Poutine sur la « crise des missiles » en Ukraine : face à l’OTAN, la Russie ne peut plus reculer

Poutine sur la « crise des missiles » en Ukraine : face à l’OTAN, la Russie ne peut plus reculer

Poutine : face à l’OTAN, la Russie ne peut plus reculer

Réunion élargie du Conseil du ministère de la Défense, le 21 décembre 2021.

Source : en.kremlin.ru

Traduction : lecridespeuples.fr

Vidéo (extraits)

Transcription :

[…] Camarades officiers,

En nous appuyant sur nos bases solides et sur les puissantes réalisations en matière de recherche et de technologie de ces dernières années, nous devons absolument continuer à améliorer et à renforcer nos forces armées, et c’est exactement ce que nous ferons.

La situation militaro-politique dans le monde reste compliquée, avec un potentiel de conflit accru et de nouveaux foyers de tension dans plusieurs régions. En particulier, la croissance des forces militaires des États-Unis et de l’OTAN à proximité directe de la frontière russe et leurs exercices militaires majeurs, y compris imprévus, sont une source de préoccupation.

Il est extrêmement alarmant que des éléments du système de défense mondial américain soient déployés près de la Russie. Les lanceurs MK 41, qui sont situés en Roumanie et doivent être déployés en Pologne, sont adaptés pour le lancement des missiles de frappe Tomahawk. Si cette infrastructure continue d’avancer, et si des systèmes de missiles américains et de l’OTAN sont déployés en Ukraine, leur temps de vol vers Moscou ne sera que de 7 à 10 minutes, voire de 5 minutes pour les systèmes hypersoniques. C’est un énorme défi pour nous, pour notre sécurité.

Dans ce contexte, comme vous le savez, j’ai invité le président américain à entamer des discussions sur la préparation d’accords concrets. Incidemment, au cours de notre conversation, il a en fait proposé de nommer des hauts fonctionnaires pour superviser ce domaine. C’est en réponse à sa proposition que nous avons rédigé nos propositions visant à empêcher la poursuite de l’expansion vers l’Est de l’OTAN et le déploiement de systèmes de frappe offensive dans les pays voisins de la Russie. Comme vous le savez, nous avons envoyé les projets d’accords pertinents à nos collègues américains et à la direction de l’OTAN.

Nous avons besoin de garanties juridiquement contraignantes à long terme. En fait, nous savons très bien que même les garanties juridiques ne peuvent pas être totalement infaillibles, car les États-Unis se retirent facilement de tout traité international qui a cessé de les intéresser pour une raison quelconque, offrant parfois des explications et parfois non, comme l’était le cas avec le Traité ABM et le Traité Ciel Ouvert – rien du tout.

Cependant, nous avons besoin d’au moins quelque chose, au moins un accord juridiquement contraignant plutôt que de simples assurances verbales. Nous connaissons la valeur de telles assurances verbales, de ces belles paroles et promesses. Prenez le passé récent, à la fin des années 80 et au début des années 90, quand on nous a dit que nos inquiétudes concernant l’expansion potentielle de l’OTAN vers l’Est étaient absolument sans fondement. Et puis nous avons vu cinq vagues d’expansion du bloc vers l’Est. Vous vous souvenez comment c’est arrivé ? Vous êtes tous des adultes. Cela s’est produit à une époque où les relations de la Russie avec les États-Unis et les principaux États membres de l’OTAN étaient sans nuage, nous étions pour ainsi dire complètement alliés.

Je l’ai déjà dit en public et je vous le rappelle encore : des spécialistes américains étaient présents en permanence dans les installations d’armement nucléaire de la Fédération de Russie. Ils allaient à leur bureau là-bas tous les jours, avaient des bureaux et un drapeau américain. N’était-ce pas suffisant ? Quoi d’autre est requis ? Des conseillers américains travaillaient au sein du gouvernement russe, des officiers de carrière de la CIA donnaient leurs conseils. Que voulaient-ils d’autre ? Quel était l’intérêt de soutenir le séparatisme dans le Caucase du Nord, et même de soutenir Daech – enfin, pas Daech, mais il y avait d’autres groupes terroristes. Ils ont manifestement soutenu les terroristes. Pourquoi ? Quel était l’intérêt d’élargir l’OTAN et de se retirer du Traité ABM ?

