En pleine première vague de la pandémie de Covid-19, l’ex-Premier ministre travailliste britannique Gordon Brown avait proposé comme réponse politique à la crise sanitaire l’instauration – à titre provisoire – d’un gouvernement mondial1. Cette pandémie étant planétaire, le virus n’ayant pas besoin de passeport pour circuler à travers les frontières (dixit Macron), la solution devrait donc, selon le successeur de Tony Blair au 10, Downing Street, se situer à la même échelle : transnationale, globale.
Ne croyez pas que l’impérialisme britannique a disparu avec le mouvement de décolonisation qui commença dans la seconde moitié du XXème siècle et la déconfiture de Suez, en 1956-1957. Il a changé de forme, se dissimulant derrière les États-Unis. Il s’efforce en effet d’en aiguiller les grandes orientations géostratégiques2. Avec un atout non négligeable : une langue commune, et, son corollaire, une façon de pensée similaire.
Global Britain, dernier avatar de la politique du Grand Jeu
Depuis le XIXème siècle, le monde vit sous le joug du même impérialisme linguistique. L’imperium de l’anglais est l’une des conséquences notables du nouvel ordre international né de Waterloo. Il a favorisé l’essor d’une culture hégémonique dite anglo-saxonne, ou globale, dont le centre de diffusion principal est aujourd’hui la Californie (Hollywood, Silicon Valley). Et les élites britanniques entendent bien exploiter à fond cet état de fait caractérisé par le rayonnement planétaire de leur langue.
Le Brexit, décidé démocratiquement en juin 2016, a été l’occasion pour l’establishment, qui se concentre autour de la City de Londres, de redéfinir la place du Royaume-Uni dans le monde. Le syntagme « Global Britain » désigne cette nouvelle stratégie, initiée par Theresa May et poursuivie par Boris Johnson.
En matière économique, le but est d’attirer les capitaux, d’être le terrain de jeu idéal pour les entrepreneurs, de capter l’essentiel des flux financiers et des « cerveaux ». En langage plus médiatique, il s’agit de réformer, de moderniser le pays, de le transformer en « Singapour-sur-Tamise ».
Au niveau diplomatique et militaire, la France a réalisé à l’automne dernier que le « Global Britain » ne peut que se déployer qu’au détriment de ses intérêts. L’AUKUS, annoncé le 15 septembre 2021 par Joe Biden a été pour nous un vrai coup dans le dos, pour reprendre les mots du patron du Quai d’Orsay Jean-Yves Le Drian, qui ce jour-là a appris à ses dépens cette cruelle réalité : ils nous voient comme des vassaux, pas comme des alter ego.
L’on peut que déplorer que ces derniers mois les relations franco-britanniques se sont dégradées, voire tendues, à cause en outre de la question des licences de pêche dans la Manche et des problèmes migratoires sur cette zone, que les accords du Touquet sont censés régler.
Dans Kiel et Tanger, Charles Maurras interpella ses contemporains sur le rapport asymétrique qui caractérise l’« alliance » entre le Royaume-Uni et la France :
« Cette union de fait ne ressemble guère à une alliance dans laquelle on voit deux États contracter pour se mouvoir ensemble. Ici l’un est moteur, l’autre est simple mobile et simple protégé. […] La République ne manœuvre plus, mais sera manœuvrée et manipulée par un cabinet étranger. Elle ne fera plus ni combinaisons ni systèmes, mais elle sera d’un système et d’une combinaison : système anglais, combinaison dont la mise en train et la direction lui échappent. »3
Il y a lieu de considérer que ces observations ne sont en rien datées. En vérité le régime républicain en France sert les intérêts britanniques. C’est dans ce cadre institutionnel que l’establishment du Royaume-Uni peut le plus aisément placer ses hommes-liges.
Suffrage universel et ingérence étrangère
Effectivement, « quand, à la suite d’une révolution ou d’une autre, l’État ne tient qu’à l’opinion mobile et à la volonté flottante de citoyens éphémères, il devient le jouet d’intérêts particuliers factieux, que l’or étranger domestique facilement »4, fit remarquer Maurras dans Kiel et Tanger.
