Par Konrad Rękas − Le 22 décembre 2021 − Source One World
C’est une certitude — ni les désastres naturels, ni même les politiques de gestion de la pandémie ne sont responsables de la montée fulgurante des prix de l’essence à la pompe. La véritable tempête qui frappe l’économie mondiale est la spéculation financière.
Les tempêtes et les destructions qu’elles provoquent sont spectaculaires. Bien qu’elles continuent d’apparaître par intervalles vers le Sud des États-Unis, elles restent imprévisibles. À l’échelle locale, elles sont bien sûr dangereuses et destructrices, mais d’un point de vue plus large, ces événements constituent une opportunité de rétablissement et de croissance du PIB. Certaines d’entre elles frappent des régions productrices de pétrole, comme Katrina et Ida, si bien qu’on les considère également comme facteur pesant sur l’économie étasunienne, impactant le marché des carburants, et provoquant l’envol des prix à la pompe. Mais en réalité, une recherche plus en profondeur semble indiquer que leur impact direct est moindre que ce que les conducteurs d’automobiles peuvent penser, et que les mouvements de prix sont influencés par d’autres facteurs du marché.
Un choc se produit sur l’offre lorsque celle-ci diminue dans une proportion dépassant les fluctuations normalement observées dans ce secteur. Et l’on parle de choc lorsque l’offre est le facteur pesant le plus sur le prix. Toute perturbation de ce mécanisme faisant suite à des comportements des acteurs du marché, comme les réactions des automobilistes, ainsi que la spéculation, peut amener à s’interroger quant à savoir si nous traversons véritablement un choc de l’offre. Et l’on devrait considérer ces facteurs de marché si l’on veut analyser la montée récente des prix à la pompe, surtout sur le marché étasunien, pour lequel médias et hommes politiques attribuent à la tempête Ida la flambée de prix des mois d’août et septembre 2021. Selon les attentes couramment observées au niveau de l’industrie, cette tempête n’aurait dû provoquer qu’une perturbation légère et temporaire au niveau de la tendance stable et à croissance très faible de la croissance des prix, associée à avec la reprise de l’économie après le COVID. Dans le même temps, les prix du carburant explosent aux États-Unis, amenant les experts à s’excuser pour avoir sous-estimé le cataclysme. Mais ces excuses ne sont pas sincères, car la tempête (en soi) n’est pas responsable des fluctuations observées sur le marché des carburants. Et cela ne concerne pas uniquement les États-Unis.
Lutz Kilian est un chercheur qui s’y connaît bien au sujet des interdépendances entre les désastres naturels et les marchés de l’énergie. Ses études ont permis de confirmer que les perturbations imprévisibles ne portent qu’un impact limité sur l’offre du pétrole et les prix du carburant à la pompe. En pratique, il s’avère que ces événements ont un impact plus important sur le comportement des acheteurs et sur la « demande préventive » qui s’ensuit. Pour énoncer les choses simplement — les nouvelles contrariantes amènent les gens à s’approvisionner à l’avance « juste en cas de problème ». Bien entendu, les chocs d’offre voient leur impact intensifié, car ce sont non seulement les prix, mais également les salaires, les taux d’intérêts et les taux de change qui en sont impactés, au moins à court terme. Lorsque nous gagnons moins d’argent — notre anxiété augmente, et nous remarquons jusqu’à la plus petite augmentation sur les prix. Et nous nous mettons à craindre de plus en plus que les choses ne puissent que s’empirer !
Les analystes qui ne s’attendaient à aucun mouvement majeur sur le marché avaient sans doute fondé leurs pronostics sur les découvertes réalisées par Kilian. Ils n’avaient donc anticipé qu’une faible réduction de l’offre, et pris en compte le fait que la production étasunienne s’est diversifiée depuis 2005. Par conséquent, ils s’attendaient également à ce que l’augmentation de la demande reste faible, chose qui à long terme aurait surtout été ennuyeuse, et guère perturbatrice. Cependant, à l’analyse des autres facteurs du marché, on sait également que les tempêtes présentent un impact plus important sur les intérêts des marchés, et que ceci se reflète ensuite sur les mouvements de prix. En termes plus courants, le marché a de toute évidence parié sur une forte montée des prix, et cet effet s’est produit.
