De dangereux ennemis du savoir

De dangereux ennemis du savoir

Les temps tragiques que nous traversons nous rappellent l’importance cruciale de la science (où en serions-nous sans les vaccins…), mais aussi combien cette conquête de la rationalité est fragile et constamment menacée.

Dans ce vaste et complexe dossier, l’éducation, les médias et la vulgarisation scientifique de qualité — comme il s’en fait heureusement beaucoup chez nous — jouent, ou du moins devraient jouer, un rôle déterminant : celui de faire en sorte que chacun puisse recevoir et comprendre l’information scientifique, et sache distinguer entre ce qu’il est raisonnable de penser que l’on sait, ce qu’on ne sait pas et ce qui est incertain.

Bien des obstacles se dressent alors devant nous.

Le politique, pour commencer, peut, comme nous le rappelait récemment le scientifique en chef du Québec, Rémi Quirion, brouiller les pistes et mettre à mal la nécessaire transparence de la communication entre les experts et le public, qui exige que l’on fasse le tri entre ce qui relève de l’un et ce qui relève de l’autre.

Plus subtilement, l’idéologie, au sens large, peut aussi faire obstacle à la communication, et même à la recherche scientifique. On connaît à ce sujet les désolants effets des croyances relativistes et postmodernistes dans de vastes secteurs de la vie intellectuelle et de l’université.

Il arrive aussi, toutefois, que ce qui se produit soit inattendu. Voyez plutôt.

Michael Shermer et Scientific American

Je suis depuis longtemps un avide lecteur de revues faisant de la vulgarisation scientifique. Parmi elles, la prestigieuse et très ancienne Scientific American.

Plus jeune, je me précipitais sur le dernier numéro pour aller lire celui que je tiens pour l’un des plus grands vulgarisateurs des sciences, mais surtout des mathématiques, du XXe siècle : Martin Gardner (1914-2010).

Plus récemment, un autre très grand nom du scepticisme contemporain y a, durant quelques années, tenu chronique : Michael Shermer, aussi fondateur de la revue Skeptic. C’est sur sa chronique que je me lançais en recevant la revue.

Puis, d’un coup, après 214 chroniques, ça s’est arrêté, en janvier 2019.

Shermer a récemment expliqué ce qui, selon lui, s’est passé. En un mot, il n’était pas assez woke pour les positions idéologiques qu’à son avis la revue défend désormais.

Ce troublant épisode, à ranger parmi les menaces idéologiques contre la science et la rationalité, n’a pas, je pense, été rapporté chez nous. Il mérite pourtant toute votre attention.

Des usines à fraude universitaire ?

Un autre ennemi majeur de la science et de la raison, lui aussi connu depuis longtemps, mais qui prend de nos jours des formes inédites, est la commercialisation du savoir et de la recherche.

Quand j’éditais les écrits de Chomsky sur l’université, il m’avait assuré, en entrevue, que sur bien des plans la recherche au MIT était plus libre quand elle était financée par l’armée que depuis qu’elle l’est massivement par l’entreprise privée !

Les pernicieux effets de l’argent sur la production et la diffusion de la science, bien connus (détermination des objets de recherche, appropriation des résultats, brevetage, coûts astronomiques des abonnements institutionnels aux revues, etc.), prennent en ce moment des formes qu’on n’aurait pas soupçonnées il y a encore peu.

J’ai déjà parlé en ces pages de ces revues dites prédatrices qui, contre argent sonnant, publient, très vite, dans ce qui a toutes les apparences d’une revue scientifique légitime, des textes qui n’ont pas été évalués par des pairs et qui racontent parfois des bêtises.

Il semble que ce désolant phénomène soit de plus en plus connu et décrié, ce qui est une excellente chose. Mais il semblerait aussi (notez ce conditionnel…) que le contournement des processus de validation des publications ait récemment pris une nouvelle tournure. J’ignore jusqu’où ce que je rapporte est exact, mais ce troublant dossier devrait être fouillé par des gens qui en ont le temps, les compétences et les ressources nécessaires.

Voici de quoi il s’agit.

Anna Abalkina, professeure à la Freie Universität de Berlin, est une spécialiste de la fraude au sein des universités. Dans une récente publication, elle soutient qu’il existe désormais de véritables usines de fraude universitaire, qu’elles sont en plein essor et qu’elles génèrent d’importants revenus.

Selon elle, des universitaires se tourneraient vers des entreprises comme International Publisher LLC, en Russie (on en trouverait aussi dans d’autres pays), qui leur offrent la possibilité de devenir coauteurs d’un manuscrit déjà accepté pour publication par une revue. Ces articles seraient rédigés en Ukraine et utiliseraient des matériaux plagiés provenant de thèses de doctorat ou de revues spécialisées rédigés en russe, puis traduits en anglais, ce qui les rendrait difficiles à détecter par les logiciels de plagiat.

Elle recense 303 articles problématiques, et les sommes engrangées par les entreprises frauduleuses seraient considérables. Parmi les disciplines concernées, on trouve l’économie, le droit, l’éducation, la linguistique, la médecine, l’ingénierie et l’agriculture.

Michael Shermer, qui connaît bien ces dossiers, doit être au courant de tout ça. Mais on ne le lira pas là-dessus dans Scientific American

<h4>À voir en vidéo</h4>

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Source : Lire l'article complet par Le Devoir

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À propos de l'auteur Le Devoir

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