N’oublions pas les sommes colossales versées par les donateurs londoniens au candidat Emmanuel Macron pour financer sa campagne de 2017.
Son rival François Fillon, qui plaida en faveur d’un rapprochement avec la Russie, vit surgir d’innombrables affaires qui lui barrèrent la route de l’Élysée.
Son prédécesseur, François Hollande, avait déclaré en février 2012 au Guardian que les milieux financiers ne devaient pas le voir comme un danger, ce qui lui valut cette remarque sarcastique du président d’alors Nicolas Sarkozy : « Mitterrand à Paris, Thatcher à Londres »5.
Ce dernier, surnommé Sarkozy l’Américain, qualifié par ses adversaires de néoconservateur américain à passeport français, n’était pas en reste. Le 16 janvier 2009, il fit allégeance au projet « anglobaliste » d’instauration d’un gouvernement planétaire, en précisant qu’« on ira ensemble vers ce nouvel ordre mondial et personne, je dis bien personne, ne pourra s’y opposer »6.
La « culture-monde »7 anglo-saxonne, qui irradie l’humanité depuis des décennies prépare insidieusement l’avènement de l’État-monde, ce qui suppose la mise en place d’un impôt mondial et d’une monnaie mondiale, projet qu’ont en tête les élites du Royaume-Uni depuis des lustres.
One State, One Tax, One Money
Il est incontestable que « la Conférence réunie en 1944 à Bretton Woods a eu à choisir entre la thèse britannique, présentée par J.M. Keynes, et le point de vue américain, défendu par White. Keynes propose la création d’une monnaie internationale en papier, le « bancor », qui serait émise par une autorité monétaire mondiale […]. Cependant, la théorie de Keynes a été jugée à l’époque trop audacieuse […] et trop favorable aux intérêts britanniques. »8
Depuis ce plan majeur de l’agenda de l’establishment du Royaume-Uni a avancé, à travers les droits de tirage spéciaux (D.T.S.), mis en place par le Fonds monétaire international à la fin des années 1960, qui sont un artefact de monnaie unique planétaire sous la forme d’un panier de devises.
Le général de Gaulle, fragilisé par la crise de mai-juin 1968, dut se résoudre à céder à la volonté américano-britannique qui consistait à remplacer le système du « Dollar Gold Standard » par celui des D.T.S., « monnaie internationale papier, distribués au prorata des quote-parts au F.M.I. » « qui donne une nouvelle facilité aux États-Unis en leur permettant d’économiser l’or restant », en leur donnant la possibilité de les distribuer « aux Banques Centrales qui ne voudraient plus conserver de dollars »9, ce qui fut acté en 1969.
Révolution arc-en-ciel
Économie, politique, culture, tout est lié : le symbole de cette culture-monde est l’arc-en-ciel. L’étendard de cet État-monde en gestation et aussi celui de la cause LGBTQI+ : l’« anglobalisme » fait de surcroît profession de foi égalitariste. Élisabeth II, aussi surprenant que cela puisse être, a choisi ce symbole dans le cadre de la lutte contre le Covid-19, invitant, en avril 2020, les parents confinés à proposer à leurs enfants de dessiner des arcs-en-ciel pour mieux les aider à prendre leur mal10 en patience.
Dernier né des apôtres de la foi égalitariste arc-en-ciel, Lil Nas X promeut un genre nouveau, relevant à première vue de l’oxymore, le rap gay, prenant la relève de Lady Gaga, icône gay elle aussi, et adepte elle aussi du travestissement des références bibliques, ce que René Guénon appelait grande parodie, soit « l’imitation caricaturale et ‟satanique” de tout ce qui est vraiment traditionnel et spirituel »11.
C’est Lady Gaga qui eut l’honneur de chanter l’hymne « God Bless America » lors de l’investiture de Joe Biden. Il s’agit de voir ces fidéicommis de l’antique ennemi comme les polichinelles de la fortune anonyme et vagabonde, dont le quartier général est, tel Janus, bicéphale : la City et Wall Street.
