Un article signé Jean Paul Baquiast qui nous présente le livre du journaliste allemand Udo Ulfkotte, ancien journaliste d’investigation du grand média allemand Frankfurter Allgemeine Zeitung. Son titre traduit en français: « Journalistes achetés – Comment les politiciens et la finance dirigent les médias de masse ». Bien sûr, les médias de masse ne se sont pas bousculés pour faire la promotion de cet ouvrage …..
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par Jean-Paul Baquiast.
Début octobre 2014, Udo Ulfkotte, ancien journaliste au sein du grand média allemand Frankfurter Allgemeine Zeitung, a publié le livre « Gekaufte Journalisten – Wie Politiker, Geheimdienste und Hochfinanz Deutschlands Massenmedien lenken» (Journalistes achetés – Comment les politiciens et la finance dirigent les médias de masse).
Dans ce livre, il révèle que pendant toute sa carrière de journaliste d’investigation, dont il ne renie pas par ailleurs l’essentiel (notamment des enquêtes sur le poids acquis par l’islamisme en Allemagne), il a publié sous son nom et sans changements des articles écrits par des agents de la CIA ou d’autres agences américaines. Ces articles visaient à soutenir les interventions des Etats-Unis sur la politique allemande ou européenne, et à discréditer toutes réactions politiques poussant l’Allemagne à s’affranchir de ces influences.
Dans ce livre, Udo Ulfkotte reconnaît avoir pour ce faire été rémunéré par les services secrets américains, ce qu’il avait accepté pour une raison simple: être journaliste d’investigation indépendant ne nourrit pas son homme. Il ne dissimule pas le fait que, du temps de l’URSS, des agents du KGB opéraient de même en Allemagne auprès d’autres journalistes. Mais selon lui, ils le faisaient sur une bien moindre échelle et d’une façon qui a disparu à la chute du Mur. Au contraire, plus l’Allemagne prenait de l’influence au sein de l’Union européenne et dans l’Otan, plus il devenait important pour le gouvernement américain et ses services que l’opinion et le gouvernement allemand soutiennent les stratégies américaines. Pour cela la mobilisation de medias réputés comme indépendants devenait essentielle.
Il est remarquable de constater que le livre de Udo Ulfkotte, bien qu’il ait fait le tour des cercles alternatifs et des blogs politiques allemands, n’ait pratiquement pas été cité par la presse qu’il faut bien nommer officielle, qu’il faut bien aussi nommer subventionnée par des flots de dollars souterrains. Seul à ce jour La Voix de la Russie en a parlé. Pour connaître le contenu du livre, il faut donc se référer à cet organe, qui a publié un interview de l’auteur. Rien d’étonnant, diront les lecteurs animés d’une hostilité à la Russie encore très générale en Europe. La Voix de la Russie n’est-elle pas directement inspirée par le gouvernement et les services secrets russes. Peut-être, mais la question n’est pas là, elle était de pouvoir écouter ce que Udo Ulfkotte avait à dire.
La presse allemande n’est pas la seule
Or, lorsque l’on y réfléchit un tant soit peu, il ne fait aucun doute que les opinions publiques qui en Europe font de l’anti-poutine systématique ne le font pas par conviction personnelle, mais parce qu’elles sont influencées par le discours – la propagande à la Goebbels faudrait-il dire – émanant des grands journaux et des chaines de télévision. Il en est en France et dans les autres pays européens de même qu’en Allemagne. Comment pouvoir juger indépendamment si l’on est abreuvé en permanence de désinformation. Or cette désinformation, s’exerçant systématiquement en faveur des intérêts géostratégiques et économiques américains, ne tombe pas du ciel. A la lecture du livre de Udo Ulfkotte, l’on comprend qu’elle est financée directement par des dollars contribuant à l’équilibre économique des grands médias, et aux bénéfices de leurs actionnaires.
Il faut reconnaître que les lanceurs d’alerte, tel Udo Ulfkotte (que l’on peut comparer en son domaine à un autre dénonciateur de la CIA et de la NSA devenu célèbre), ne sont pas les seuls. Philippe Grasset, qui s’oppose quotidiennement sur son site De Defensa à ce qu’il nomme le Système de l’américanisme, vient d’en porter témoignage. Il relate les pressions et les menaces qu’il avait reçues, notamment, lorsque pratiquant le journalisme indépendant en Belgique, il avait avec de bons arguments techniques et politiques, critiqué le choix par le gouvernement belge de l’époque de l´avion de combat américain F-35, face à l’offre française reposant sur l’avion Rafale, offre beaucoup plus avantageuse à tous égards pour la Belgique.
