par Mourad Khaldi.
Une découverte d’outils et d’ossements vieux d’au moins 2,4 millions d’années en Algérie a bouleversé les connaissances : il y aurait eu au sud du bassin méditerranéen un peuplement bien plus ancien qu’au nord et un couloir migratoire vers l’Europe via Gibraltar
À Aïn Boucherit, en Algérie, à 300 km à l’est d’Alger, dans la région de Sétif, une équipe de chercheurs mettait au jour des galets en calcaire et en silex taillés ainsi que des dizaines d’ossements animaux fossilisés. Ils seront datés d’au moins 2,4 millions d’années, soit 600 000 ans plus anciens que les outils trouvés dix ans auparavant sur un site à proximité, celui de Aïn Lahnèche.
Il s’agit en fait d’un complexe de trois sites archéologiques : Aïn Boucherit, Aïn Lahnèche et El Kherba, situés dans un rayon d’1 km dans le bassin de l’oued Fouda, dans la commune de Guelta Zerga, à un jet de pierre au nord de la ville d’El Eulma (Sétif).
Il aura fallu plusieurs années d’efforts de la part de chercheurs issus de différentes pays et de plusieurs disciplines (archéologie, géologie, paléontologie, géochronologie, taphonomie et archéozoologie) pour que ce travail puisse aboutir à la découverte qui a ébranlé le monde de la paléoanthropologie, discipline scientifique concentrée sur l’évolution de l’homme.
Ces fouilles, entamées dans le complexe en 1992, ont permis en 2018 la mise au jour sur le site d’Aïn Boucherit, une découverte majeure faite dans le cadre d’un projet de recherche entamé en 2006 par une équipe internationale dirigée par le professeur Mohamed Sahnouni du Centre national de recherches préhistoriques, anthropologiques et historiques d’Algérie (CNRPAH) en collaboration avec l’Éthiopien Sileshi Semaw, du Centro Nacional de Investigación sobre la Evolución Humana de Burgos en Espagne (CENIEH), des chercheurs de la Griffith University (Australie) et des universités de Sétif 2 et d’Alger 2. La France a collaboré via un laboratoire pour la datation.
Un ou plusieurs berceau(x) de l’humanité ?
Mais pourquoi les outils et ossements de Aïn Boucherit ont-ils bouleversé les connaissances actuelles et les théories échafaudées ?
Les plus anciens outils humains mis au jour jusqu’à présent appartiennent à l’industrie lithique oldowayienne, industrie de la pierre taillée de la première période préhistorique du paléolithique inférieur, qui débute selon les chercheurs autour de -3 millions d’années.
La vallée de la rivière Oldoway, qui lui a donné son nom, se trouve en Tanzanie, dans les rifts de l’Afrique de l’Est où, il y a plus de 80 ans, les célèbres paléoanthropologues Louis et Mary Leakey ont trouvé les premiers outils de pierre.
Cette découverte qui bouleverse les théories sur les migrations de l’homme préhistorique en Afrique va engendrer deux hypothèses. La première soutient que les techniques d’outils sont rapidement sorties d’Afrique de l’Est, seul berceau de l’humanité, et la seconde, qu’il y a eu des origines multiples, plusieurs berceaux, des anciens hominidés et des technologies lithiques
De nombreuses autres découvertes d’outils et de fossiles du genre homo feront de l’Afrique de l’Est le berceau de l’humanité. Cependant, c’est plus au nord, en Éthiopie, à Gona (ou Kouna), qu’a été identifié le campement humain le plus ancien, datant de -2,6 millions d’années.
À Aïn Boucherit, 250 galets aménagés en calcaire et en silex et 600 ossements issus d’éléphants, d’hippopotames, de rhinocéros, d’équidés et de bovidés ont été retirés de deux niveaux archéologiques, inférieur et supérieur.
Certains os présentent des traces de découpes par des éléments tranchants, ce qui indique qu’il y a eu dépeçage, éviscération ou extraction de moelle des carcasses animales.
Quatre méthodes différentes, la stratigraphie, le paléomagnétisme, la résonnance paramagnétique électronique (RPE) et la biochronologie, ont permis d’estimer les âges respectifs pour ces deux niveaux archéologiques d’environ 1,9 et 2,4 millions d’années. Les objets préhistoriques du site de Aïn Boucherit sont donc les plus anciens connus après ceux de Gona.