Ils sont à blâmer pour ce qui se passe actuellement en Europe, pour l’escalade des tensions là-bas. La Russie devait réagir à chaque pas et la situation allait de mal en pis. Elle se détériorait tout le temps. Et nous voici aujourd’hui, dans une situation où nous sommes obligés de la résoudre : après tout, nous ne pouvons pas permettre le scénario que j’ai évoqué. Est-ce que quelqu’un est incapable de comprendre cela ? Cela devrait être clair.

Parfois je me demande : pourquoi ont-ils fait tout cela dans les conditions d’alors ? Ce n’est pas clair. Je pense que la raison réside dans l’euphorie suscitée par la victoire dans la soi-disant guerre froide ou la soi-disant victoire dans la guerre froide. Cela était dû à leur mauvaise évaluation de la situation à ce moment-là, en raison de leur analyse non professionnelle et erronée des scénarios probables. Il n’y a tout simplement pas d’autres raisons.

Je tiens à souligner à nouveau : nous n’exigeons pas de conditions exclusives particulières pour nous-mêmes. La Russie défend une sécurité égale et indivisible dans toute l’Eurasie.

Naturellement, comme je l’ai déjà noté, si nos collègues occidentaux poursuivent leur ligne manifestement agressive, nous prendrons les mesures réciproques militaro-techniques appropriées et nous répondrons avec fermeté à leurs démarches hostiles. Et je voudrais souligner que nous avons pleinement droit à ces actions qui visent à assurer la sécurité et l’indépendance de la Russie.

Comme nous le savons bien, ils opèrent à des milliers de kilomètres de leur territoire national sous différents prétextes, dont la nécessité d’assurer leur propre sécurité. Lorsque le droit international et la Charte des Nations Unies se mettent en travers de leur chemin, ils les déclarent obsolètes et inutiles. Cependant, lorsque quelque chose répond à leurs intérêts, ils se réfèrent immédiatement aux normes du droit international, à la Charte des Nations Unies, au droit international humanitaire, etc. J’en ai assez de leurs manipulations.

À cet égard, comme je l’ai déjà dit, il est important de poursuivre le développement systématique, planifié et régulier des forces armées, y compris conformément à leurs priorités, énoncées dans la dernière version de la Stratégie de Sécurité Nationale et du Concept visant à la construction et au développement des forces armées jusqu’en 2030.

L’année prochaine, nous devrons nous concentrer sur les tâches principales suivantes.

Premièrement, il est nécessaire de poursuivre l’achat planifié et équilibré d’armes et d’équipements modernes pour les unités militaires et de consacrer une attention particulière aux livraisons de systèmes de haute précision, de systèmes de reconnaissance, de navigation, de communication et de contrôle de pointe.

Deuxièmement, les programmes d’entraînement au combat et tactique devraient donner la priorité aux efforts visant à maîtriser les armes modernes, ainsi que les nouvelles formes et méthodes d’opérations de combat. Dans ce cadre, les programmes d’entraînement au combat devraient être modifiés, afin qu’ils puissent être pris en compte lors des exercices de l’année prochaine, dont l’exercice de poste de commandement stratégique Vostok 2022.

Troisièmement, le succès total dans de nombreux domaines dépend désormais directement d’une prise de décision réfléchie et rapide. Dans le domaine militaire, lors des opérations de combat, les décisions se prennent en quelques minutes voire quelques secondes. Il est donc nécessaire de développer des systèmes d’aide à la prise de décision des commandants à tous les niveaux, notamment au niveau tactique, et d’introduire des éléments d’intelligence artificielle dans ces systèmes.

Quatrièmement, il va sans dire que des algorithmes opérationnels efficaces devraient être établis à tous les niveaux, et des systèmes automatiques avancés devraient également être introduits. En même temps, nous pouvons voir que les conflits militaires modernes ne se déroulent pas selon des schémas préétablis. Comme auparavant, les commandants jouent un rôle clé dans ces conflits. Beaucoup dépend de leurs connaissances, de leur expérience, de leurs qualités personnelles, et ceux qui prennent des décisions vraiment non conventionnelles gagnent des batailles. Par conséquent, lors de l’entraînement opérationnel et au combat, il est nécessaire de former des commandants polyvalents qui possèdent des connaissances dans tous les domaines. Ils devraient être répertoriés dans la réserve de personnel des principaux commandants militaires, et il est nécessaire de les surveiller dès maintenant, de les guider et de leur offrir des opportunités de promotion ultérieure.

