A vaincre sans gloire — Emmanuel DU MORNE

A vaincre sans gloire — Emmanuel  DU MORNE

Sur les bords de la mangrove, au retour de la marée, la vase en mouvement bouillonne et libère une odeur fétide. L’histoire, également, renvoie de temps à autre des relents dérangeants. En consultant le quotidien, l’épopée d’un homme, relatée avec soin attira l’attention du lecteur. Un personnage dit de couleur, premier maire noir de France, aurait vu le jour du coté de l’ancienne capitale, une décennie avant la catastrophe. Une créature de couleur ! La présentation du quidam se révéla un rien étrange. Y aurait-il des êtres qui ne seraient point de couleur ? Transparents, vitrés ? Bref, passons ! Le mis à l’honneur du jour représenterait un modèle d’intégration. L’article intriguait. En poursuivant la lecture du journal, la fête du tricentenaire de la prise de possession et l’élévation place de la Savane d’une statue commémorant l’action du divin d’Esnambuc, firent rejaillir les cris des ouvriers captifs s’écrasant aux pieds des échafaudages en construisant le fort d’un Louis forcément saint.

Néanmoins, un retour sur l’intégration semblait nécessaire. Que signifie intégrer ? Bien sur, les États-Unis ont absorbé des millions d’âmes venus d’Europe. D’autres nations en ont fait de même ailleurs dans le monde. On incorpore des humains venus de leur plein gré chercher une vie meilleure. Cependant, peut-on évoquer ce contexte lorsqu’il s’agit d’un peuple vaincu, ne disposant d’aucun pouvoir de décision autre que le oui-missié ? Une entité éloignée du territoire de son tourmenteur et possédant une histoire et une culture différentes ? Le terme pertinent est l’assujettissement ! Intégrer semble douteux et dissimule des intentions inavouables.

Une insertion réussie, hurle-t-on par là. L’homme participa à la résistance, fuse de ce coté ! Un être en quête de liberté pour tous ! Ce qui justifierait sa déportation à Buchenwald. Ce soldat de la liberté avait vite saisi ce que résister par l’instruction voulait dire ! En résumé, les éloges proviennent de tous bords. « La France a fait de moi, arrière-petit-fils d’esclave, un citoyen libre à l’égal de ses enfants ». Ainsi, pour cet exemple de la république de l’autre, la véritable libération intellectuelle passait par le savoir de son bienfaiteur. Ce fut la rengaine serinée depuis 1946. Avant, il existait davantage de petites-bandes aux champs, que d’écoliers. Les décennies ont défilé, les diplômés ont fait florès pour mieux s’éclipser vers d’autres cieux. L’industrialisation et le développement réel du pays n’ont point vu le jour de façon rationnelle. Une acculturation triompha, le captif se mua en créolisé et en avocat du système. Toutefois, après ce vécu de soixante-quinze ans, un bilan s’impose.

Que nous a apporté l’assimilation-intégration dans la France ? Qui en a profité dans le fond ? Certes, nous ne reviendrons aucunement sur le tableau idyllique présenté par la partie adverse. On ne capture nullement les mouches avec du vinaigre. Un constat s’impose tout de même. L’île demeure en déliquescence, sa jeunesse, plus que jamais fuit. La nature dominante ayant peur du vide la remplace aussitôt. Par conséquent, cette nature dominante serait la grande gagnante de cette politique en place depuis la fin de la guerre en Europe. Qu’en est-il de ce système ? De facto, l’intégré choisi le camp du profiteur et le sert fidèlement. Au demeurant, le fait paraît logique, puisque le créolisé a digéré le mécanisme de sa propre destruction. Son île serait, à l’entendre, une cour de récréation. Les choses importantes, utiles, se dérouleraient ailleurs. En « métropole, » comme il dit. Dévalorisé et crétinisé, il ne comprend nullement les raisons des difficultés rencontrées par son pays. C’est-à-dire, seuls, ses bras ont œuvré depuis son apparition dans la Caraïbe. Jamais, son cerveau eut l’occasion d’élaborer et de réaliser un plan, un projet dans l’intérêt des masses populaires. Cette compétence est réservé au tyran depuis l’époque captive. En extase devant la grandeur de son bienfaiteur, ce dernier lui accorda « généreusement » la « liberté » durant la farce de l’abolition, l’assimilé ne capte point qu’il embellit un système infamant et mortifère concernant son avenir. Jovial, le façonné creuse sa tombe.

« La France a fait de moi » … Cite, le spécimen. « La nation française n’est jamais plus grande que lorsqu’elle se rassemble autour des valeurs qui la fondent ». Renchérit, un ancien ministre convié à rendre hommage au parangon de l’intégration. « Des valeurs qui la fondent »… Par respect, nous passerons sous silence les millions de morts de la « traite », de la guerre oubliée du Cameroun, de Madagascar, de l’Indochine et de l’Algérie. Des humains qui luttaient pour récupérer leurs biens, escamotés par une entreprise de prédation. La France a fait de toi l’intégré, un fanatique de sa cause. Voilà où réside l’intérêt profond de cette sinistre réalisation. Faire d’une pierre deux coups. Dans un premier acte, le créolisé oublie son histoire en effaçant plusieurs siècles de martyr dans les camps de travail forcé afin d’enrichir un profiteur de droit divin. Dans une seconde partie, le coupable obtient la négation de son crime. Ainsi, nous plongeons dans l’apologie de la colonisation, le crime par excellence. Puisque l’esclavage demeure une horreur qui découle d’une autre monstruosité, la colonisation. Sans colonisation européenne, il n’y a point de captivité pour quiconque ! « La nation française n’est jamais plus grande que lorsqu’elle se rassemble autour des valeurs qui la fondent ». Comment peut-on se moquer ainsi du reste de l’humanité en faisant passer un odieux coup bas, certes lucratif, en œuvre civilisationnelle à une époque aussi tardive dans l’histoire de l’homo sapiens ? Lorsque l’on évoque certaines notions comme la liberté et l’humanité, entre autres, les nations européennes dont la France devraient se cacher et mourir de honte.

