par Valentin Vasilescu.
La rédactrice en chef Tamara Abubakova a lancé une enquête journalistique intéressante dans la publication Informburo.kz sur la provenance des armes à feu utilisées par les manifestants au Kazakhstan au début de cette année. Elle a interviewé Sergei Katnov, le chef de l’association kazakhe des marchands d’armes « Koramsak ». Selon M. Katanov, « la plupart des armes que les criminels ont volées dans les armureries (fusils ou revolvers) ont été désactivées, certaines pièces ont été retirées et stockées séparément. Des munitions étaient également cachées ». Il a fait remarquer que ces armes ne pouvaient être utilisées qu’après le montage de toutes les pièces manquantes.
« D’après la nature des impacts de balles, ponctuels, dans les bâtiments administratifs, dans le bâtiment du centre de télévision et de radio, en tant qu’ancien militaire, je peux dire que les assaillants des forces de sécurité ont tiré uniquement avec des fusils automatiques de type militaire. Car lorsque vous tirez avec un fusil de chasse, il y a des dizaines de grains de plomb qui se dispersent sur une grande surface », a déclaré le responsable de l’association. L’utilisation d’armes à feu par les manifestants dans plus de 100 localités du Kazakhstan signifie qu’ils auraient utilisé près de 10 000 AK-47. La plupart d’entre eux n’ont pas encore été retrouvés.
D’où venaient ces armes ?
Partout dans le monde, il existe des dépôts d’armes et de munitions dans les gendarmeries (la garde nationale au Kazakhstan), les services de renseignement et la police. Mais ceux-ci sont conservés par une section spéciale de l’armée. Le transfert d’une seule arme ou d’une seule cartouche de ces dépôts est automatiquement notifié à l’armée et est motivé par l’exécution de tirs d’entraînement ou autre. Dans le cas de séances de tirs pour la formation des employés, les douilles des munitions tirées doivent être récupérées et constituent la preuve qu’elles n’ont pas été dérobées. En cas de disparition simultanée d’armes et de cartouches dans un dépôt militaire, l’armée crée une commission d’enquête. Par conséquent, même avec la complicité des structures militaires kazakhes, il était impossible que les armes et les munitions de ces institutions se retrouvent entre les mains des manifestants. La seule explication est que les armes et les munitions ont été introduites clandestinement au Kazakhstan sur une longue période.
Les services militaires et de renseignement du Kazakhstan disposent d’équipements d’écoute de fréquences et de goniométrie. L’équipement fonctionne 24 heures sur 24. Cependant, la coordination des attaques des manifestants violents contre les forces de sécurité s’est faite à l’aide de centaines de stations émettrices-réceptrices ultramodernes, très probablement à saut de fréquence (étalement de spectre par évasion de fréquence – FHSS ou frequency-hopping spread spectrum en anglais), avec des serveurs situés en dehors du Kazakhstan. Ces stations font partie de l’équipement de plusieurs puissantes armées de l’OTAN et c’est pourquoi les autorités kazakhes n’ont pas été en mesure de les intercepter et de les localiser.
Questions non résolues
Les médias kazakhs ont rapporté que le président Tokayev a été informé que lors des attaques du 2 au 7 janvier, 493 caméras vidéo installées dans 20 rues du centre d’Almaty ont été détruites ou délibérément désactivées. Grâce à ces caméras, les forces de l’ordre auraient pu connaître avec précision les directions des mouvements des groupes de manifestants, les cibles attaquées, le nombre d’armes à feu utilisées et les leaders des groupes. Et ils auraient pu diriger efficacement les forces d’intervention pour contrer les manifestations violentes. Il est difficile de supposer que des personnes sans formation spécialisée savaient où se trouvait l’équipement technique du système vidéo, commandé depuis le Centre de gestion opérationnelle, et comment interrompre son fonctionnement.
Les dirigeants des manifestants armés ont donc appliqué deux principes essentiels de la lutte armée : surprendre l’adversaire et assurer leur propre liberté de mouvement, laissant les forces de sécurité du Kazakhstan « aveugles et sourdes ». Tous ces faits montrent qu’il ne s’agissait pas de protestations spontanées, mais de mercenaires professionnels préparant un coup d’État soigneusement planifié et ayant de bonnes chances de réussir.
Quel a été le tournant du coup d’État manqué ?
Après deux jours consécutifs de combats de rue armés et de concessions politiques faites en vain, le 5 janvier, le président Kassim-Jomart Tokaev s’est entretenu au téléphone avec Vladimir Poutine et a demandé le soutien militaire de l’Organisation du Traité de Sécurité collective, une alliance militaire dirigée par la Russie. Lorsque le premier avion de transport militaire a atterri à l’aéroport d’Almaty avec des parachutistes russes à son bord, les manifestants violents et armés ont abandonné l’initiative et ont commencé à se cacher, à se dissimuler ou à tenter de franchir la frontière. Une explication possible est que les financiers du coup d’État ont compris que la poursuite des combats entraînerait l’afflux continu de troupes russes supplémentaires au Kazakhstan. Les forces du Conseil de Sécurité collective (OTSC) ont achevé leur déploiement le 9 janvier.
