Le très opportun incendie de Notre-Dame, le 15 avril 2019, fut à la fois suffisamment efficace pour choquer les esprits, tel un 11-Septembre à la française, entraînant quelques dégâts justifiant la réalisation de travaux importants, et à la fois suffisamment bénin afin de conserver l’essentiel tout en remodelant l’ensemble dans le sens d’un grand bazar de divertissements et de commerces. Ne soyons pas complotistes, un mégot peut tout à fait incendier des poutres de 1000 ans d’âge puisque deux avions ont pu faire écrouler trois tours. CQFD.
C’est donc ce jeudi 9 décembre que le futur design intérieur de Notre-Dame sera connu. « Ni révolutionnaire, ni refait à l’identique mais modernisé à grand renfort d’art contemporain », ainsi devrait être ce futur design d’après Le Figaro. On en tremble de curiosité. Ou peut-être d’inquiétude.
Si nous avons bien suivi, c’est tout le quartier qui est en passe d’être restauré, les bâtiments alentours perdant leurs fonctions administratives et devenant des espaces secondaires et complémentaires d’un grand parc d’attraction. Les flux de visiteurs seront dirigés pour optimiser leur passage devant un maximum de vitrines. Des services complémentaires à la visite, la précédant ou lui succédant, seront proposés : hôtellerie, restauration, cinéma, etc. 12 millions de visiteurs par an, tout de même, ça excite quelques convoitises et quelques projets.
Rien n’étant très clair à ce jour, différentes propositions de travaux ont été formulées pour la zone entourant la cathédrale. Ainsi, on a dit que le parvis de Notre-Dame pourrait devenir « une immense dalle de verre au-dessus de la crypte archéologique ; aux pieds de la cathédrale, un débarcadère et des plates-formes flottantes accueillant piscine, cafés, restaurants, salles de concert ; le long de la Seine, une longue promenade végétalisée, débarrassée des voitures, reliant les pointes aval et amont de l’île ; deux nouvelles passerelles qui franchissent le fleuve ; un peu partout, des verrières, des passages couverts, des galeries souterraines, des atriums en sous-sol… ».
La ville de Paris fait dans le vague, permettant de réaliser à peu près tout et son contraire : « L’ambition de la Ville est claire : nous voulons redonner toute sa beauté à la cathédrale, mieux la mettre en valeur pour mieux la révéler, dans le respect de l’histoire du lieu, de ce legs patrimonial exceptionnel, tout en l’inscrivant pleinement dans le 21e siècle ». Les deux mots importants étant le mot « claire », signifiant en double langage « obscur » et le mot « 21e siècle » signifiant « merde contemporaine ».
Ainsi donc, selon Le Monde, journal oblique, le futur design pourrait faire dialoguer « des artistes contemporains comme le père français de l’art urbain Ernest Pignon-Ernest, les artistes Anselm Kiefer ou Louise Bourgeois […] avec celles de maîtres anciens comme les frères Le Nain ou Charles Le Brun ».
Une image valant mille mots, voici une oeuvre de chacun des « artistes » cités. La troisième image rappelera la sordide affaire du Pizzagate aux lecteurs avisés. En effet cette sculpture trônait en bonne place chez le pédophile présumé John Podesta – de l’équipe de campagne d’Hillary Clinton – aux goûts artistiques particulièrement nauséabonds.
Ernest Pignon-Ernest
Anselm Kiefer
Louise Bourgeois
Parfois Winston Smith, celui qui réécrit l’histoire dans le roman dystopique 1984, fait mal son travail. Et c’est ainsi qu’on retrouve des projets de remodelage du quartier et des alentours de la cathédrale dans la presse bien avant l’incendie inespéré du 15 avril 2019 : Le Journal du Dimanche, 16 décembre 2016.
Ite missa est.
Une nouvelle menace plane sur Notre-Dame de Paris : ce que l’incendie a épargné, le diocèse veut le détruire
Le 15 avril 2019, le monde découvrait, stupéfait et bouleversé, les images de Notre-Dame en feu. Alors que les décombres fumaient encore, des millions de personnes, de toutes nationalités, se sont spontanément mobilisés pour rassembler l’argent nécessaire à la restauration du monument. Près d’un milliard d’euros ont été ainsi réunis. Ces dons étaient autant de déclarations d’amour à la cathédrale Notre-Dame. Ils témoignaient ainsi de la confiance dans notre capacité à faire revivre ce sublime patrimoine artistique et spirituel.
Mais aujourd’hui, cette résurrection est gravement compromise par un projet d’aménagement de l’intérieur du monument. Le diocèse de Paris veut en effet profiter du chantier de restauration pour transformer l’intérieur de Notre-Dame en un projet qui en dénature entièrement le décor et l’espace liturgique. Il estime ainsi que les destructions de l’incendie sont l’occasion de transformer l’appréhension du monument par le visiteur, alors même que celui-ci s’est limité à la toiture et à la flèche et n’a rien détruit de patrimonial à l’intérieur.
Ces propositions de modifications affectent le mobilier, l’éclairage et la circulation. Les auteurs de ce projet cherchent à mettre en place un autre parcours, une autre expérience du monument, alors même que Notre-Dame offre déjà un parcours, qu’elle est déjà un discours. Pour ne prendre qu’un exemple, l’organisation conçue par Viollet-le-Duc repose sur un principe de gradation des espaces qui existait déjà à la fin du moyen-âge et qu’il a restauré. Les premières chapelles ont un décor sommaire pour permettre une montée progressive vers la splendeur du chœur. Et ainsi de suite. Tout fut savamment pensé et arbitré.
Or ce qu’imagine aujourd’hui le diocèse réduit à néant la conception patiemment élaborée par Viollet-le-Duc. Le projet prévoit l’installation de bancs amovibles, d’un éclairage changeant en fonction des saisons, de projections vidéo sur les murs, etc., autrement dit les mêmes « dispositifs de médiation » à la mode (et donc déjà terriblement démodés) que l’on trouve dans tous les projets culturels « immersifs » où bien souvent la niaiserie le dispute au kitsch.
Ce tragique incendie nous offre pourtant une chance exceptionnelle, une occasion absolument unique : la restauration du décor de Viollet-le-Duc. Nous sommes en effet en mesure de faire renaître un décor d’ensemble cohérent et d’une grande perfection formelle. L’architecte génial, soucieux de prolonger et d’achever le travail des bâtisseurs du moyen-âge, avait conçu une œuvre d’art totale, faisant se correspondre architecture et décor, peinture et sculpture, ébénisterie et orfèvrerie, vitraux et luminaires. Guidé par une vision très précise d’un idéal artistique et spirituel, il avait élaboré et mis en œuvre la cathédrale des cathédrales.
Respectons l’œuvre de Viollet-le-Duc, respectons le travail des artistes et des artisans qui ont œuvré pour nous offrir ce joyau, respectons tout simplement les principes patrimoniaux d’un monument historique. Ce chantier de restauration doit nous permettre de retrouver l’authenticité du lieu et de son expérience, en replaçant les bonnes œuvres aux bons endroits, dans une harmonie et une cohérence d’ensemble.
La France fera l’admiration de tous pour avoir su mener une restauration qui restituera au monde un monument sublime. Nos architectes, nos restaurateurs et tous les métiers d’art auront ainsi, selon les mots du président de la République, rendu Notre-Dame plus belle qu’avant l’incendie, c’est-à-dire aussi sublime qu’elle nous avait été léguée.
La liste des signataires peut être consultée sur le site de la Tribune de l’Art
Source: Lire l'article complet de Égalité et Réconciliation