Par Tom Fowdy – 11 janvier 2022 – RT
En début de semaine, les ministres des Affaires étrangères d’Arabie saoudite, du Koweït, d’Oman et de Bahreïn, ainsi que le secrétaire général du Conseil de coopération du Golfe (CCG) sont arrivés à Pékin pour une visite de quatre jours visant à renforcer les liens économiques avec la Chine.
La proposition d’un accord de libre-échange (ALE) entre les États du Golfe et Pékin figure en tête de l’ordre du jour. Les pourparlers à ce sujet ont débuté en 2004, mais ont stagné. On s’attend à ce qu’elles prennent un nouvel élan lors d’une visite décrite par le Global Times comme « sans précédent ».
Cette visite intervient quelques semaines après l’abandon par les Émirats arabes unis d’un contrat pour acheter des avions de chasse F-35 aux États-Unis, à cause de la tentative de Washington de faire de l’abandon de l’utilisation du fournisseur de télécommunications chinois Huawei une condition d’achat.
Tous les États du Golfe cherchant à diversifier leur économie en dehors du pétrole et la Chine souhaitant conclure autant d’accords de libre-échange que possible pour contrer les efforts d’endiguement des États-Unis, les conditions sont réunies pour un approfondissement des liens. Comme le montre la débâcle sur le cas Huawei, il est clair que les États-Unis ont mal évalué l’influence qu’ils exercent sur ces États, qui entretiennent depuis longtemps des liens étroits avec Washington. Car Pékin leur offre une sécurité économique et une sécurité de régime que les États-Unis n’offrent pas, ce qui les poussent à se tourner de plus en plus vers l’Orient.
Les États du Golfe sont de riches monarchies qui ont consolidé leur régime et leurs privilèges en recevant le soutien des États-Unis et de leurs alliés dans le cadre d’un système « patron-client ». En échange, ils ont soutenu les intérêts stratégiques et économiques des États-Unis au Moyen-Orient.
Après la dissolution de l’Empire ottoman à la suite de la Première Guerre mondiale et l’avancée des puissances européennes – en particulier la Grande-Bretagne et la France – dans la région, un accord a été conclu selon lequel elles soutiendraient l’indépendance politique des Arabes (bien que dans un système truqué de frontières et d’États qu’elles ont établi) en échange de pétrole. Ce rôle est rapidement passé aux mains des États-Unis.
Dans les années 1930, le Royaume d’Arabie saoudite s’est consolidé, tandis qu’un certain nombre d’États plus petits émergeaient, dans la seconde moitié du 20e siècle, des protectorats britanniques, notamment Oman, les Émirats arabes unis, Bahreïn et le Qatar. Le marché était simple : « Fournissez-nous du pétrole, achetez nos armes et nous vous protégerons ».
Ces États autocratiques sont ensuite devenus le pivot de l’opposition aux États postcoloniaux révolutionnaires qui n’appréciaient pas la présence de l’Occident dans la région, notamment l’Égypte de Nasser, l’Irak de Saddam Hussein, la Syrie d’Assad et l’Iran post-révolution. Cela a fait des États du Golfe d’importants marchés pour le complexe militaro-industriel américain.
Mais le monde change – et pas d’une manière qui plaise aux États-Unis. Tout d’abord, il existe désormais un marché du pétrole beaucoup, beaucoup plus important que celui des États-Unis et de leurs alliés. L’essor de la Chine, un pays de 1,4 milliard d’habitants, en a fait le plus grand consommateur d’énergie au monde, ce qui a inévitablement créé une énorme relation commerciale entre Pékin et le Golfe.
Deuxièmement, incapables de dépendre éternellement du pétrole alors que l’ère des énergies renouvelables se rapproche de plus en plus, les États du Golfe s’empressent d’investir leurs richesses accumulées dans de nouvelles affaires, en diversifiant leurs économies. Le fonds souverain de l’Arabie saoudite, qui a récemment acheté le club de football anglais Newcastle United, en est un exemple particulier, et il investit aussi beaucoup en Chine.