Changement d’attitude de l’administration américaine
Dans un premier temps, le 7 janvier, l’administration américaine a condamné l’ordre donné par le président Tokayev de tirer sans avertissement sur des manifestants « pacifiques ». Les médias occidentaux sont allés plus loin, affirmant que la Russie avait envoyé des troupes pour réprimer le soulèvement « pacifique » au Kazakhstan. Le 9 janvier, le secrétaire d’État Antony Blinken, dans l’émission « State of the Union » de CNN, a déclaré : « Nous nous demandons pourquoi le peuple du Kazakhstan s’est senti obligé de se tourner vers cette organisation de l’OTSC que la Russie domine ». On peut voir comment, en l’espace de deux jours, le président Kasim-Jomart Tokayev est passé du statut de dictateur sanguinaire à celui de personnage positif dans le récit de l’administration américaine. C’est le signal que quelque chose d’important s’est produit au cours de ces 2 jours, dont nous n’avons pas encore pris connaissance. Il est possible que l’enquête lancée par le bureau du procureur du Kazakhstan ait permis de trouver des indices sur l’entité qui a préparé et exécuté la tentative de coup d’État. Et Tokaev a fait la paix avec elle.
Le ton du changement est également repris par Tokaev
Très bizarrement, dès le 11 janvier, le président Kasim-Jomart Tokayev s’est empressé d’annoncer que la mission principale des forces de maintien de la paix s’était achevée avec succès et que le retrait du contingent de l’OTSC commencerait le 13 janvier. On ne sait pas sur quoi Tokaev s’est basé pour conclure qu’il n’y avait plus de risque, bien que la presse ait rapporté que très peu d’armes et de munitions et seulement quelques émetteurs radio utilisés lors de la tentative de coup d’État avaient été trouvés. Et il n’y a eu absolument aucune mention de l’arrestation d’un quelconque commandant des groupes armés. Pour que les choses soient claires pour Washington, le 11 janvier également, le président Kasim-Jomart Tokayev a nommé Askar Umarov au poste de ministre de l’information du Kazakhstan. M. Umarov était auparavant directeur de l’agence internationale de renseignement Kazinform et président de son conseil d’administration. En d’autres termes, le Dmitri Kiselev du Kazakhstan. Umarov est connu en Russie comme un nationaliste radical et un russophobe. Son opinion sur la minorité russe du Kazakhstan (25% de la population du pays) est carrément nazie et chauvine. C’est pourquoi les autorités de Moscou lui ont interdit d’entrer en Russie. Vu à travers le prisme des événements de janvier au Kazakhstan, la nomination d’un opposant à la Russie comme ministre devient une question de relations entre les deux pays. L’homologue russe de Askar Umarov, Yevgeny Primakov, chef de Rossotrudnichestvo, a déclaré qu’il n’entretenait pas de contacts, ne travaillait pas et ne coopérait pas avec les « racailles russophobes ».
Rapport de force actuel
– Tokayev a été mis en place en tant que président, puis soutenu par le clan Nazarbayev, dirigé par l’ancien président du Kazakhstan. Il a renvoyé tous les membres de ce clan, en arrêtant certains d’entre eux, si bien que Tokayev a perdu ce pilier de soutien.
– Les membres des partis d’opposition à l’époque de Nazarbayev étaient et restent hostiles à Tokayev. Ils ne manqueront aucune occasion pour l’évincer du pouvoir.
– Si la Russie avait su que Tokayev nommerait Askar Umarov à un poste idéologique clé, le public russe se serait opposé au soutien de l’armée russe à Tokayev. La presse russe note que cet affront personnel au président Vladimir Poutine ne sera ni oublié ni pardonné.
– L’armée était loyale au président Tokayev lors de la tentative de coup d’État. Après le déploiement rapide des troupes de maintien de la paix, les militaires kazakhs ont constaté que les armes et les équipements dont étaient dotés les parachutistes russes étaient très sophistiqués et qu’ils ne feraient pas le poids face à eux. Même si les unités de parachutistes sont considérées comme des troupes d’infanterie légère.
– Après l’avoir qualifié de dictateur primitif il y a deux semaines, l’Occident s’efforce désormais de faire passer le président Kasim-Jomart Tokayev pour un dirigeant civilisé, accepté à la grande table. Sa principale préoccupation est d’attirer de nouveaux investissements étrangers importants en provenance des États-Unis (Chevron et ExxonMobil sont déjà à la pointe de l’exploitation des hydrocarbures au Kazakhstan), du Royaume-Uni et de l’Allemagne. Tout cela est en contradiction flagrante avec les aspirations de la population extrêmement pauvre du Kazakhstan, qui souhaite une répartition plus équitable des immenses ressources du pays. Tokayev semble donc s’être transformé en une marionnette des intérêts américains.
traduction Avic pour Réseau International
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