La corruption permanente qu’exercent sur les médias européens les intérêts stratégiques et économiques américains saute aux yeux aujourd’hui de tout observateur un tant soit peu averti. Ainsi, pour ne citer que cet exemple, le grand journal français de référence qu’est resté, pour de nombreux lecteurs, « Le Monde », vient de publier, sans le moindre recul et mise en garde, un long article du « grand philanthrope » et milliardaire George Soros, conjurant les Européens de se ressaisir face à une menace russe grandissante. Si l’Europe ne soutient pas l’Ukraine de Kiev tant au plan économique que politique, elle devra – écrit-il quasiment – s’attendre à une invasion prochaine par l’Ogre russe.
Or quand on sait que George Soros, rendu milliardaire et donc “philanthrope” par des comportements économiques souvent proches de ceux de la maffia, quant on sait que par ailleurs il a financé toutes les révolutions orange mettant en place des gouvernements corrompus de par le monde, quand on sait comment, hier encore, il a dépensé sans compter pour assurer la victoire de l’adversaire conservateur et sous influence américaine qui s’est opposé à Dilma Roussef lors des récentes élections présidentielles brésiliennes, on ne peut que s’étonner du fait que Le Monde et les principaux journaux dits « occidentaux » aient publié sans la moindre mise en garde le tissu de mensonge et de désinformation qu’est cet article de George Soros. S’étonner, voire, selon l’expression célèbre, se tapoter pensivement le menton.
Cependant, pour ne pas sombrer dans le pessimisme, on pourra constater, à la lecture de leurs commentaires, que la plupart des lecteurs du Monde ne s’en laissent pas compter 4). Sans doute est-ce là un des bons effets de la numérisation de la communication politique. Ceux qui proposent sur le web, à titre individuel ou collectif, des propos quelque peu «alternatifs» parviennent de plus en plus, ne fut-ce que faiblement, à se faire entendre.
Jean-Paul Baquiast
Note
Citons une lectrice à qui « on ne la fait pas » : « Soros, un « philanthrope » qui défend l’Etat de Droit! Qu’est-ce qu’il ne faut pas entendre! L’Europe se retrouve bien avec une guerre civile à sa porte à cause de l’ingérence de monsieur Soros et de ses amis américains qui ont voulu jouer au grand échiquier, et tout comme au Moyen-Orient c’est le reflet de l’interventionnisme et de l’ingérence néocoloniale de l’Open Society. Il y a déjà fort à faire en termes d’État de droit et de philanthropie dans votre pays, monsieur Soros, restez-y! »
Baerbock, retenez bien ce nom. Avec la nouvelle ministre allemande des Affaires étrangères, les euronouilles semblent s’être trouvé une Victoria Nuland bien de chez nous, une gorgone qui, à peine arrivée, menace déjà de sanctions en Europe même !
Ecologiste de son état, la dame est une Young Global Leader, programme fondé par le créateur du Forum de Davos, à ne pas confondre avec les Young Leaders tout court qui fleurent bon la CIA, même si on imagine aisément que tout ce joli monde se fait moultes mamours…
Déjà remarquée pour ses prises de position fermes contre la Russie et la Chine, pour le plus grand bonheur de Washington, elle veut maintenant sanctionner un certain Milorad Dodik, leader serbe de Bosnie. Ce nom n’est pas tout à fait inconnu des fidèles lecteurs des Chroniques, nous en parlions il y a un peu plus de deux ans :
Dans les Balkans, les oreilles impériales ont également dû siffler. Le patron de la Republika Srpska (ou République serbe de Bosnie) a réaffirmé son refus de rejoindre l’OTAN, torpillant de facto la marche de la Bosnie vers l’Alliance atlantique. En effet, le pays est, depuis les accords de Dayton ayant mis fin à la guerre en 1995, divisé en deux entités : la Fédération croato-bosniaque et la Republika Srpska, qui cultive des liens étroits avec Belgrade.
Or, la présidence bosniaque est collégiale et les décisions prises, théoriquement du moins, de manière collective. Dans ces conditions, on ne voir pas comment ce pays pourrait accéder à l’OTAN, d’autant que Milorad Dodik, le dirigeant des Serbes de Bosnie n’y va pas par quatre chemins : « Nous sommes liés à la Serbie. Si celle-ci rejoint l’OTAN dans 100 ans, nous le ferons aussi. Si elle n’y adhère pas dans 300 ans, nous n’y serons pas non plus. Le Partenariat pour la Paix est largement suffisant. Si cela ne plaît pas à l’OTAN, elle est libre de le quitter« . Sans fioritures.
