Par Moon of Alabama – Le 13 janvier 2022
À la fin des années 1990, le complexe militaro-industriel-médiatique américain a fait pression sur l’administration Clinton pour étendre l’OTAN. Le seul but était de gagner plus de clients pour les armes américaines. La Russie a protesté. Elle avait proposé de s’intégrer dans une nouvelle architecture de sécurité européenne, sur un pied d’égalité avec les États-Unis. Mais ces derniers voulaient que la Russie se soumette à leurs caprices.
Depuis lors, l’OTAN a été élargie cinq fois et s’est rapprochée de plus en plus de la frontière russe. Laisser la Russie, un grand pays doté de nombreuses ressources, en dehors de la structure de sécurité de l’Europe garantissait qu’elle tenterait de sortir des misérables années 1990 et de retrouver son ancienne puissance.
En 2014, les États-Unis ont parrainé un coup d’État contre le gouvernement démocratiquement élu en Ukraine, voisin et parent de la Russie, et y ont installé leurs proxys. Pour empêcher une éventuelle intégration de l’Ukraine dans l’OTAN, la Russie a organisé un soulèvement contre le coup d’État dans l’est de l’Ukraine. Tant que l’Ukraine connaît un conflit interne, elle ne peut pas rejoindre l’OTAN.
En 2018, l’administration Trump s’est retirée du traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire qui avait été créé sous les présidents Gorbatchev et Reagan pour éliminer les missiles nucléaires en Europe. Maintenant, les États-Unis font des plans pour stationner de nouveaux missiles nucléaires en Europe, ce que la Russie considère comme une menace. Cela nécessite donc une réponse de sa part.
Entre-temps, les États-Unis et d’autres États de l’OTAN ont déployé d’importantes unités de « formation » en Ukraine et continuent d’y envoyer des armes. Il s’agit d’une intégration furtive de l’Ukraine dans les structures de l’OTAN, sans les garanties formelles.
Fin 2021, les États-Unis ont commencé à faire grand cas de prétendues concentrations militaires russes à leur frontière occidentale, accompagné d’allégations sans fondement selon lesquelles la Russie menace d’envahir l’Ukraine qui supplie d’entrer dans l’OTAN. Le but étant de justifier une nouvelle extension de l’OTAN et davantage de déploiements de l’OTAN près de la Russie.
La Russie en a assez de ces absurdités. Elle a donc décidé de faire pression sur les États-Unis pour obtenir une nouvelle architecture de sécurité en Europe qui ne menacerait pas la Russie. Les rumeurs concernant l’action de la Russie en Ukraine ont contribué à pousser le président Joe Biden à accepter des pourparlers.
Après que la Russie eut détaillé ses exigences en matière de sécurité à l’égard des États-Unis et de l’OTAN, une série de pourparlers ont été organisés.
J’avais prévenu que ces discussions ne seraient probablement pas fructueuses, car les États-Unis n’avaient montré aucun signe de volonté de répondre aux principales demandes russes. Comme prévu, les discussions de lundi avec les États-Unis ont échoué. Les États-Unis ont fait quelques remarques indiquant qu’ils aimeraient négocier certaines questions secondaires, mais pas sur le cœur de la demande russe de mettre fin à l’extension de l’OTAN et d’arrêter les nouveaux déploiements de missiles.
Les discussions de mercredi avec l’OTAN ont eu des résultats similaires à ceux des discussions d’aujourd’hui avec l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE).
Comme la Russie l’avait annoncé précédemment, elle n’envisagera pas de nouveaux pourparlers car il n’y a plus rien à en attendre :
Le vice-ministre russe des Affaires étrangères, Sergei Ryabkov, a déclaré qu’il ne voyait « aucune raison » de poursuivre les discussions, ce qui porte un coup aux efforts visant à apaiser les tensions. Ses commentaires sont intervenus alors que l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe s’est réunie à Vienne dans le cadre de la dernière tentative visant à éviter une crise européenne majeure alors que la Russie déploie des troupes à la frontière de l’Ukraine.
S’exprimant sur la télévision russe, M. Ryabkov a déclaré que les États-Unis et leurs alliés ont rejeté les principales demandes de la Russie – notamment son appel à la fin de la politique de la porte ouverte de l’OTAN pour les nouveaux membres – en proposant de négocier uniquement sur des sujets d’intérêt secondaire pour Moscou.