Comme l’industrie préhistorique de Aïn Lahnèche, à proximité, remontant à environ 1,8 million d’années, était considérée comme la plus ancienne d’Afrique du Nord, Aïn Boucherit repousse ainsi de 600 000 ans l’arrivée des hominidés dans la région. Cela suggère que les ancêtres de l’homme étaient donc présents en Afrique du Nord plus tôt que ce que les scientifiques croyaient jusqu’à maintenant.
Cette découverte qui bouleverse les théories sur les migrations de l’homme préhistorique en Afrique va engendrer deux hypothèses. La première soutient que les techniques d’outils sont rapidement sorties d’Afrique de l’Est, seul berceau de l’humanité, et la seconde, qu’il y a eu des origines multiples, plusieurs berceaux, des anciens hominidés et des technologies lithiques.
Selon le professeur Sahnouni, la première est moins probable lorsqu’on considère la durée, trop courte, de la migration entre l’est et le nord du continent. C’est donc l’existence d’un second foyer d’Homo sapiens, ou plusieurs, qui serait la plus probable.
Ceci dit, sans restes humains, on ignore quel hominidé utilisait ces outils à la fois en Afrique de l’Est et du Nord.
Il doit y avoir eu un couloir à travers le Sahara avec un mouvement entre l’Afrique de l’Est et l’Afrique du Nord. Les nouvelles dates suggèrent cependant que des hominidés, dans au moins deux parties différentes de l’Afrique séparées de 5 000 kilomètres, étaient suffisamment sophistiqués pour inventer indépendamment des outils de pierre rudimentaires et les fabriquer habituellement est l’hypothèse qui revient le plus souvent parmi les paléoanthropologues qui ont réagi aux résultats du travail de l’équipe de Mohamed Sahnouni.
Succession de civilisations préhistoriques en Afrique du Nord
Ce n’est pas tout. Cette présence humaine plus précoce témoigne aussi d’un peuplement au sud du bassin méditerranéen bien plus ancien qu’au nord.
Il est antérieur de presque un million d’années aux plus anciennes industries lithiques mises au jour dans le sud de l’Europe et notamment en Espagne, comme la fabrication de hachereaux, spécifiquement africains.
Cela étaye l’hypothèse, écartée au profit d’une migration hors d’Afrique par un passage à l’est, d’un peuplement de l’Europe à partir de l’Afrique du Nord en empruntant le détroit de Gibraltar, alors un chapelet d’îles proches les unes des autres lors des épisodes glaciaires du quaternaire.
Pour Farid Bekhouche, le directeur du CNRPAH en Algérie, Aïn Lahnèche et Aïn Boucherit et les milliers de vestiges préhistoriques connus disséminés en Afrique du Nord montrent que les différentes civilisations préhistoriques se sont succédé sans interruption dans la zone depuis l’aube de l’humanité, y compris au Sahara, autrefois savane humide très giboyeuse.
C’est extrêmement rare et exceptionnel comme contexte. Selon ce chercheur, cette voie de migration humaine n’a pas livré tous ses secrets.
En effet, les sites préhistoriques les plus anciens connus en Europe se trouvent autour de la Méditerrané occidentale, en Espagne, en France, en Italie.
Les preuves les plus anciennes et les plus abondantes de la présence de l’homme en Europe se trouvent dans les grottes de la Sierra d’Atapuerca (nord de l’Espagne). Elles ont livré des restes humains d’1,2 million d’années.
Les restes de l’Homme d’Orce et de l’Enfant d’Orce ont aussi été trouvés en Espagne, à Orce, ainsi que sur les sites de Fuente Nueva (Andalousie), datés d’1,4 million d’années, et de Barranco León (Andalousie), daté entre 1,3 et 1,2 million d’années.
On peut encore citer les sites de Lézignan-la-Cèbe et la grotte du Vallonnet, dans l’Hérault (sud de la France), estimés respectivement aux alentours d’1,2 et 1,15 million d’années, et le mont Poggiolo, en Italie, à 950 000 ans.
illustration: Galet taillé de Aïn Boucherit (CNRPAH)
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