par M.K. Bhadrakumar.
Vendredi, le gouvernement de transition du Mali a précisé qu’il était engagé avec des formateurs militaires russes alors même que les troupes françaises se retirent. Il est donc officiel que du personnel de sécurité russe est déployé au Mali.
Le Mali, un pays enclavé dans la région du Sahel en Afrique de l’Ouest, est le dernier théâtre de la grande contestation impliquant les grandes puissances qui se joue sous différentes formes depuis le lancement des stratégies d’endiguement des États-Unis contre la Chine et la Russie.
La France, l’ancienne puissance coloniale qui dirigeait le Mali, et l’Allemagne, une autre puissance coloniale ayant une histoire violente en Afrique, sont censées lutter contre l’insurrection dans la région du Sahel depuis plusieurs années.
Cependant, le peuple malien soupçonne, à juste titre, que ces puissances européennes ne sont pas sérieuses dans leur lutte contre les groupes djihadistes mais poursuivent leur agenda néo-colonialiste.
Des rapports sont apparus dans les médias russes au moins depuis 2019, selon lesquels les pays du Sahel avaient sondé Moscou au sujet du déploiement de conseillers militaires, sur le modèle d’autres régions d’Afrique comme la République centrafricaine.
La région du Sahel, qui s’étend au milieu de l’Afrique, repose sur certains des plus grands aquifères du continent et est potentiellement l’une des régions les plus riches du monde. Il s’agit sans aucun doute d’une région d’une grande importance stratégique, une ceinture de 1000 km de large qui s’étend sur 5400 km de l’océan Atlantique à la mer Rouge.
Rétrospectivement, le Forum économique russo-africain qui s’est tenu les 23 et 24 octobre 2019 à Sotchi s’est révélé être un événement géopolitique important où les diplomates russes ont efficacement utilisé l’histoire à leur avantage.
Historiquement, la Russie ne porte aucun arriéré colonial sur le continent africain – contrairement à la France, la Grande-Bretagne, l’Italie, l’Allemagne, le Portugal ou l’Espagne. La Russie n’a pas d’antécédents sanglants d’interventions militaires en Afrique – contrairement aux États-Unis. Elle a une ardoise propre – comme la Chine.
Cette histoire est jugée très séduisante par les élites africaines. La Russie n’a aucun scrupule à reconnaître que le gouvernement malien l’a approchée pour déployer des sociétés privées afin de renforcer la sécurité dans ce pays déchiré par le conflit.
Au début du mois, le ministère russe des Affaires étrangères a affirmé que Moscou continuerait d’aider le Mali dans sa lutte contre le terrorisme et contribuerait à améliorer l’efficacité au combat de son armée.
Le ministère des Affaires étrangères a déclaré : « Moscou condamne fermement l’acte barbare commis par les forces terroristes au Mali, pays ami… Nous soutenons l’intention du gouvernement malien de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité, détenir et punir les responsables de ces crimes ».
« La Russie continuera à soutenir les efforts collectifs visant à combattre le terrorisme dans la région du Sahara-Sahel, à offrir une assistance pratique aux pays de cette région, notamment au Mali, en termes de renforcement de l’efficacité au combat de leurs forces armées, de formation des militaires et des forces de l’ordre ».
De son côté, le Mali joue lui aussi la carte de la main ouverte. Dans son discours devant l’Assemblée générale des Nations unies en septembre, le Premier ministre malien Choguel Kokalla Maiga a accusé la France d’abandonner son pays avec sa décision « unilatérale » de retirer les troupes. La situation difficile du président français Macron est que sa guerre à cinq dans la région du Sahel en Afrique est aussi impopulaire au Mali qu’en France.
Pendant ce temps, les Maliens ont réservé un accueil enthousiaste aux conseillers militaires russes. France 24 a rapporté que les tailleurs de Bamako, la capitale et plus grande ville du Mali, font un commerce florissant en fabriquant des drapeaux russes pour répondre à la demande locale.
La guerre menée par la France depuis 10 ans a dévasté le Mali et plusieurs autres pays, mais n’a pas réussi à contenir la menace des groupes rebelles musulmans affiliés à Al-Qaïda et à l’État islamique qui ont incubé dans la Libye voisine à la suite du projet de changement de régime dirigé par l’OTAN pour renverser Mouammar Kadhafi en 2011, qui a été, assez ironiquement, piloté par la France uniquement.