Et, enfin, voici le cinquième aspect. Compte tenu de la complexité de la situation internationale, il est nécessaire de développer la coopération militaire et militaro-technique avec les États membres de l’Organisation de coopération de Shanghai et de l’Organisation du traité de sécurité collective et d’accorder une attention particulière au renforcement des capacités de défense de l’État de l’Union russo-biélorusse. […]

De manière informelle, j’aimerais ajouter quelques mots à ce que le ministre de la défense a dit et à mes propres remarques liminaires. Tout le monde en parle et, bien sûr, principalement les Forces armées. Je fais référence à nos documents, nos projets de traités et d’accords pour assurer la stabilité stratégique que nous avons envoyés aux dirigeants des États-Unis et de l’OTAN.

Nous voyons déjà que certains de nos détracteurs les interprètent comme l’ultimatum de la Russie. Est-ce un ultimatum ou pas ? Bien sûr que non.

Voir Que pourrait-il se passer si les États-Unis rejettent l’ultimatum russe ? et Des nuages à l’horizon

Pour rappel : tout ce que nos partenaires – appelons-les ainsi – les États-Unis ont fait au cours des années précédentes, soi-disant assurant leurs intérêts et leur sécurité à des milliers de kilomètres de leur territoire national – ils ont fait ces choses dures, les choses les plus audacieuses, sans l’autorisation du Conseil de sécurité de l’ONU.

Quel était le prétexte pour bombarder la Yougoslavie ? Est-ce que c’était autorisé par le Conseil de sécurité, ou quoi ? Où sont la Yougoslavie et où sont les États-Unis ? Ils ont détruit le pays. En effet, il y avait un conflit interne, ils avaient leurs propres problèmes, mais qui leur a donné le droit de mener des frappes aériennes contre une capitale européenne ? Personne. Ils ont juste choisi de le faire, et leurs Etats-satellites couraient derrière eux en jappant. Voilà pour le droit international.

Sous quel prétexte sont-ils allés en Irak ? C’était que l’Irak développait des armes de destruction massive. Ils sont entrés, ont détruit le pays, créé un foyer de terrorisme international, puis il s’est avéré qu’ils avaient fait une erreur : « Les renseignements nous ont fait défaut. » Wow ! Ils ont détruit un pays. Nos services d’intelligence ont échoué – c’est tout ce qu’ils avaient à dire pour justifier leurs actions. Il s’est avéré qu’il n’y avait pas d’armes de destruction massive là-bas. Au contraire, tout avait été détruit comme convenu.

Comment sont-ils allés en Syrie ? Avec l’autorisation du Conseil de sécurité ? Non. Ils font tout bonnement tout ce qu’ils veulent. Cependant, ce qu’ils font, essaient ou prévoient de faire en Ukraine ne se passe pas à des milliers de kilomètres de notre frontière nationale. C’est à la porte de notre maison. Ils doivent comprendre que nous n’avons tout simplement nulle part où nous retirer.

Il y a des experts ici, assis avec nous, je reste en contact permanent avec eux. Les États-Unis ne possèdent pas encore d’armes hypersoniques, mais nous savons quand ils en auront. Cela ne peut pas être caché. Tout est enregistré, les tests réussis comme les testes infructueux. Nous avons une idée assez claire du moment où cela pourrait arriver. Ils installeront des armes hypersoniques en Ukraine et les utiliseront ensuite comme couverture – cela ne veut pas dire qu’ils commenceront à les utiliser demain, car nous avons déjà Tsircon et eux pas – pour armer les extrémistes d’un État voisin et les inciter contre certaines régions de la Fédération de Russie, comme la Crimée, lorsqu’ils penseront que les circonstances leur sont favorables.

Pensent-ils vraiment que nous ne voyons pas ces menaces ? Ou pensent-ils que nous resterons les bras croisés à regarder émerger des menaces contre la Russie ? C’est le problème : nous n’avons tout simplement pas de place pour battre en retraite. Telle est la situation.

Voir Poutine : quand le combat est inévitable, il faut frapper le premier

Les conflits armés et les effusions de sang ne sont absolument pas notre choix. Nous ne voulons pas que les événements se déroulent ainsi. Nous voulons utiliser des moyens politiques et diplomatiques pour résoudre les problèmes, mais nous voulons au moins disposer de garanties juridiques clairement formulées. C’est l’objet de nos propositions. Nous les avons consignées sur papier et envoyées à Bruxelles et à Washington, et nous espérons recevoir une réponse claire et complète à ces propositions.