« Il y a, dans une certaine mesure, une impasse ou une différence d’approche », a-t-il déclaré. Sans un signe de flexibilité de la part des États-Unis, « je ne vois pas de raisons de s’asseoir dans les prochains jours, de se réunir à nouveau et de recommencer les mêmes discussions. »
D’autres responsables du gouvernement russe ont formulé des remarques similaires :
Le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, qui a qualifié la position occidentale d’ »arrogante, inflexible et intransigeante », a déclaré que le président Vladimir Poutine déciderait de la suite des événements après avoir reçu les réponses écrites aux demandes de Moscou la semaine prochaine. …
En plus de qualifier les pourparlers d’infructueux, le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a mis l’accent jeudi sur un projet de loi annoncé la veille par des sénateurs démocrates américains, qui prévoit de nouvelles sanctions sévères contre les Russes, y compris Poutine, en cas d’action militaire contre l’Ukraine.
Peskov l’a qualifié d’« extrêmement négatif, surtout dans le contexte de la série de négociations en cours, certes infructueuses, mais des négociations quand même. » Sanctionner un chef d’État « est une mesure scandaleuse qui est comparable à la rupture des relations », a-t-il déclaré.
Peskov a également accusé les États-Unis et l’OTAN d’aggraver le conflit par des efforts visant à « inciter » de nouveaux pays à rejoindre l’OTAN.
Les dernières remarques de M. Peskov ont trait aux bruits récents de la Finlande et de la Suède selon lesquels ces pays pourraient envisager de rejoindre l’OTAN.
Les États-Unis avaient promis d’envoyer une réponse écrite aux demandes de la Russie d’ici la semaine prochaine. L’OTAN a également déclaré qu’elle enverrait une lettre dans un délai d’une semaine. Si ces lettres ne contiennent pas de concessions substantielles pour la Russie, elle devra agir.
L’article du Washington Post cité ci-dessus est intitulé « La Russie accentue sa pression sur l’Europe et déclare qu’il n’y a pas lieu de poursuivre les discussions sur la sécurité dans un contexte de tensions accrues ». Le Post tente de présenter ces questions comme un problème entre la Russie, l’Europe et l’OTAN.
Or, la Russie ne discute même pas avec l’Europe, qui n’est plus pertinente. Les demandes de sécurité sont adressées aux États-Unis et les problèmes ne peuvent être résolus que par la Maison Blanche.
La Russie a parlé de « mesures militaro-techniques » qu’elle devrait prendre en cas d’échec des négociations.
Elle a maintenant commencé à faire allusion à certaines de ces possibilités :
Jeudi, la Russie a fortement augmenté les enjeux de son différend avec l’Occident au sujet de l’Ukraine, un haut diplomate refusant d’exclure un déploiement militaire russe à Cuba et au Venezuela si les tensions avec les États-Unis s’aggravaient.
Le vice-ministre des Affaires étrangères, Sergueï Ryabkov, qui a dirigé la délégation russe lors des pourparlers de lundi avec les États-Unis à Genève, a déclaré dans des remarques télévisées qu’il ne voulait « ni confirmer ni exclure » la possibilité que la Russie envoie des moyens militaires à Cuba et au Venezuela si les pourparlers échouent et que la pression des États-Unis sur la Russie augmente.
La Russie n’a pas besoin de stationner des missiles à Cuba, mais elle pourrait demander l’accès de sa marine à un ou plusieurs ports décents dans la zone :
Tout en exprimant son inquiétude quant à la possibilité que l’OTAN utilise le territoire ukrainien pour déployer des missiles capables d’atteindre Moscou en cinq minutes seulement, M. Poutine a fait remarquer que les navires de guerre russes armés du dernier missile de croisière hypersonique Zircon donneraient à la Russie une capacité similaire s’ils étaient déployés dans des eaux neutres.
Le timing est intéressant. À partir d’aujourd’hui, les missiles Zircon ont été officiellement acceptés par les services militaires russes. Actuellement, cinq navires de la marine russe sont configurés pour transporter ces nouvelles armes hypersoniques et beaucoup d’autres sont à venir :
À ce stade, les porteurs de Zirkon sont les FFG pr. 22350 (classe Amiral Gorshkov), les corvettes pr. 20385 et les navires modernisés pr. 1155 FFGs, classe Udaloy (voir Marshal Shaposhnikov). Au total, on peut déjà voir au moins 5 lanceurs de missiles Zircon à flot dans la flotte de surface russe, leur nombre passant à 11 vers le milieu des années 2020, date à laquelle les lanceurs de missiles Zircon en version sous-marine viendront également s’ajouter au nombre de lanceurs. Bienvenue dans la nouvelle ère de la guerre navale. Je suppose que certains des Karakurts (pr. 22800) et pr. 21631 de la classe Buyan seront également capables de transporter des Zircons ou sa version « plus petite » Zircon Lite, d’une portée de 500 kilomètres. Et, bien sûr, une fois achevé, le croiseur de combat nucléaire Admiral Nakhimov transportera un tas de Zircon. Nous ne pouvons que deviner combien, puisque parmi les 174 VLS du Nakhimov, 80 seront chargés de missiles anti-surface.
