Des produits exotiques apparaissent sur les tablettes d’épicerie. Des accents aux tonalités hispaniques se font entendre au coin des rues. Les bancs d’une église en déclin se remplissent à nouveau. Le phénomène est maintenant bien connu des habitants des MRC de L’Érable et des Etchemins : des travailleurs étrangers viennent combler le manque de main-d’œuvre dans les entreprises. Bien plus qu’un levier économique, ces hommes et leurs familles traversent la frontière avec leur histoire, leur culture, leur langue et leur foi. Incursion dans un processus d’intégration vécu en communauté rurale.
L’ambiance du parvis de l’église de Sainte-Justine, à une centaine de kilomètres au sud-est de Québec, est aussi colorée que la vue des collines rouge et jaune qui se profilent loin derrière. Dans la municipalité de 1845 habitants, les retrouvailles automnales des Costaricains et d’autres paroissiens se font en toute sobriété, mais non sans réjouissance. L’évènement, organisé par le mouvement Les Brebis de Jésus, vise à ce que se tissent des liens en marge du travail. On y retrouve la pratique religieuse de son pays, on goute à des relations imprégnées de simplicité.
Dans le sous-sol, où des enfants courent et où l’on prend le temps d’un muffin et d’un café, les Costaricains comme les Québécois me racontent l’histoire d’une vie à reconstruire, d’un accord entre deux cultures avec son lot de joies et de défis.
Mara Colombo, agente de pastorale d’origine italienne, réside à Sainte-Justine depuis 29 ans. La seule étrangère du village était loin de se douter qu’elle accueillerait à son tour une masse de travailleurs étrangers dans sa communauté.
« “Y a-t-il une personne qui parle espagnol ici ?” a demandé le curé à l’assemblée de fidèles il y une dizaine d’années. “On voudrait accueillir les nouveaux arrivants comme il faut.” Mon mari lève la main. Je lui demande : “Tu parles espagnol ?” Il me répond : “Pas moi, mais toi, oui.” Finalement, un des premiers Costaricains à être venus ici parlait italien. Il a été facile d’établir un contact avec eux. »
Une aide mutuelle
À l’origine des nouvelles arrivées se trouve l’entreprise Rotobec à Sainte-Justine, qui tente envers et contre tout de maintenir le flux de sa production malgré la rareté de main-d’œuvre. Le manque d’intérêt pour les métiers spécialisés et l’exode rural des jeunes forcent le fabricant d’équipement de manutention robuste à réviser sa stratégie. Le recrutement à l’étranger se présente comme une solution optimale. Aujourd’hui, parmi ses 365 employés, on en compte 80 en provenance du Costa Rica, de la Colombie et du Mexique.
Dans plusieurs pays d’Amérique latine, des familles sont prêtes à faire le grand saut, puisque là-bas, on y rencontre le problème inverse : les soudeurs peinent, par le travail de leurs mains, à subvenir aux besoins familiaux.
Jeffry (photo de couverture) fait partie de la première cohorte de soudeurs qu’on a fait venir. Au Québec depuis neuf ans, il détient aujourd’hui sa citoyenneté. Revêtu de son chandail au logo de Rotobec, avec l’enfant d’une autre famille sur les genoux, il me partage avec d’autres la situation de précarité qui l’a poussé à partir. « La vie au Costa Rica était difficile. On devait choisir quoi payer. Il n’y a pas d’opportunité de travail. Beaucoup de gens veulent partir à cause de ça. Il n’y a pas de programmes sociaux. Peu de vacances. Ici, on a la tranquillité économique, la tranquillité dans tous les sens. On voulait assurer un avenir à nos enfants. »
« Pour nous, c’est inconcevable de penser que nos travailleurs vont offrir un rendement suffisant en étant loin de leur famille. »
Cathy Roberge
Pour que l’accueil et l’intégration se déroulent bien, le processus de recrutement a été préparé minutieusement. « La première mission s’est faite en 2012. Pourquoi d’abord le Costa Rica ? Nous avions besoin de soudeurs et de machinistes formés à ces métiers avec une technologie semblable à la nôtre. Il devait aussi y avoir un surplus de main-d’œuvre pour l’offre disponible. On voulait également s’assurer que les cultures ne soient pas trop différentes. En région, nous avons seulement des églises, par exemple. On n’a pas recruté dans les grandes villes [costaricaines] non plus, pour ne pas faire contraste avec notre milieu rural », souligne Cathy Roberge, coordonnatrice des ressources humaines chez Rotobec.
Dans le but de garder les travailleurs dans la durée, on invite les familles des ouvriers à les rejoindre après quelques mois, à la différence de ce qui se fait dans le milieu agricole. « Pour nous, c’est inconcevable de penser que nos travailleurs vont offrir un rendement suffisant en étant loin de leur famille. Un employé heureux au travail et dans sa vie personnelle aura un impact positif dans l’organisation », pense Mme Roberge.
L’accueil intégral
C’est une chose de fournir un travail de 40 heures par semaine ou d’aider à trouver un logement à la famille. C’en est une autre de créer un sentiment d’appartenance à la communauté, la barrière de la langue étant un des obstacles majeurs.