Il y a certains signaux que nos partenaires semblent prêts à travailler là-dessus. Mais il y a aussi le danger qu’ils tentent de noyer nos propositions dans les vaines discussions, ou dans un marécage, pour profiter de cette pause et faire ce qu’ils veulent.

Que ce soit clair pour tout le monde : nous en sommes conscients, et cette tournure des événements, ces évolutions, ne fonctionneront pas pour nous. Nous attendons avec impatience des pourparlers constructifs et significatifs, avec un résultat visible – et dans un délai précis – qui garantirait une sécurité égale pour tous.

C’est ce que nous nous efforcerons d’atteindre, mais nous ne pourrons le faire que si les Forces armées se développent correctement. Au cours des dernières années, nous avons réussi à gérer cela et nous avons atteint un bon niveau de préparation au combat. J’en ai parlé et le ministre vient d’en faire rapport. Nous avançons à un rythme décent – ​​le genre de rythme dont nous avons besoin.

Il y a des questions qui nécessitent plus d’attention, comme la production, que nous traitons de façon continue. Comme vous le savez peut-être, nous nous réunissons à Sochi deux fois par an. Pourquoi Sochi ? Ce n’est pas à cause du beau temps, mais parce que tout le monde s’y rend et que nous y éliminons les distractions telles que les affaires de routine pour nous concentrer sur l’industrie de la défense et le développement des forces armées. Ces réunions sont très significatives et efficaces.

Je le répète, il y a beaucoup de questions, mais nous sommes pleinement dessus. J’espère vivement que nous continuerons à maintenir ce rythme alors que nous progressons dans nos efforts pour assurer la sécurité de la Russie et de ses citoyens.

Merci beaucoup. Bonne année !

***

Poutine : comment réagirait Washington si nous placions nos missiles à ses frontières avec le Mexique ou le Canada ?

Conférence de presse annuelle de Vladimir Poutine, le 23 décembre 2021.

Source : en.kremlin.ru

Traduction : lecridespeuples.fr

Vidéos (1 et 2)

Transcription :

[…] Dmitry Peskov : Poursuivons. Je propose de donner la parole aux chaînes de télévision

Vladimir Poutine : Bien sûr.

Dmitry Peskov : Je vois NTV, Irada Zeinalova. Vous n’avez pas besoin de vous présenter.

Irada Zeinalova : Bonjour, Vladimir Vladimirovich, chers collègues.

Puisque nous parlions d’histoire, je dirais que les choses se passent presque selon [Alexander] Gorchakov, qui a fameusement dit : « La Russie se concentre. » Bien sûr, nous aimerions nous concentrer sur nos problèmes internes, nous occuper de nos affaires internes.

Cependant, au cours des dernières semaines, les médias mondiaux ont alimenté les tensions, affirmant que les Russes arrivent, que la Russie envisage d’attaquer l’Ukraine et veut la guerre. Des gens sérieux vous appellent, vous parlez avec eux et expliquez notre position, mais ils ne se calment pas. Du coup, nous envoyons nos propositions, établissons nos « lignes rouges » et, grosso modo, expliquons les règles du jeu, qui, vous en conviendrez, n’existaient pas auparavant. Depuis 30 ans, nous vivons dans un marécage et on nous dit que nous ne respectons pas certaines normes.

Nous avons défini nos lignes rouges et nous savons que nous avons défini nos priorités et nos intérêts en matière de sécurité. Mais nous avons également appris de l’histoire que tout accord conclu au cours des négociations peut rester sur le papier, comme cela s’est produit à plusieurs reprises par le passé. La moindre provocation après de tels pourparlers peut conduire à une grande guerre, et les accords restent sur le papier ou sont à nouveau oubliés.

Voici donc ma question. Vladimir Vladimirovich, à quoi devons-nous nous préparer ? Qu’est-ce qu’une perspective réaliste, et puisque le mot « guerre » a été prononcé à voix haute, avons-nous estimé la probabilité d’une guerre même à la suite d’une provocation ?