Nous attendons le nouveau discours de Vladimir Poutine devant l’Assemblée fédérale assez rapidement (il était prévu, selon Peskov, « au début de 2022 »), et nous verrons donc de quelles autres choses Poutine parlera.
Ce discours sera aussi intéressant que celui de 2018 (vidéo) au cours duquel Poutine a annoncé un certain nombre de nouveaux systèmes d’armes que les États-Unis n’ont aucun moyen de contrer. Attendez-vous à ce qu’il y en ait davantage.
La Russie pourrait également déployer de nouvelles armes visant l’Europe :
La Russie a déclaré lundi qu’elle pourrait être contrainte de déployer des missiles nucléaires à portée intermédiaire en Europe en réponse à ce qu’elle considère comme des plans de l’OTAN pour faire de même.
L’avertissement du vice-ministre des Affaires étrangères, Sergueï Ryabkov, soulève le risque d’une nouvelle accumulation d’armes sur le continent, alors que les tensions Est-Ouest sont au plus haut depuis la fin de la guerre froide, il y a trente ans.
Ryabkov a déclaré que la Russie serait contrainte d’agir si l’Occident refusait de se joindre à elle pour un moratoire sur les forces nucléaires de portée intermédiaire (FNI) en Europe, qui fait partie d’un ensemble de garanties de sécurité que la Russie cherche à obtenir pour désamorcer la crise en Ukraine.
L’absence de progrès vers une solution politique et diplomatique conduirait la Russie à répondre de manière militaire, avec des technologies militaires, a déclaré M. Ryabkov à l’agence de presse russe RIA.
« C’est-à-dire qu’il y aura une confrontation, ce sera le prochain round », a-t-il dit, en faisant référence au déploiement potentiel des missiles par la Russie.
Les armes nucléaires de portée intermédiaire – celles qui ont une portée de 500 à 5 500 km (310 à 3 400 miles) – ont été interdites en Europe en vertu d’un traité conclu en 1987 entre le dirigeant soviétique de l’époque, Mikhaïl Gorbatchev, et le président américain, Ronald Reagan, dans ce qui a été salué à l’époque comme un apaisement majeur des tensions de la guerre froide. En 1991, les deux parties avaient détruit près de 2 700 d’entre eux.
Les États-Unis construisent de nouveaux sites de missiles en Pologne et en Roumanie. Ils affirment qu’il s’agit d’installations de défense antimissile équipées du même type de système de combat AEGIS que celui utilisé sur de nombreux navires de guerre américains. Les nouvelles installations terrestres AEGIS sont censées défendre les États-Unis contre les missiles iraniens et nord-coréens. Il s’agit bien sûr de foutaises.
Le système AEGIS utilise le système de lancement vertical Mark 41 pour stocker et tirer ses missiles. Les États-Unis prétendent que ces nouveaux sites auront des missiles de défense aérienne dans leurs conteneurs de lancement. Toutefois, ces mêmes conteneurs peuvent être utilisés pour tirer des missiles de croisière d’attaque terrestre Tomahawk (TLAM) à charge nucléaire. Il serait très facile pour les États-Unis de changer les missiles sans que personne ne s’en aperçoive.
Les Tomahawk ont une portée de 2 500 km. Depuis la Pologne et la Roumanie, ils peuvent atteindre Moscou et d’autres centres russes en peu de temps. Le ministère américain de la défense affirme que le système en Pologne sera opérationnel à la fin de cette année.
À la fin de l’année dernière, les États-Unis ont également réactivé leur 56e commandement d’artillerie en Europe :
« Il permettra de mieux synchroniser les tirs et les efforts interarmées et multinationaux et d’utiliser les futurs missiles de surface à longue portée dans la zone de responsabilité de l’armée américaine en Europe et de l’armée américaine en Afrique », a déclaré le général de division Stephen Maranian, commandant de la nouvelle unité, avant l’annonce faite lundi à Wiesbaden, en Allemagne.
Le 56th Artillery Command est issu d’une unité de l’époque de la guerre froide, le 56th Field Artillery Command, qui servait de quartier général pour les opérations de missiles Pershing en Europe. Il a été désactivé en juin 1991, à la suite de la signature, quatre ans plus tôt, du traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (FNI), qui limite l’utilisation des armes nucléaires « tactiques » de moyenne portée.