Car il est indéniable que la colonisation reste le point culminant du racisme. Transformer un soumis en pantin racontant des contrevérités à la gloire de son bourreau plonge dans le racisme de Jump Jim Crow. Le fantoche supprime son histoire, perd de vue les sombres projets du maître concernant son avenir pour conserver le regard sur les trente deniers de récompense. Le traitement ingurgité dans les écoles et universités du colonisateur ridiculise l’intelligence. L’assimilé ne fait preuve d’aucune logique, son comportement demeure irrationnel. Cheikh Anta Diop s’interrogeait sur la nature de la philosophie en Europe. En effet, dans ce monde, elle se confond avec l’idéologie, la propagande ou la publicité. L’intégration-assimilation reste une mise en scène. Son but, permettre la poursuite d’une ignominie et de se dédouaner d’une longue liste de crimes. Ces méfaits facilitèrent la sortie du profiteur des miasmes de son moyen-âge pour se développer en écumant le monde.

Un autre chapitre retint l’attention du lecteur. Les réjouissances sur l’esplanade de la Savane et l’élévation d’une statue. L’article débutait par ces mots : « Aux premiers jours de l’année 1930, la population et les élus martiniquais demandent l’émancipation des terres lointaines ». Autrement dit, la transformation de ces territoires en départements français d’outre-mer. Que signifie le verbe, émanciper ? Selon la définition du Larousse, nous obtenons ceci : « Rendre quelque chose, un peuple libre, l’affranchir d’une domination, d’un état de dépendance, d’une tutelle. Exemple, émanciper un peuple de la domination coloniale. Libérer quelque chose de toute contrainte. Émanciper son art de tout académisme ». Toutes époques confondues, l’histoire n’offre aucun exemple de peuple ayant revendiqué la soumission. Élargir un détenu consiste à le sortir de prison. Depuis 1848, l’insurrection du sud et de multiples grèves sanglantes furent les protestations des prolétaires. « La population et les élus ont réclamé »… Méprisé, le peuple ne disposait point de son libre-arbitre et n’avait nullement voix au chapitre. Les élus ? Ces hommes, nous l’avons vu plus haut, sont assimilés et ne jurent que par les colons. Quel crédit accorder aux supplications de valets arborant une écharpe, dans ce système de prédation indigne du genre humain ? Si les élections servaient à quelque chose, elles n’existeraient aucunement, disait un humoriste défunt. On pourrait en dire autant de la démocratie ! Démocratie, valeur absolue en matière de gouvernance en occident. Tocqueville, avant la guerre civile américaine, s’en extasiait aux pieds de la statue de la liberté. La Grèce antique, d’où serait originaire le concept, ne s’imaginait point vivre sans ses hilotes. Les élus demeurent des hommes de paille entre les mains des colons. Ces derniers sont à l’origine de cette nouvelle farce après la fumisterie de l’abolition. Ce nouveau cadre permettra la réalisation sans coup férir de funestes projets.

Comment interpréter cette frénésie, le déroulement d’une fête indécente sur l’esplanade en cette année 1935 ? La mascarade paraît cohérente. Trois siècles plus tôt, la barbarie a pris possession de l’île en éliminant son peuple originel. Le mensonge, la sauvagerie, l’imposture, la brutalité et la prédation ont accompagné la déportation du peuple actuel. Le crime ne paie pas, dit-on ! La justice triomphe toujours, assure-t-on ! Quelle justice ? Celle inaugurée par le meurtrier des Amérindiens et pourfendeur de populations africaines ? « Jusqu’à hier, rien ne rappelait son souvenir à la Martinique. Celle-ci répare enfin une négligence par un acte de justice qui sera aussi un fécond enseignement ». Ces mots sont de Théodore Baude, président du syndicat d’initiative de la Martinique, en hommage au promoteur de la colonie le providentiel d’Esnambuc. Tout le mépris de l’Europe envers les autres est résumé dans ces quelques lignes. Supprimés, les crimes d’enlèvement, de séquestration, de déportation en vue d’une mise en esclavage. Évaporés, les crimes commis au quotidien dans les camps de la mort, nommés habitations. Les viols, les pendaisons par les pieds pour manque d’ardeur au travail et les conséquences de l’exclusion du genre humain. Comme le psychopathe, tueur en série, savoure ses méfaits en contemplant les corps inanimés à ses pieds, le colon célébrait sa victoire et sa trouvaille pour s’enrichir sans frais en compagnie de ses auxiliaires de la colonisation.

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À propos de l'auteur Le Grand Soir

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