Vladimir Poutine : Vous avez évoqué Gorchakov et la fin de sa phrase : « La Russie se concentre. » Vous vous souviendrez peut-être également que la première partie de la phrase – en réponse à une question pour savoir si la Russie était en colère – était : « Non, la Russie n’est pas en colère, la Russie se concentre. »

Je vais essayer de donner une réponse courte, mais je devrai commencer par le début. L’aggravation a commencé en 2014. Avant cela, même si l’Union soviétique avait cessé d’exister et qu’une partie des territoires historiquement russes avec une population historiquement russe, principalement en Ukraine, s’étaient retrouvés à vivre en dehors de la Russie, nous avons accepté cela comme une réalité et étions plus ou moins à l’aise à ce sujet. Nous avons même aidé ces nouvelles Républiques à se remettre sur pied, et nous avons travaillé, étions prêts à travailler et travaillons toujours avec leurs gouvernements, quelles que soient leurs priorités en matière de politique étrangère.

Qu’il suffise de rappeler nos relations avec le président [Viktor] Iouchtchenko et le Premier ministre [Ioulia] Timochenko, qui ont indiqué, comme l’actuelle direction ukrainienne, leur position absolument pro-occidentale. Mais nous avons quand même travaillé avec eux. C’est vrai que nous nous sommes disputés sur le gaz, et il y a eu des conflits, mais finalement nous sommes parvenus à un accord, et nous avons travaillé, et étions prêts à continuer à travailler ensemble, et nous n’avons même jamais pensé à faire quoi que ce soit pour la Crimée.

Mais que s’est-il passé en 2014 ? Un coup d’État sanglant, des gens ont été tués et brûlés vifs. Je ne parle pas maintenant de qui avait raison et qui était à blâmer. De toute évidence, les citoyens ukrainiens étaient à juste titre indignés et mécontents de ce qui se passait dans le pays. Le Président de l’époque, Ianoukovitch, avait tout accepté. Trois ministres des Affaires étrangères – de Pologne, d’Allemagne et de France – ont garanti le développement pacifique de la situation et du processus de paix. J’ai parlé avec le Président américain de l’époque à son initiative. Il m’a également demandé de soutenir ce processus. Tout le monde était d’accord, mais un coup d’État a eu lieu en un jour ou deux. Pourquoi ? Il n’y a pas de réponse. Pourquoi était-ce nécessaire ? Le Président Ianoukovitch avait déjà tout accepté de toute façon. Il était prêt à abandonner le pouvoir dès le lendemain. Les élections et la victoire de l’opposition étaient inévitables. Tout le monde le savait très bien. Pourquoi ont-ils fait cela alors ?

Puis il y a eu le soulèvement de la Crimée. Mais comment aurions-nous pu refuser la demande de Sébastopol et de Crimée, des gens qui y vivaient, de les prendre sous notre protection, sous notre aile ? Ce n’était pas possible. Nous étions simplement mis dans une situation où nous ne pouvions pas agir différemment. Ou étions-nous censés simplement regarder passivement ce qui se passait dans le sud-est, dans le Donbass, qui s’est toujours considéré comme faisant partie de la Russie, même lors de la formation de l’URSS en 1922-1924 ? Mais Lénine et ses camarades ont coincé le Donbass [en Ukraine] par la force. Au début, ils ont décidé d’en faire une partie de la Russie et ont ensuite déclaré que la décision devait être révisée.

Voir l’indispensable documentaire « Crimée : retour à la patrie »

Ils l’ont révisée et ont créé un pays qui n’avait jamais existé auparavant [l’Ukraine]. Nous n’en parlerons pas maintenant, mais c’est ce qui s’est passé alors. Ils y ont entassé les terres historiques de gens à qui personne ne demandait comment ni où ils voulaient vivre. Très bien, c’est ce qui s’est passé, nous en avons convenu. Mais nous devions faire quelque chose en 2014 et cela a conduit à la crise qui se déroule aujourd’hui.

Eh bien, les autorités ukrainiennes ont tenté à deux reprises de résoudre le problème du Donbass par la force bien que nous ayons essayé de les persuader de ne pas le faire. J’ai personnellement essayé de convaincre M. Porochenko : tout sauf des opérations militaires ! Oui, oui, a-t-il dit puis il a eu recours à la force. Quel a été le résultat ? Encerclement, pertes et accords de Minsk. Sont-ils bons ou pas ? Je pense qu’ils sont la seule issue possible. Alors quel est le problème? Il n’y a aucune volonté de les mettre en œuvre. Ils ont adopté une loi sur les peuples indigènes et ont annoncé que le peuple russe qui vivait sur cette terre, sur sa propre terre, n’était pas indigène. Incidemment, la même chose a été faite aux Polonais, aux Hongrois et aux Roumains. D’où les différends dans les relations de l’Ukraine avec ces pays. Ces différends existent. Ils ne reçoivent pas beaucoup d’attention, mais ils sont là.