Le général Christopher Cavoli, commandant de l’armée américaine en Europe et en Afrique, a qualifié la décision de ramener le 56e commandement d’artillerie de « très bonne nouvelle ».
Il était évident que la Russie ne laisserait pas cette « très bonne nouvelle » sans réponse.
Elle déploiera probablement certains de ses missiles de croisière 9M729 (code OTAN SSC-8 Screwdriver), actuellement stationnés derrière la chaîne de l’Oural, à sa frontière occidentale, en Biélorussie et à Kaliningrad. Ces missiles peuvent être dotés d’armes nucléaires et couvriraient la plupart des capitales européennes et le siège de l’OTAN.
Toute cette situation créé un désordre totalement inutile. L’OTAN a perdu depuis longtemps ses capacités de l’époque de la guerre froide. Les armées européennes ne sont plus que l’ombre d’elles-mêmes et l’armée américaine a démontré à maintes reprises son incapacité à combattre. Rejeter les demandes de la Russie dans ces circonstances est non seulement de l’arrogance pure mais surtout de la bêtise :
Le 12 janvier 2022 – une date qui restera dans l’histoire de l’hypocrisie – les États membres de l’OTAN ont déclaré leur détermination héroïque à se battre jusqu’au dernier Ukrainien. Ils l’ont fait en rejetant de fait les conditions posées par la Russie pour un accord avec l’alliance, centrées sur la demande que l’OTAN exclue toute nouvelle expansion vers l’Ukraine, la Géorgie et d’autres anciennes républiques soviétiques.
L’hypocrisie et l’idiotie – sur lesquelles les historiens du futur secoueront probablement la tête avec stupéfaction – résident dans le fait que l’OTAN n’a aucune intention réelle d’admettre l’Ukraine, ni de combattre la Russie en Ukraine. Tant Washington que Bruxelles ont ouvertement exclu cette possibilité. En fait, l’OTAN ne pourrait pas le faire même si elle le voulait. Les forces américaines en Europe sont totalement inadaptées à cet objectif, tout comme ce qui reste des armées britannique et française.
Anatol Lieven, qui a écrit ce qui précède, voit quelques compromis possibles. En particulier, la pression des États-Unis sur l’Ukraine pour qu’elle fasse enfin la paix avec sa région orientale :
Cependant, les États-Unis doivent maintenant agir très vite pour offrir ces compromis. S’ils ne le font pas, une nouvelle guerre semble de plus en plus possible. Cette guerre serait un désastre pour toutes les parties concernées : pour l’OTAN, dont l’impuissance militaire serait cruellement soulignée ; pour la Russie, qui subirait de graves dommages économiques et serait contrainte à une position de dépendance vis-à-vis de la Chine avec de graves implications pour l’avenir de la Russie ; et surtout pour les milliers de soldats et de civils ukrainiens qui perdraient la vie. En fait, le seul pays qui bénéficierait sans équivoque d’une telle guerre serait la Chine – et je ne savais pas que les politiques des États-Unis et de l’OTAN étaient conçues pour favoriser les objectifs géopolitiques de Pékin.
L’inutilité et l’absence d’objectif réel de l’OTAN sont bien connues :
Le problème est qu’ils ont été dépassés par deux autres ambitions qui ne sont pas du tout modestes et rationnelles. La première est le désir d’hégémonie universelle des États-Unis, y compris le droit de dicter les systèmes politiques des autres pays et l’influence qu’ils seront autorisés à exercer au-delà de leurs propres frontières.
Le second est le fait que les élites européennes voient l’Union européenne comme une sorte de superpuissance morale, qui s’étend pour englober l’ensemble de l’Europe (sans la Russie bien sûr), et qui donne un exemple internationaliste libéral au monde ; mais une superpuissance militairement impuissante qui dépend des États-Unis pour sa sécurité, via l’OTAN.
Ces projets ont aujourd’hui manifestement échoué. …
Si nous pouvons reconnaître cet échec et revenir à une vision plus modeste de nous-mêmes et de notre rôle dans le monde, nous pouvons également abandonner la fausse promesse vide et hypocrite d’une nouvelle expansion de l’OTAN et rechercher une relation raisonnablement coopérative avec la Russie. Ou nous pouvons continuer à vivre dans notre monde d’illusions, bien que les mondes d’illusions aient tendance à être brisés par les dures réalités.
C’est une chose que personne ne devrait souhaiter.
Moon of Alabama
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone
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Source : Lire l'article complet par Le Saker Francophone
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