La volonté de transformer son corps est devenue un lieu commun. Cette aspiration se retrouve de la mode des régimes au succès de la chirurgie plastique ( en attendant que la science puisse modifier dès avant notre naissance nos gènes, pour les adapter aux exigences de la mode). L’analyse sociologique que David Le Breton développe dans son livre Signes d’identité, tatouages, piercing et autres marques corporelles, évoque un des aspects les plus marquants de cette tendance.ru dans le Rébellion 42 de juin 2010 )
###De la marge à la banalisation
L’histoire des modifications corporelles est aussi ancienne que les sociétés humaines. Rites initiatiques religieux ou marques tribales, elles se retrouvent dans toutes les zones géographiques. En Europe, on retrouve le tatouage aussi bien dans le monde celte que romain (déjà réservé aux militaires, puisqu’il est courant chez les légionnaires de l’Empire). Bien que stigmatisé dans les religions du Livre, il est avéré chez les premiers chrétiens comme symbole de l’attachement au Christ. Les Croisés firent de même au Moyen Age. La Révolution Française fait naitre le « tatouage politique » chez les soldats de l’An deux mais aussi chez les Chouans de l’Ouest.
Mais le tatouage fut aussi assimilé aux marques infamantes infligées aux criminels, de l’Antiquité à l’époque moderne. Le marquage au fer rouge faisant partie des outils de la justice en Europe. Il est à noter que le tatouage fut longtemps une pratique virile réservée aux marins, aux soldats et à certaines catégories de truands (les Apaches parisiens du début du XX siècle par exemple). Beaucoup de motifs apparaissent alors, mélange d’influences exotiques (les tatouages polynésiens ou japonais étant introduits en Europe par les marins du XIX siècle) ou d’inspirations propres à la vie rude de ses hommes. L’éventail de ce que nous pouvons appeler le tatouage Old Scool est déjà présent dans l’imaginaire collectif dès la fin de la Première Guerre Mondiale. Les tribus urbaines des années 1950 à 1980 (des premiers rockers et blousons noirs aux punks et skinheads) vont en faire des signes de reconnaissance et d’affiliation. Mais cela va étrangement changer dans les années 1990.
L’industrie de l’apparence
Le recours aujourd’hui courant au tatouage et au piercing est une forme significative d’un changement de relation au corps. En quelques années, ces nouveaux usages ont renversé les anciennes valeurs négatives qui leurs étaient associées. Désormais ce sont des démarches sur soi qui cristallisent une large part des engouements des jeunes générations
Les modifications corporelles ne sont plus, comme autrefois, une manière populaire d’affirmer une singularité radicale ; elles touchent en profondeur la jeunesse dans son ensemble, toutes conditions sociales confondues, elles sollicitent autant les hommes que les femmes. Loin d’être un effet de mode, elles changent l’ambiance sociale, incarnent de nouvelles formes de séductions, elles s’érigent en phénomène culturel. Si le tatouage ou le piercing pouvaient encore être associés à une dissidence sociale jusqu’aux années 1990, ce n’est plus le cas aujourd’hui (au moins dans la majorité de ceux qui les pratiquent).
Le corps est soumis à un design parfois radical ne laissant rien en friche ( body building, régimes alimentaires, cosmétiques, prise de produits comme le DHEA, gymnastiques de toutes sortes, marques corporelles, chirurgie, body art…). Posé comme représentant de soi, il devient affirmation personnelle, mise en évidence d’une esthétique et d’une morale de la présence. Il n’est plus question de se contenter du corps que l’on a, mais d’en modifier les assises pour le compléter ou le rendre conforme à l’idée que l’on s’en fait. Les bricoleurs inventifs et inlassables de leurs corps alimentent désormais une industrie de l’apparence sans fin.
Maîtrise du corps
Les années 1980 et 1990 ont vu émerger un souci de maîtrise du corps, de gestion de son apparence, de contrôle de ses affects (un parallèle avec l’apparition du « turbo-capitalisme » néo-libéral et de la mondialisation serait à faire). L’individu est devenu le producteur de sa propre identité. Il cherche à se construire, à faire de son corps un faire-valoir, un porte-parole de l’image qu’il entend donner de lui-même. Si le tatouage des sociétés traditionnelles répète des formes ancestrales inscrites dans une filiation, les marques contemporaines, à l’inverse, ont d’abord une visée d’individualisation et d’esthétisation ; elles sont en effet parfois des formes symboliques de remise au monde, mais sous une forme strictement personnelle.
Le tatouage devient une pratique valorisante et revendiquée comme artistique. Les femmes se retrouvent de plus en plus dans cette pratique. Les modifications corporelles sont devenues d’inusables accessoires de beauté, une parure définitive qui contribue à l’affirmation du sentiment d’identité, à la mise en scène de soi.
David Le Breton, Signes d’identité, tatouages, piercing et autres marques corporelles, Editions Métailié.
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