La langue est venue ensuite. Les Russes et la population russophone sont chassés de leurs terres historiques – c’est ce qui se passe. Très bien. Tout le monde dit : la Russie doit respecter les accords de Minsk. Nous sommes d’accord. Mais de leur côté, le gouvernement a subitement soumis au parlement une loi sur une période de transition. Comment cela cadre-t-il avec les accords de Minsk ? Au lieu de l’amnistie, cette loi prévoit une interdiction de l’amnistie, presque une responsabilité pénale pour quiconque accorderait l’amnistie. Au lieu d’élections, cette loi introduit un gouvernement militaire, et au lieu d’amnistie – la lustration [exclusion de la fonction publique de fonctionnaires jugés trop proches de la Russie]. De quoi s’agit-il ? Et ils l’ont fait approuver par la Commission de Venise. Alors, comment sommes-nous censés réagir à tout cela ?

Il s’agit de la composante politique intérieure. Mais alors nous entendons : guerre, guerre, guerre. On pourrait avoir l’impression qu’une troisième opération militaire est peut-être en préparation. De plus, ils nous préviennent d’avance : « N’intervenez pas, ne protégez pas ces populations. Si vous interférez pour protéger ces populations, certaines sanctions suivront. » Il se pourrait bien qu’ils s’y préparent. C’est la première option à laquelle nous devons répondre et agir, tout en gardant cela à l’esprit.

La deuxième option est, en général, de créer, comme je l’ai dit dans mon article, une sorte d’anti-Russie sur ce territoire en y stockant constamment les dernières armes et en faisant un lavage de cerveau à la population locale. Imaginez simplement comment la Russie doit vivre et continuer, d’un point de vue historique ? Doit-on vivre, en gardant constamment un œil sur ce qui se passe là-bas, et quels nouveaux systèmes d’armes ont été déployés ? Sous le couvert de ces nouveaux systèmes d’armes, des radicaux pourraient bien décider de régler la question du Donbass, ainsi que la question de la Crimée, par des moyens militaires. Pourquoi ont-ils soutenu la Plateforme de Crimée [initiative du Président ukrainien Zelensky visant à reprendre la Crimée à la Russie] ? En marge, ils n’arrêtent pas de dire : « Très bien, oublions la Crimée. » Mais non ! Ils comptent même arriver jusque-là.

Voir De l’unité historique des Russes et des Ukrainiens, par Vldimir Poutine

Après tout, nous devons être attentifs à notre propre sécurité, pas seulement pour aujourd’hui et pas seulement pour la semaine prochaine, mais pour le futur proche. Comment la Russie vivra-t-elle avec tout cela ? Doit-on rester sur nos gardes en permanence, surveiller ce qui s’y passe et s’attendre à tout moment que la situation dégénère ?

Ceci est une affaire sérieuse. Je viens de parler de nos projets de développement des infrastructures, de politique sociale et de soins de santé. Mais qu’est-ce que tout cela signifie si nous nous retrouvons dans le conflit dont vous parlez ? Ce n’est pas notre choix et nous ne le voulons pas.

C’est pour cette raison que j’ai répondu à la proposition du Président Biden, qui suggérait de nommer des représentants responsables pour diriger les pourparlers de stabilité stratégique. La stabilité et la sécurité, assurer la sécurité sur ce territoire et dans cette zone est l’une des questions clés à l’ordre du jour d’aujourd’hui. Nous devons comprendre comment assurer notre sécurité. Dans cet esprit, nous nous sommes prononcés clairement et directement contre toute nouvelle expansion vers l’Est de l’OTAN. La balle est dans leur camp. Ils doivent réagir d’une manière ou d’une autre.