La situation la plus observée est que la hausse des prix, à l’issue d’un événement non prédit, est plus faible que prévu — surtout du fait de la réaction des gouvernements qui ouvrent les réserves, augmentent la production dans les régions non impactées par la catastrophe naturelle, mais également lorsque la vraie demande cale, en raison par exemple d’une croissance économique en berne. Cependant, lorsque les réactions des gouvernements sont moins étendues que prévu, l’État n’intervient pas assez vite — nous ne pouvons alors qu’assister à une panique à l’achat, même si paradoxalement l’économie connaît un ralentissement. Comme l’ont établi les recherches académiques — l’incertitude politique entraîne davantage d’importantes fluctuations sur les prix que n’importe quelle bourrasque. Et ce facteur s’inscrit véritablement sur le long terme, ce qui augmente davantage encore la réaction subie sur les prix après un choc sur l’offre de pétrole.
Les chocs d’offre comme ceux connus après les ouragans Katrina et Ida sont parfois sous-estimés, ou surestimés, par les premières prévisions, et personne ne remet en question les perturbations qu’ils provoquent au niveau des consommateurs d’essence individuels. Mais il s’agit par définition de phénomènes temporaires, suivis par une transition vers le nouveau point d’équilibre, semblable à celles qui se sont produites à l’issue des chocs précédents, du point de vue de la tendance générale. Cependant, les facteurs qui n’ont pas été pris en compte à l’automne 2021, ou plutôt cachés au public, sont des désordres qui relèvent d’une nature complètement différente. Après tout, le choc d’offre après qu’Ida a frappé s’était produit dans un contexte de nette spéculation sur les prix du pétrole (et de l’essence) face aux analyses qui anticipaient un ralentissement de la demande. La demande sur le pétrole et ses produits dérivés connaît une croissance plus forte qu’attendue au sein de la pandémie de COVID-19, davantage reliée aux activités sur les marchés des actions qu’à la situation économique, et l’offre reste limitée, et pas vraiment à cause des événements réels comme les ouragans tombés du ciel.
À l’analyse des données publiées par l’Energy Information Administration étasunienne, on observe que sur une échelle hebdomadaire, aux États-Unis, tous les prix des carburants ont connu une nette tendance à la baisse à partir du mois d’avril 2019 (2,972 $ par gallon, soit 0.785 $ par litre), et jusqu’au mois d’avril 2020 (1.87 $ par gallon, soit 0.494 $ par litre), puis ont subi une tendance haussière jusqu’au début du mois de novembre 2021 (3.505 $ par gallon, soit 0.925 $ par litre), avec un déclin continu. Quant au prix à la pompe, aux États-Unis, pratiqué par les raffineurs, les perturbations induites par l’ouragan Ida sur l’offre ne sont pas perceptibles, car l’offre s’était déjà trouvée réduite entre les mois d’avril et de mai 2021 de 16983.3 à 9695.1 milliers de gallons par jour, puis au mois d’août 2021 à 3432.9 milliers de gallons par jour.
Les augmentations des prix à la pompe relèvent donc d’une tendance, et les événements tel qu’Ida ne peuvent constituer que des catalyseurs d’accélération, et connaissent une portée qui serait imperceptible dans un autre contexte macroéconomique mondial. Il s’agit de l’une des raisons pour lesquelles l’analyse économique et le journalisme économique ne sont pas synonymes. Le commentateur qui s’exprime sur les grands médias se trouve souvent au service (sans forcément en avoir conscience) de campagnes médiatiques qui visent à tirer des profits spéculatifs, ou vont à tout le moins tout faire pour éviter de se retrouver catalogués comme « théoriciens du complot », et préfèrent rester dans la zone de sécurité consistant à débiter de simples clichés sur la base des annonces officielles. Mais l’analyste honnête ne devrait pas mettre de côté les données brutes de la sorte. Ces données ne laissent pas de place au doute — ni les désastres naturels, ni même les politiques en lien avec la pandémie ne sont responsables de l’avalanche des augmentations des prix sur les marchés du pétrole. Le véritable ouragan qui frappe l’économie mondiale est la spéculation financière.
Traduit par José Martí, relu par Wayan, pour le Saker Francophone
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