Nul autre ennemi que celui-ci : par ce texte nous entendons apporter notre contribution à la question politique par excellence, la désignation de l’Ennemi, dans la continuité du travail effectué par Pierre de Meuse, qui, dans son essai Idées et doctrines de la Contre-révolution soutient non seulement qu’« on ne peut se permettre de combattre à la fois plusieurs ennemis »12, mais surtout « qu’un contre-révolutionnaire ne peut bâtir une stratégie durable sur la seule opposition à l’islamisme. »13
Quand, quelques lignes plus haut, il écrit que le terrorisme d’inspiration musulmane « sert d’instrument aux desseins machiavéliques des plus puissants »14, qu’entend-il par plus puissants ? Serait-ce l’ « anglobalisme » qu’il désigne implicitement, ce projet fou clairement assumé par le Financial Times, via la plume de Gideon Rachman, qui le 8 décembre 2008 signa l’article intitulé « And now for a world government » ?
Références
1https://www.theguardian.com/politics/2020/mar/26/gordon-brown-calls-for-global-government-to-tackle-coronavirus
2C’est la logique de Nassau, en référence à la capitale des Bahamas où le 21 décembre 1962 furent conclus par Kennedy et MacMillan les accords de Nassau, qui scellaient l’alliance renouvelée entre les États-Unis et le Royaume-Uni. Les Britanniques concèdent la prééminence de l’ancienne colonie non sans arrière-pensées, qu’Alexandre Adler résume ainsi : « Il faut maintenant passer le témoin aux États-Unis. Mais seuls, les Américains n’y arrivent pas parce qu’ils ne sont pas assez malins. Et heureusement nous avons encore, nous les Britanniques, nous avons encore toute notre tête et nous avons des individualités exceptionnelles qui, grâce à cela, conduisent l’Amérique sur le chemin du bien et de vrai. », https://www.youtube.com/watch?v=R87aYafgxa0. Voir aussi : Vernant Jacques, « La logique de Nassau », in : Politique étrangère, n°6 – 1962 – pp. 507-515.
3Charles Maurras, Kiel et Tanger 1895-1905 La République française devant l’Europe, Marseille, Belle-de-Mai Éditions, 2021, p. 240.
4Ibid., p. 419.
5https://www.lepoint.fr/presidentielle/sarkozy-vs-hollande-comment-faire-de-la-caricature-avec-du-flou-20-02-2012-1433369_3121.php
6https://www.elysee.fr/nicolas-sarkozy/2009/01/16/declaration-de-m-nicolas-sarkozy-president-de-la-republique-sur-les-priorites-et-defis-de-la-politique-etrangere-de-la-france-a-paris-le-16-janvier-2009
7Jean-François Sirinelli, Mai 68. L’événement Janus, Paris, Fayard, 2008, p. 38.
8Marc Nouschi, Régis Bénichi, La croissance au XIXème et XXème siècles. Histoire économique contemporaine, Paris, Ellipses, 1990, p. 331.
9Ibid., p. 338.
10La présence d’une étoile inversée, ou pentacle, dans les images illustrant cette invitation à dessiner des arcs-en-ciel donne à cette allocution des airs sinistres, rendant à la fois crédible et actuelle la thèse développée par Léon Bloy dans L’Âme de Napoléon sur ce que représente réellement le Royaume-Uni du point de vue théologique : l’Île des Saints devenue l’Île du Diable.
11René Guénon, Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps, Paris, Gallimard, 1972, p. 265. L’auteur relie cette grande parodie à l’imposture « de l’Antéchrist lui-même prétendant instaurer l’‟âge d’or” par le règne de la ‟contre-tradition”, et en donnant même l’apparence, de la façon la plus trompeuse et aussi la plus éphémère, par la contrefaçon de l’idée traditionnelle de Sanctum Regnum. », ibid., p. 268-269.
12Poitiers, Dominique Martin Morin, 2019, p. 316.
13Ibid., p. 198.
14Idem.
Source: Lire l'article complet de Vigile.Québec