par Binoy Kampmark.
Ce n’est pas le genre de chose que l’on rencontre régulièrement. Un membre d’un cabinet gouvernemental, responsable sans doute de l’un des portefeuilles les plus importants du pays, jugé à la fois défaillant et coupable de ses actes après avoir quitté son poste. C’est pourtant ce qu’a découvert l’ancienne ministre danoise de l’Immigration, Inger Støjberg, lorsqu’elle a été condamnée pour avoir illégalement séparé des couples de demandeurs d’asile arrivant dans le pays.
Une cour danoise de destitution, en déclarant l’ancienne ministre coupable d’avoir intentionnellement négligé ses fonctions en vertu de la loi sur la responsabilité ministérielle, l’a condamnée à 60 jours de prison. Sur les 26 membres de la cour, un seul a donné raison à l’ex-ministre.
C’est la troisième fois seulement depuis 1910 qu’un homme politique est renvoyé devant la cour de destitution. La dernière fois, c’était en 1993, lorsque l’ancien ministre conservateur de la justice, Erik Ninn-Hansen, avait été poursuivi pour avoir illégalement empêché le regroupement familial de réfugiés tamouls en 1987 et 1988.
La procédure était centrée sur une ordonnance émise par l’ex-ministre en 2016, qui stipulait que si un des membres d’un couple marié était mineur, ils devaient être séparés et logés dans des centres distincts. Et ce, qu’ils aient ou non des enfants. À l’époque, Støjberg avait fait valoir que cette mesure était nécessaire pour protéger les « enfants mariés ». « Ils doivent être séparés », avait déclaré la ministre de l’époque à la Danish Broadcasting Corporation, « car je n’accepterai pas que, dans mon système, il puisse y avoir des exemples de coercition ».
Quelque 23 couples ont été obligatoirement séparés par le service d’immigration danois sans examen individuel de leur situation. Un des couples, une femme enceinte de 17 ans et son mari de 26 ans, ont déposé une plainte auprès du médiateur du Parlement danois, qui a estimé que la séparation était illégale.
Le tribunal de destitution a également estimé que la politique était illégale et constituait une violation de la législation européenne sur les droits de l’homme, car l’arrangement ne prévoyait pas d’exceptions et d’évaluations individuelles par le service de l’immigration.
Les ministres ont tendance à trouver déconcertantes de telles intrusions de la loi dans leur pouvoir discrétionnaire. Si le pouvoir exécutif devait être limité par de telles actions en justice, il serait difficile de prendre des décisions fermes et dououreuses. Lorsque le procès a commencé, M. Støjberg était convaincu que les membres de la Cour feraient preuve de bon sens. « Je sais exactement ce que j’ai dit et fait. C’est pourquoi nous demandons l’acquittement ». Elle était si confiante dans l’issue du procès que la condamnation lui a fait l’effet d’un choc. « C’est le seul scénario auquel je ne m’étais pas préparée parce que je le trouvais complètement irréaliste ».
Støjberg a rapidement évoqué les principes sur lesquels elle s’est appuyée pour prendre sa décision. « Je pense que ce n’est pas seulement moi qui ai perdu aujourd’hui, ce sont les valeurs danoises qui ont perdu aujourd’hui ». (Toute personnalité politique prise en flagrant délit d’infraction à la loi s’abrite forcément derrière un ensemble de valeurs). Si, a-t-elle dit, elle « avait dû vivre avec le fait que je n’avais pas protégé ces filles – cela aurait été en fait bien pire ».
Le jeu des valeurs est toujours précaire et les ministres de l’Immigration qui prétendent protéger les personnes vulnérables sont rarement des personnes animées par d’autres motivations. Grattez la surface, et vous êtes sûr de trouver un réactionnaire sadique. Pour Støjberg, cela signifiait adopter une ligne contre les hordes basanées cherchant refuge dans le giron de cette Europe que les figures populistes et anti-immigration trouvaient attrayantes. Entre 2015 et 2019, elle a fait partie d’un gouvernement de centre-droit soutenu par le Parti populaire danois anti-immigration et a présidé à l’adoption de 110 amendements restreignant les droits des étrangers. D’une grossièreté mémorable, elle a célébré l’adoption de la cinquantième restriction à l’immigration avec un gâteau.
