Je suis membre d’Amnesty International depuis trois décennies. Et pendant quinze ans, j’ai été un membre actif de cette organisation. J’ai effectué des missions non officielles – une façon de dire que je n’étais pas reconnu sur le terrain en raison du danger de la situation – dans des pays comme la Birmanie et la Bolivie. J’ai également travaillé comme correspondant dans ces deux pays, en tant que collaborateur indépendant de différents médias catalans. Oui, un indépendant, ce mot qui nous renvoie à la précarité d’un travail aussi volatile qu’intense. Et dangereux aussi. Une profession sans laquelle le concept moderne de liberté d’expression n’existerait pas. Un métier indispensable pour comprendre dans toute son ampleur la notion de démocratie.
C’est pourquoi, depuis quelques années, je me suis engagé dans l’affaire Julian Assange. En lui – dans sa personne et dans sa cause – j’ai trouvé trois conditions fondamentales, qui font aussi partie de ma biographie : l’amour pour la profession de journaliste et le désir de rendre la dignité à cette profession qu’a toujours défendu Julian Assange dans sa manière de travailler. La défense des droits de l’homme, car ceux-ci sont violés en sa personne de différentes manières. Et enfin, une défense acharnée de la liberté, en faisant bien comprendre que la liberté est impossible si elle ne s’enracine pas dans les fondements d’un troisième pouvoir, la justice, qui devrait être radicalement indépendante du pouvoir politique – ce qui n’est pas le cas actuellement, car le lawfare joue un rôle global comme moyen de répression.
Si vous avez lu jusqu’ici, vous serez peut-être intéressé de poursuivre la lecture de cet article. Car, comme je l’ai déjà dit, le cas de Julian est éminemment politique. Sa détention irrégulière à l’ambassade d’Équateur a perverti l’ensemble du processus depuis le début ; en plus d’enfreindre la notion de droit d’asile – fondamentale en droit en Amérique latine – ainsi que la Convention de Genève de 1951 et son Protocole de 1967. Sa détention -sans charges sérieuses- viole également le droit international, car il s’agit d’une détention administrative qui viole l’article 9 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP). Je sais très bien de quoi je parle, puisque j’ai travaillé sur des cas de détention administrative et que j’ai plaidé dans ces cas-là pour la libération des prisonniers comme un objectif impératif. D’autre part, l’excuse de la détention provisoire pour prévenir une éventuelle évasion, dans le cas d’Assange, n’est en aucun cas fondée. Son état de santé déplorable et son désir évident de s’enraciner invalident, en tout cas, la longue punition – il n’y a pas d’autre mot – à laquelle il est soumis.
La lecture de l’article de Craig Murray m’a fait comprendre – je l’avais déjà fait avant, par ma propre expérience – que ce qui importe le plus au pouvoir dans le cas de Julian Assange, c’est le maintien de représailles prolongées. Une sorte de punition sans échéance précise – la sentence finale – qui peut transformer Assange en un Sisyphe moderne. Dans le monde anglo-saxon, ces affaires sont connues sous le nom de Jarndyce vs Jarndyce. Pour le pouvoir, il est également important de donner une leçon -et une mascarade- afin qu’aucun journaliste ne tente à nouveau ce que Julian a tenté avec WikiLeaks. En fait, il s’agit de déshumaniser la personne afin de provoquer un sentiment de désolation infini. Ils ont le pouvoir. Nous, la raison. C’est une bataille entre David et Goliath.
Je prétends – comme je l’ai fait dans cet article précédent – que Julian Assange est soumis à l’une des formes de torture les plus subtiles et les plus dégradantes que j’aie jamais vues dans ma longue expérience d’expert en droits de l’homme. Une torture, principalement psychologique, dont les conséquences physiques pourraient être irréparables. L’un d’entre vous a-t-il déjà parlé avec un tortionnaire repentant ? Moi, oui. Il est déchirant d’entrer dans l’esprit d’un sociopathe systémique, c’est-à-dire avec quelqu’un qui a exécuté avec la connivence du pouvoir des formes légalisées de torture. Et jusqu’à quel point, la torture cherche à détruire la psychologie humaine à travers la torture physique. Dans le cas de Julien, c’est tout le contraire : il s’agit de le détruire mentalement pour que son corps -le physique est aussi l’âme de l’être- s’effondre désespérément. C’est ce qui se passe en Occident. Cela se passe parmi nous. Peut-être devrions-nous réfléchir à ce que signifie l’existence d’une prison comme Belmarsh dans le système pénitentiaire. Peut-être devrions-nous repenser totalement un système comme le nôtre au milieu d’une crise des valeurs humanitaires, où le système judiciaire interne fait également partie intégrante de l’idiosyncrasie oppressive.
D’autre part, je ne peux m’empêcher de dire que j’ai honte du rôle des médias en général dans cette affaire, comme si cela ne les concernait pas. Je le dis dans le cadre de mon travail. Et je le dis humblement. Et aussi par tristesse. Leur silence – à quelques exceptions près – est effrayant. Inutile de dire que c’est la preuve que la profession a besoin de se renouveler et qu’il faut chercher de nouvelles formules. C’est ce que Julian a essayé de faire. Créer un mouvement de changement qui fasse de la vérité l’axe central du journalisme. Ramener la profession à son véritable objectif. « Dire la vérité » dans son sens le plus noble. Que les mots s’ajustent aux faits avec toutes les conséquences que cela implique.
Le prix à payer est élevé. Trop élevé ? Ce dont je suis sûr – comme je l’ai déjà souligné – c’est que si cette affaire est politique, la solution sera politique. Je sais de quoi je parle. Il y a aussi eu des prisonniers politiques dans mon pays. Et s’il y a une solution, il semble qu’elle sera politique. Ce n’est pas un hasard si la décision finale reviendra très probablement au ministre de l’Intérieur de Johnson, Priti Patel. Cela, ou exceptionnellement, trouver dans un processus qui a été vicié dès son origine, au sein du système, une personne juste qui fasse ce qu’elle a à faire. Refuser l’extradition aux États-Unis – un pays qui n’est pas tenu, et sa jurisprudence est claire, de remplir les garanties diplomatiques qu’il donne à un pays tiers – et le libérer immédiatement et sans condition.
Je termine maintenant. Nous avons une responsabilité collective dans la défense du cas de Julian Assange. Nous devons persévérer, car son cas nous met tous au défi. Il est difficile de penser à Julian, seul et isolé, en ce moment. Mais même si c’est difficile, nous devons persévérer et faire de sa cause la nôtre. Parce que la Cour d’appel a fait du 10 décembre un jour ignominieux. Parce que les droits de l’homme sont une vérité respectable. Je l’ai déjà dit, sans justice, il n’y a pas de liberté. Sa liberté est aussi la nôtre. Oublier cela, c’est oublier notre humanité.
Jordi Solà Coll
Traduction « répétez après moi : le procès de Julian Assange est un procès politique » par Viktor Dedaj avec probablement toutes les fautes et coquilles habituelles
Source: Lire l'article complet de Le Grand Soir