« Certains sont ici depuis six ans et ne parlent pas encore bien français. Avec deux enfants, le travail et l’étude, je n’ai pas beaucoup de temps pour m’exercer », raconte Ana Maria Guevara Leon, employée chez Rotobec, venue rejoindre son mari après sept mois. Lourdes González, aujourd’hui agente de liaison à Impact Emploi – un organisme situé à Plessisville, à quelques minutes de Victoriaville –, se souvient aussi de la transition abrupte. « Au Mexique, je travaillais beaucoup. Arrivée ici, j’étais seule à la maison. Je ne parlais pas bien la langue. J’ai fait une dépression. Mais je me suis dit : “Non, je dois parler, je dois sortir, je dois avancer.” »
Organismes et entreprises travaillent main dans la main pour offrir une palette d’activités hors du cadre du travail, comme cueillir des pommes, faire du patin, visiter une cabane à sucre, participer à une épluchette de blé d’Inde. Créer des liens, favoriser l’apprentissage de la langue, faire aimer la vie en région : c’est entre autres la mission d’Impact Emploi.
« En région, nous n’avons pas de diaspora comme on en retrouve à Montréal. Il y a aussi des enjeux de transport. Les gens qui arrivent n’ont généralement pas de voiture. Beaucoup d’entre eux font des heures supplémentaires pour soutenir financièrement leur famille encore dans leur pays d’origine. Le but de nos activités est de briser l’isolement. Je me souviens d’une activité où deux travailleurs d’une même entreprise ne se connaissaient pas. Ils ont découvert qu’ils travaillaient au même endroit. Je les ai vus par la suite participer à des sorties ensemble. Des amitiés durables naissent parfois », me partage Mélanie St-Pierre, chargée de projet en immigration pour Impact Emploi.
Cathy Roberge se souvient quant à elle d’une expérience d’intégration marquante : « Au début, j’ai rencontré des femmes qui me disaient qu’elles tricotaient dans leur pays. Je les ai amenées au cercle des fermières de Saint-Luc pour leur montrer comment on tisse ici, comment on tricote. J’en fais partie avec ma mère. Ça a été apprécié. »
D’autres parvis
Eisner Rivera, diacre originaire du Nicaragua, a été stagiaire comme séminariste dans la MRC de L’Érable, où se trouve Plessisville. À sa grande surprise, l’organisme Impact Emploi l’a approché dès son arrivée pour animer des célébrations bilingues en français et en espagnol. Depuis, le nombre de familles présentes aux assemblées dominicales est en croissance.
« Quand je suis arrivé en 2018, il y avait trois familles hispanophones, me confie-t-il. Quand je suis parti en 2020, j’en connaissais 15, et quand je suis revenu cet été, je pense qu’il y en avait 40. Les hispanophones ont vu l’importance de retrouver leurs traditions chrétiennes dans leur nouveau pays et de trouver un lieu pour fraterniser. J’ai réalisé qu’ils n’avaient pas de grandes places pour se retrouver, et dans l’église, ils pouvaient être à l’aise et accueillis. »
Des propos qui résonnent avec ce que Mara Colombo constate, elle aussi, dans son village des Etchemins : depuis l’arrivée des nouveaux travailleurs, on ne rentre plus chacun chez soi après les messes. On se rassemble au sous-sol. « La fraternité est très importante pour eux. Une des familles a demandé d’organiser la neuvaine de Noël à l’Enfant Jésus, une tradition importante en Amérique latine. Chaque soir de la neuvaine, il y a un moment de fraternité en bas. Ça finit par une grande fête et le père Noël qui distribue des cadeaux. »
Pour Nathalie Duchaine, qui a grandi à Sainte-Justine et qui s’est toujours impliquée dans la pastorale de son village, l’arrivée des immigrants est une petite révolution sociale et pastorale. « Ça fait longtemps que je n’avais pas vu l’église remplie comme ça autrement qu’à Noël. Les chants sont plus joyeux, il y a des instruments de musique. C’est aussi ce qui a permis de garder le mouvement des Brebis de Jésus vivant. Il y a des périodes où il n’y avait que mes enfants et moi. »
Pour les familles immigrantes, continuer à vivre leur foi est une manière de garder quelque chose de leur pays, et aussi de transmettre à leurs enfants ce qui leur tient le plus à cœur. Mais encore, dans un processus d’intégration qui comporte de multiples insécurités, la foi s’avère un rempart pour le traverser. Rafael Antonio, qui a subi un accident de travail à l’usine et est en arrêt depuis maintenant trois ans, y a trouvé un soutien assuré dans sa dépression. « J’ai rencontré des personnes positives à l’église, j’ai rencontré des voisins, un travailleur social. »
* * *
Une chose ressort des nombreux échanges, sans doute l’aspect le plus important pour une intégration réussie : la gratuité des relations. C’est l’expérience qu’a faite le missionnaire Eisner. « J’ai invité une famille hispanophone dans une famille québécoise. Une chose est de dire bonjour au travail, une autre de recevoir quelqu’un chez toi. J’ai compris que les immigrants pouvaient travailler, s’acheter un paquet de choses, mais que se laisser accueillir, ça importe pour eux. »
Si l’assemblage de pièces de métal est un labeur quotidien que les travailleurs étrangers connaissent, l’apprentissage de la soudure de nouveaux liens avec la culture d’accueil requiert parfois encore davantage de patience et de doigté. Le résultat final ne peut être tenu pour acquis. Mais il y a certainement, dans ce processus, une occasion d’enrichissement humain pour l’une et l’autre communauté.
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Source : Lire l'article complet par Le Verbe
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