Parmi ces mesures figurait la « loi sur les bijoux », qui stipulait que les demandeurs d’asile devaient renoncer à leurs bijoux et à l’argent liquide de plus de 10 000 couronnes pour financer leur séjour au Danemark. Les directives du Ministère de l’Immigration ont quand même fait de modestes concessions : il ne fallait pas toucher aux alliances ou aux bagues de fiançailles, mais chaque agent pouvait déterminer la valeur sentimentale attachée aux autres bijoux.
À l’instar de ses homologues d’autres pays, Mme Støjberg a cherché à placer les arrivants non désirés et indésirables sur une île éloignée – Lindholm – un plan qui a fait sourciller les Nations Unies. Alors que l’installation était destinée à détenir des ressortissants étrangers condamnés pour des crimes et prêts à être expulsés, Michelle Bachelet, responsable des droits de l’homme à l’ONU, a mis en garde contre « l’impact négatif d’une telle politique de l’isolement, et il ne faut pas la reproduire. Car les priver de leur liberté, les isoler et les stigmatiser ne fera qu’accroître leur vulnérabilité ».
Støjberg, protecteur autoproclamé des enfants mariés, n’a fait que mépriser ces préoccupations. « Je suis assez impressionné que vous puissiez vous asseoir à New York et commenter un centre d’expulsion alors que pas un seul coup de pelle n’a encore été donné et que nous avons clairement dit que nous resterions dans le cadre des conventions auxquelles nous avons souscrit ».
Le ministre de l’immigration moderne est devenu un membre en civil des forces de police du pays. La suspicion est préférée à la bienveillance. On juge avant de comprendre. Séparer des familles, tourmenter des parents et des enfants, ce ne sont pas des choses rares. Mais en toute justice pour Støjberg, ses mesures n’ont pas manqué d’être approuvées par le Parlement et soutenues par l’opinion publique. Non seulement elle encourageait la cruauté, mais elle était également encouragée à être cruelle.
En effet, la politique sévère du Danemark à l’égard des réfugiés se développe sous la houlette des sociaux-démocrates de centre-gauche, qui ont adopté certaines des politiques les plus dures au monde en matière de réfugiés. Récemment, un accord interdisant aux étrangers condamnés à des peines avec sursis de devenir un jour citoyens danois a été conclu par le gouvernement avec les partis de droite.
En juin, le Parlement a donné au gouvernement le mandat d’établir un système de camps d’internement en dehors des frontières européennes pour traiter les demandes des demandeurs d’asile. « Si vous demandez l’asile au Danemark, vous savez que vous serez renvoyé dans un pays hors d’Europe, et nous espérons donc que les gens cesseront de demander l’asile au Danemark », a prévenu le porte-parole du gouvernement, Rasmus Stoklund.
L’opinion autosatisfaite exprimée par des journaux tels que Politiken, selon laquelle aucun ministre n’est au-dessus de la loi, ne tient pas compte du fait que Støjberg est devenue une « post girl » par réaction, un modèle à imiter plutôt qu’à rejeter. Si elle avait bricolé davantage son décret sur les « enfants mariés », en le conditionnant avec moins de sévérité, elle n’aurait peut-être jamais été confrontée à la cour de destitution.
Les ministres de l’Immigration d’autres pays devraient en prendre note, mais il est peu probable que les leçons de cette affaire soient tirées en Australie. En Australie, les responsables de l’immigration agissent avec une impunité brutale, confiants dans le fait que leurs décisions impitoyables ne risquent pas de faire l’objet d’un regard judiciaire sévère. Aucun ministre australien de l’immigration n’a fait l’objet de poursuites pour avoir renvoyé des personnes dans des pays qu’elles avaient fuis pour y subir la torture, la persécution et la disparition. Ou pour avoir détruit la santé mentale de demandeurs d’asile enfermés pour une durée indéterminée dans un système de camps de concentration subventionnés dans le Pacifique. C’est eux qui ont établi la norme, et des pays comme le Danemark s’en sont inspirés. Støjberg pourrait bien s’estimer comme quelqu’un qui n’a pas eu de chance.
illustration : Inger Støjberg – La ministre de l’Immigration et de l’Intégration du Danemark, Inger Stojberg, lors d’un débat au Parlement danois, le 26 janvier 2016.
source : https://orientalreview.org
traduction Avic pour Réseau International
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