Comme dans le cas de l’occupation de l’Afghanistan par les États-Unis, des soupçons se sont fait jour selon lesquels la France aurait joué un jeu douteux au Mali. En octobre, le Premier ministre Choguel Kokalla Maïga a déclaré aux médias russes que les forces françaises avaient secrètement apporté leur soutien à des groupes terroristes tels que le front Ansar el-Din, allié à Al-Qaïda, et qu’elles n’avaient aucune intention de gagner la guerre.
En réalité, Macron n’ordonne qu’un retrait partiel des troupes. La plupart des 5000 soldats français déployés au Mali ne font que se déplacer vers le sud, vers la zone des trois frontières avec le Burkina Faso et le Niger. La France n’a pas l’intention d’abandonner le Sahel, même si sa réputation est dans la boue auprès des populations locales. Son agenda néocolonial est évident.
En effet, le Mali possède de riches gisements d’or, de bauxite, de manganèse, de minerai de fer, de calcaire, de phosphates, d’uranium, etc. L’or domine le secteur minéral du Mali ; le Mali est le 4ème producteur d’or en Afrique. Les ressources minérales du Mali restent relativement peu développées ; son territoire reste largement inexploré et non cartographié.
Les Européens bouillonnent d’envie et de fureur à l’idée que les Russes puissent s’établir au Mali et les remplacer pour de bon. Jeudi dernier, la France et 15 alliés de l’OTAN ont publié une déclaration commune dénonçant l’invitation du gouvernement malien au personnel de sécurité russe. Il est intéressant de noter que les États-Unis ont publié une déclaration distincte.
Le fait est que l’OTAN a prévu de s’installer au Sahel pour fournir une plateforme aux puissances occidentales afin qu’elles puissent se concentrer sur leur programme néocolonial d’exploitation des ressources de cette région. Mais le projet est au point mort car la porte d’entrée du Sahel est la Libye, où règnent des conditions anarchiques (et où la Russie a déjà une présence établie).
Si la Russie devait déployer ses ailes dans la région du Sahel également, l’OTAN pourrait aussi bien mettre en veilleuse ses rêves africains une fois pour toutes.
En l’état actuel des choses, les puissances occidentales sont désespérées par les incursions de la Chine sur le continent africain. La Chine répertorie 39 pays africains sur le site officiel de « Ceinture et Route », allant géographiquement de la Tunisie à l’Afrique du Sud. La Chine a prêté aux pays africains des centaines de milliards de dollars dans le cadre de l’Initiative Ceinture et Route (BRI).
La BRI est souvent critiquée par ses détracteurs qui la qualifient de « diplomatie du piège de la dette ». Mais les projets de la BRI en Afrique révèlent une réalité nuancée du fonctionnement de l’initiative dans le monde en développement, où le financement des infrastructures est désespérément nécessaire et où les externalités politiques sont une préoccupation secondaire pour les États bénéficiaires.
La cour que la Chine fait aux dirigeants politiques et militaires africains par le biais de visites de hauts responsables de Pékin est absolument remarquable. De même, elle crée un espace permettant aux élites africaines de négocier avec les anciennes puissances coloniales en Europe.
Le célèbre universitaire américain Yun Sun, directeur du Stimson Center à Washington, a déclaré dans un témoignage au Congrès sur la présence et les investissements de la Chine en Afrique que « les aspirations stratégiques de la Chine sont liées de manière causale à son engagement économique en Afrique et se renforcent mutuellement ». C’est une observation perspicace.
C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre la paranoïa des puissances occidentales, qui craignent que la Russie ne vienne compléter efficacement le défi chinois, qui est déjà formidable. En bref, le programme néocolonialiste de l’Occident est en train d’être contrecarré. Les profondes implications économiques et stratégiques ne peuvent être surestimées.
Cela ne veut pas dire que la Russie et la Chine agissent de concert au Mali, bien qu’il soit concevable qu’elles puissent se coordonner et qu’elles soient, très certainement, sur la même longueur d’onde. Les enjeux sont élevés dans la mesure où le Mali est assis sur une grande richesse minérale inexploitée.
Contrairement à la Chine qui s’en tient à des accords commerciaux, la Russie n’hésite pas à déclarer son soutien indéfectible à la lutte contre toutes les tendances néocoloniales en Afrique.
source : https://www.indianpunchline.com
traduction Réseau International
illustration : Des tailleurs s’affairent à coudre des drapeaux russes pour répondre à la demande croissante à Bamako, la capitale du Mali, le 26 décembre 2021.
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Source : Lire l'article complet par Réseau International
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