À cet égard, je voudrais souligner que la réponse globale que nous avons reçue a été assez positive. Nos partenaires américains nous disent qu’ils sont prêts à lancer cette conversation en entamant des pourparlers au début de l’année prochaine à Genève. Les deux parties ont nommé des représentants. J’espère que la situation évolue dans ce sens. […]

Diana Magnay (Sky News) : Merci de me donner la parole. Je crains que ma question soit en anglais.

Vous avez beaucoup parlé de garanties de sécurité, et maintenant nous avons vu vos propositions. Vous dites aussi que vous n’avez pas l’intention d’envahir l’Ukraine.

Alors, garantirez-vous inconditionnellement que vous n’envahirez pas l’Ukraine ou tout autre pays souverain ? Ou cela dépend-il du déroulement des négociations ?

Et une autre question : à votre avis, qu’est-ce que l’Occident ne comprend pas à propos de la Russie ou de vos intentions ? Merci.

Vladimir Poutine : Concernant votre question sur les garanties ou si les choses dépendent des négociations, nos actions ne dépendront pas du processus de négociation, mais plutôt des garanties inconditionnelles pour la sécurité de la Russie aujourd’hui et dans la perspective historique.

À cet égard, nous avons clairement indiqué que tout nouveau mouvement d’élargissement de l’OTAN vers l’Est est inacceptable. Y a-t-il quelque chose de pas clair à ce sujet ? Déployons-nous des missiles près de la frontière américaine ? Non nous ne faisons rien de tel. Ce sont les États-Unis qui sont venus chez nous avec leurs missiles et qui se tiennent déjà à notre porte. Est-ce aller trop loin que d’exiger qu’aucun système de frappe ne soit placé près de chez nous ? Qu’y a-t-il de si inhabituel là-dedans ?

Que diraient les Américains si nous postions nos missiles à la frontière entre le Canada et les États-Unis, ou entre le Mexique et les États-Unis ? Le Mexique et les États-Unis n’ont-ils pas eu de différends territoriaux dans le passé ? Quel pays possédait la Californie ? Et le Texas ? Avez-vous oublié [que les Etats-Unis ont annexé de force ces territoires qui appartenaient au Mexique] ? D’accord, les choses se sont calmées, et personne n’en parle maintenant comme ils parlent de la Crimée. Merveilleux. Mais nous essayons également d’éviter de parler de la création de l’Ukraine. Qui l’a créé ? Vladimir Lénine l’a fait, lorsqu’il a créé l’Union soviétique. Ceci est énoncé dans le traité de 1922 sur la création de l’Union soviétique et dans la Constitution de 1924. Certes, cela s’est produit après sa mort, mais conformément aux principes qu’il a formulés.

Mais il s’agit de sécurité, non d’histoire, mais de garanties de sécurité. C’est pourquoi ce ne sont pas les négociations elles-mêmes mais les résultats qui comptent pour nous.

Nous nous souvenons, comme je l’ai déjà mentionné à maintes reprises et comme vous le savez très bien, comment vous nous avez promis dans les années 90 que [l’OTAN] ne bougerait pas d’un pouce vers l’Est. Et que s’est-il passé ? Vous nous avez trompés sans vergogne : il y a eu cinq vagues d’expansion de l’OTAN, et maintenant les systèmes de missiles que j’ai mentionnés ont été déployés en Roumanie et le déploiement a récemment commencé en Pologne. C’est de cela dont nous parlons, ne voyez-vous pas ?

Nous ne menaçons personne. Avons-nous approché les frontières américaines ? Ou les frontières de la Grande-Bretagne ou de tout autre pays ? C’est vous qui êtes venu à notre frontière, et maintenant vous dites que l’Ukraine deviendra également membre de l’OTAN. Ou, même s’il n’adhère pas à l’OTAN, que des bases militaires et des systèmes de frappe seront placés sur son territoire dans le cadre d’accords bilatéraux. C’est tout le problème.

Et vous exigez de moi des garanties. C’est vous qui devez nous donner des garanties, et vous devez le faire tout de suite, tout de suite, au lieu d’en parler pendant des décennies et de faire ce que vous voulez, tout en devisant tranquillement de la nécessité de garanties de sécurité pour tout le monde. Ils continuent de faire ce qu’ils avaient planifié depuis le début (à savoir l’expansion de l’OTAN en direction de la Russie). C’est de cela qu’il est question. Menaçons-nous quelqu’un ?

Passons maintenant à votre deuxième question. Répétez-la, s’il vous plaît.