On le devine, le sieur Milorad ne doit pas être en odeur de sainteté dans les corridors atlantistes. Il n’a évidemment pas arrangé son cas en étant régulièrement reçu à Moscou…… ou en répondant vertement à l’envoyé américain : « J’emmerde vos sanctions ! »
Souhaitant depuis toujours faire sécession de la fédération de Bosnie-Herzégovine, il est derrière le vote récent, par le Parlement serbe de Bosnie, d’un processus de retrait des institutions du pays, notamment dans les domaines de la justice, de l’armée et de la fiscalité. Ce faisant, il ne pouvait que s’attirer les foudres de Frau Baerbock (de bière ?)
Mais c’était sans compter ce diable de Viktor Orban qui a immédiatement réagi en affirmant que la Hongrie bloquerait toute sanction européenne et a même offert un prêt de 100 millions d’euros à la Republika Srpska. Un sacré empêcheur d’euronouiller en rond, celui-là…
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LES RISQUES DE GUERRE ET LE JEU DANGEREUX DES MEDIAS
Nos journaux télévisés nous ont abreuvés des turpitudes de Donald Trump, des vertus de Joseph Biden et des vilénies de Vladimir Poutine. L’urgence parfois brouillonne des rédactions les dispense de s’attarder sur les démentis ou correctifs. Ainsi, le Russiagate s’est dégonflé après avoir fourni son lot de nuisances, mais les invectives contre la Russie permettent de passer sous silence la brutale continuité de la politique étrangère étasunienne. Le président Biden maintient les embargos criminels de son prédécesseur, notamment contre l’Iran, la Syrie, Cuba, le Venezuela et la Biélorussie. Quant aux médias occidentaux, ils semblent avoir renoncé depuis longtemps à appliquer la grille d’analyse des faits qui consiste à se demander « à qui profite le crime », se contentant en général de répercuter sans autre forme d‘examen les éléments de langage de la propagande de l’OTAN et de ses vassaux.
Plus grave encore, les dirigeants étasuniens nourrissent la tension occidentale contre la Chine et la Russie, directement ou par l’intermédiaire de leurs pions européens. En Allemagne, la coalition conduite par Olaf Scholz fait la part belle aux anti-Russes, influents chez les Verts et les Libéraux. Annalena Berbock, la nouvelle ministre verte des affaires étrangères, endosse la tenue de camouflage des droits de l’homme pour invectiver la Chine et la Russie et s’aligner sur l’outrance étasunienne.
L’Union européenne persiste pour sa part à reconduire tous les six mois les « sanctions » contre la Russie qui pénalisent aussi sa propre économie. Ces « sanctions », sollicitées par les Etats-Unis d’Amérique, prennent comme prétexte des procès en sorcellerie pour des faits, dont l’empoisonnement des Skripal, imputés aux Russes sans la moindre preuve. Jacques Baud a démontré le caractère fantaisiste de plusieurs accusations dans son livre intitulé Gouverner par les Fake News. Quant à « l’annexion de la Crimée », ceux qui la dénoncent passent sous silence le référendum du 12 janvier 1991. Une première fois, en effet, la population de Crimée avait massivement choisi l’indépendance et l’association à l’Union proposée par Gorbatchev. Sous la pression occidentale, les autorités de Kiev avaient purement et simplement annulé le résultat du référendum dont elles avaient pourtant accepté la tenue. Le nouveau référendum du 16 mars 2014, organisé à la suite du coup d’état de Kiev, n’a fait que confirmer celui de 1991. Hormis Guy Mettan, très peu de journalistes ont rappelé le référendum de 1991.
Plus globalement, la crise ukrainienne résulte de la volonté occidentale de faire basculer l’Ukraine dans sa zone d’influence au lieu de la laisser avoir de bonnes relations avec l’Est comme avec l’Ouest. D’aucuns rêvent manifestement d’en faire autant avec la Biélorussie…
A propos de l’hostilité croissante de l’OTAN et des médias occidentaux à l’égard de la Chine, et en particulier de l’avis récent du « Tribunal ouighour », notre collègue Alfred de Zayas donne un éclairage pertinent qui devrait retenir l’attention de ceux qui ont à cœur de donner des informations plus équilibrées.
En tant qu’institut genevois de recherches sur la paix, le GIPRI est dans son rôle quand il attire l’attention des médias sur la gravité de la situation géopolitique et sur le fait que le risque de guerre mondiale n’a jamais été aussi grand depuis la crise de Cuba en 1962. Il invite tous ceux qui formatent l’opinion publique à se garder de jeter encore davantage d’huile sur le feu.
Le Conseil de Fondation
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Source : Lire l'article complet par Réseau International
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