Ces États considèrent évidemment le plus grand marché de consommation du monde comme un élément clé de leur stratégie. Mais, troisièmement, ils voient également en la Chine un partenaire politiquement fiable, qui, malgré une idéologie très différente entre l’islam autocratique et le communisme, est plus susceptible de respecter la souveraineté nationale que l’Occident libéral et évangélique, grâce à la politique chinoise de non-ingérence.
Il n’est donc pas surprenant que les États du Golfe soient, aux Nations unies, de solides soutiens de la politique chinoise au Xinjiang. Il s’agit d’un domaine d’intérêt mutuel que les États-Unis, bien qu’ils fassent généralement de leur mieux pour négliger les droits de l’homme dans ces nations, ne peuvent égaler.
Washington est naturellement alarmé par le virage vers l’Orient de ces États et, à la fin de l’année dernière, a tenté de polluer les relations entre la Chine et les EAU. Il a d’abord exigé que ce pays se débarrasse de Huawei, puis il a accusé la Chine de construire une base militaire secrète dans un port de ce pays.
Ces efforts ont été largement infructueux et, bien qu’Abou Dhabi ait arrêté le projet de port pour apaiser les États-Unis, il a également abandonné l’accord sur les F-35, considérant la demande américaine comme une atteinte inacceptable à la souveraineté nationale.
Cela aurait dû rappeler aux États-Unis que les États du Golfe ne sont pas des « alliés » comme le sont les États européens, mais des partenaires qui ont utilisé les États-Unis et d’autres pays pour promouvoir leurs intérêts. Aujourd’hui, ils considèrent qu’une partie considérable de ces intérêts est mieux servie par la Chine.
Ils n’adhèrent pas à la propagande de guerre froide menée par les États-Unis sur la prétendue menace chinoise et, en tant qu’États autoritaires eux-mêmes, ils ne peuvent se laisser convaincre de la nécessité de rejoindre les Américains dans une lutte mondiale pour la démocratie ou de considérer Pékin comme une menace pour leurs propres régimes.
Et ce ne sont pas seulement les États-Unis qui commettent cette erreur. Liz Truss, la polarisante ministre britannique des affaires étrangères, a également rencontré les ministres des affaires étrangères des États du Golfe à la fin de l’année dernière et a présenté sa réunion, bien qu’indirectement, comme une tentative de contrer l’initiative « Nouvelle route de la soie » en « finançant des infrastructures honnêtes et fiables à l’étranger », même s’il est clairement ridicule de considérer le Royaume-Uni comme une alternative viable à la Chine.
Dans ce cas, il devrait être évident dès maintenant que l’une des principales priorités de la Chine en 2022 sera de conclure un Accord de Libre Echange (ALE) avec les États du Golfe. L’accord proposé n’avait pas abouti auparavant car, avec d’énormes excédents commerciaux dus à l’exportation d’énergie, les États du Golfe n’avaient pas vraiment besoin d’un ALE pour prospérer.
Mais les temps sont différents aujourd’hui et ces États veulent accéder aux marchés chinois du commerce de détail et des services, et exporter leurs propres spécialités telles que les textiles, l’artisanat et l’alimentation. Comme la Chine considère le renforcement du libre-échange comme sa principale stratégie pour contrer les États-Unis, et que les États du Golfe ne sont pas des nations industrialisées qui représentent un défi pour ses propres industries – tout en étant de grands importateurs et consommateurs – il devrait être facile pour Pékin de faire les concessions nécessaires pour faire passer l’accord.
Les ramifications politiques de cette décision seront énormes : à la lumière de l’affaire Huawei, les États-Unis comprendront qu’ils n’ont plus le pouvoir qu’ils avaient autrefois sur les États du Golfe et qu’ils ne peuvent pas les obliger à se retourner contre la Chine.
Les pays du Golfe sont toujours heureux d’avoir une relation de travail positive avec Washington et Londres. Cependant, le message est clair : c’est à leurs conditions maintenant. La Chine est une couverture et il convient également de se rappeler que dans tous les cas – et cela s’applique à Pékin autant qu’aux autres – les EAU, l’Arabie saoudite, le Koweït et d’autres ne sont pas tant des amis que des partenaires commerciaux.
Tom Fowdy
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone
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