Diana Magnay : Que pensez-vous que l’Occident ne comprenne pas à propos de la Russie ou de vos intentions ?

Vladimir Poutine : L’Occident comprend-il ou ne comprend-il pas quelque chose ? Vous savez, j’ai parfois l’impression que nous vivons dans des mondes différents. Je viens de parler de choses qui sont évidentes. Comment ne pas les comprendre ? Ils nous ont dit : il n’y aura pas d’expansion [de l’OTAN vers l’Est], mais ils se sont étendus [toujours plus près de nos frontières]. Ils nous ont promis des garanties égales pour tous en vertu de plusieurs traités internationaux. Mais cette sécurité égale ne s’est pas matérialisée.

Regardez, en 1918, un assistant du Président américain Woodrow Wilson a déclaré que ce serait un soulagement pour le monde entier si, au lieu d’une immense Russie, un État séparé en Sibérie et quatre autres pays dans la partie européenne étaient créés.

En 1991, nous nous sommes divisés en 12 parties, je crois, et nous l’avons fait de nous-mêmes. Pourtant, il semble que cela n’ait pas suffi à nos partenaires. Ils pensent que la Russie est trop grande en l’état actuel des choses. C’est parce que les pays européens eux-mêmes se sont transformés en petits États. Au lieu de vastes empires, ce sont maintenant de petits États de 60 à 80 millions d’habitants. Cependant, même après l’effondrement de l’Union soviétique, et il ne nous restait que 146 millions de personnes, mais c’est encore trop pour eux. Je crois que c’est la seule façon d’expliquer cette pression incessante.

Prenons les années 90, par exemple. L’Union soviétique a tout fait pour établir des relations normales avec l’Occident et les États-Unis. Je l’ai dit plusieurs fois, et je le répéterai, afin que vos auditeurs et téléspectateurs comprennent. Je ne me souviens pas quel média vous représentez, mais là n’est pas la question. Nous avions des représentants des services de renseignement américains dans nos installations nucléaires et militaires ; surveiller les sites d’armes nucléaires de la Russie était leur travail. Ils y allaient tous les jours et y vivaient même. De nombreux conseillers, y compris des membres du personnel de la CIA, travaillaient au sein du gouvernement russe.

De quoi d’autre aviez-vous besoin ? Pourquoi ont-ils dû soutenir les terroristes dans le Caucase du Nord [dans le Dagestan et en Tchétchénie] et utiliser des organisations de nature clairement terroriste pour tenter de briser la Fédération de Russie ? Mais ils l’ont fait, et en tant qu’ancien directeur du Service fédéral de sécurité, je ne le sais que trop bien. Nous travaillions avec des agents doubles, et ils nous rendaient compte des objectifs que leur fixaient les services de renseignement occidentaux. Mais pourquoi ? Ils auraient dû traiter la Russie comme un allié potentiel et la rendre plus forte, mais tout est allé dans la direction opposée ; ils voulaient la démanteler encore plus.

Et puis ils ont commencé à étendre l’OTAN vers l’Est. Bien sûr, nous leur avons dit de ne pas le faire, arguant qu’ils avaient promis de ne pas le faire. Mais ils nous ont demandé : « Cette promesse a-t-elle été consignée sur papier ? Non ? Dans ce cas, cassez-vous, on crache sur vos préoccupations. » Cela a continué d’année en année, chaque fois que nous avons montré nos dents et essayé d’empêcher quelque chose et d’exprimer nos inquiétudes. Mais non : ils ne voulaient rien entendre, disant qu’ils feraient ce qu’ils jugeaient nécessaire.

Il y a eu une, deux, trois, quatre, cinq – cinq vagues d’expansion. Qu’est-ce qu’ils ne comprennent pas ? Je ne sais pas. Vous pouvez dire que tout cela est parfaitement clair. Je pense que c’est clair comme le jour : nous voulons assurer notre sécurité. […]

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Source: Lire l'article complet de Le Cri des Peuples

À propos de l'auteur Le Cri des Peuples

« La voix des peuples et de la Résistance, sans le filtre des médias dominants. »[Le Cri des Peuples traduit en Français de nombreux articles de différentes sources, principalement sur la situation géopolitique du Moyen-Orient. C'est une source incontournable pour comprendre ce qui se passe réellement en Palestine, en Syrie, en Irak, en Iran, ainsi qu'en géopolitique internationale.]

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