui passe par l’appui de Berlin et de son supplétif parisien.

L’opinion occidentale ? Elle n’existe tout simplement plus aujourd’hui, elle est tétanisée pour le moment, on n’a donc pas à compter avec elle, elle suivra ce qu’on lui dit de suivre, Macron, Zemmour, Le Pen, Pecresse, Johnson et le Labour « modéré’, verts de gris allemands, Draghi, Berlusconi, et autres fantômes …sauf aux EU avec le phénomène Trump qui, certes, la fait dévier mais qui joue sur elle. Les Européens sont amorphes et vieillis, ils n’ont plus aucune force constitutive en tant que masses constituées, et donc ce qui compte pour la Russie, ce sont les vraies opinions mobilisables, Afrique, Amérique latine, Asie. Et sur ce plan là, le Kremlin a marqué des points incontestables malgré la relative faiblesse de ses atouts économiques. Et pour marquer des points en Afrique, le Kremlin doit apparaître comme un lion vis à vis des anciennes puissances coloniales néo et postcoloniales et les EU. C’est ce qu’il fait en défendant la paix mondiale et en facilitant les nouvelles routes de la soie chinoises qui apportent sur le terrain de l’économie productive ce que la Russie saccagée après 1991 n’est toujours pas vraiment en état d’apporter. Ce n’est pas parce que Poutine est un ange …il en est loin ! C’est parce que Poutine ne peut pas ne pas tenir compte des intérêts de sa bourgeoisie nationale qui soutient un Etat protecteur …contre l’économie prédatrice made in USA et …aussi, contre son peuple qui demande un Etat social et qu’il faut un peu flatter par orgueil national pour lui faire avaler les couleuvres genre réforme des retraites imposées sur la demande du FMI.

Il est clair que la Russie n’a aucun intérêt à la guerre. Elle profite des cours du pétrole et du gaz pour renflouer ses caisses et faire pression militaire sur l’OTAN et son factotum kiévien qui fonctionne à fonds perdus. La Russie doit donc maintenant tenir fermement six mois, d’ici là l’Ukraine se sera effondrée économiquement à moins que les pays occidentaux ne la renflouent, ce qui accélérerait l’effritement, voire le crash selon certains (?), de l’économie occidentale. Poutine joue donc gros car il parie sur la faiblesse de caractère des fous autocentrés, egocentrés et ethnocentrés au pouvoir à l’ouest. Il n’a pas intérêt à l’effondrement trop rapide du dollar mais il a déjà testé l’état d’autisme politique des élites occidentales actuelles qui n’entendent aucun argument rationnel et qu’on ne peut donc pas convaincre de faire des compromis en utilisant la raison. Ces fous, il faut les amener à la limite de la faillite pour que les « réalistes » au sein du Pentagone, de la CIA et des rares entreprises encore productives civiles en Occident fassent un coup d’état (peu importe le nom qu’on lui donnera ou l’apparence démocratique qu’on conservera) pour renverser la coalition « autistes-alzheimeriens » au pouvoir dans les grandes capitales occidentales, avec un bémol pour la RFA où il semblerait que Stolz ne soit pas aussi caricaturalement stupide qu’on pensait à la lecture du programme de la nouvelle coalition allemande puisque, lui, semble capable d’écouter la voix de son patronat qui a intérêt à mener une politique d’investissements industriels dans l’immense marché russe et eurasiatique en convergence avec les Chinois. En effet, l’Allemagne est quasiment la seule puissance industrielle non militaire survivante à l’Ouest, elle a donc une bourgeoisie productive d’autres choses que de jouets militaires dispendieux et souvent inefficaces. Voir le F-35 qui s’écrase de façon récurrente, alors que les armes russes montrent leur efficacité en Syrie et ailleurs pour bien moins cher.

Pour le moment, vu l’état d’effritement des forces populaires, prolétariennes, révolutionnaires, l’axe de la vie politique tourne autour des rapports entre bourgeoisies impérialistes, bourgeoisies compradores et bourgeoisies nationales. D’où les convergences entre pays contre-hégémoniques aux systèmes sociaux très différents.

Et pour terminer artistiquement, voilà un des chanteurs les plus populaires du Burkina Faso. Révélateur :

Almamy kJ Impérialisme :

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Source: Lire l'article complet de Le Grand Soir

À propos de l'auteur Le Grand Soir

« Journal Militant d'Information Alternative » « Informer n'est pas une liberté pour la presse mais un devoir »C'est quoi, Le Grand Soir ? Bonne question. Un journal qui ne croit plus aux "médias de masse"... Un journal radicalement opposé au "Clash des civilisations", c'est certain. Anti-impérialiste, c'est sûr. Anticapitaliste, ça va de soi. Un journal qui ne court pas après l'actualité immédiate (ça fatigue de courir et pour quel résultat à la fin ?) Un journal qui croit au sens des mots "solidarité" et "internationalisme". Un journal qui accorde la priorité et le bénéfice du doute à ceux qui sont en "situation de résistance". Un journal qui se méfie du gauchisme (cet art de tirer contre son camp). Donc un journal qui se méfie des critiques faciles à distance. Un journal radical, mais pas extrémiste. Un journal qui essaie de donner à lire et à réfléchir (à vous de juger). Un journal animé par des militants qui ne se prennent pas trop au sérieux mais qui prennent leur combat très au sérieux.

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