« Une collectivité doit remanier sa mémoire
en fonction des conjonctures qui surviennent ;
on se souvient à partir des défis du présent,
à moins que l’on se serve du passé
comme alibi pour ne pas affronter l’avenir. »
Fernand Dumont, Raisons communes.
Avis. — Le présent texte fait suite au débat qui s’est déroulé dans les textes de Normand Bélair :
Canadien-français ou Québécois ?
Canadiens-français ou Québécois… suite
Et d’Éric F. Bouchard :
Du nom de Canadien-Français et de son importance
Du nom de Canadiens-Français et de son importance… suite
À Gilles Verrier, Éric F. Bouchard et tutti quanti,
Notre identité collective est essentiellement demeurée la même, malgré ses mues nominatives. La dénomination Canadiens-Français n’est pas méprisable à titre de nom transitoire qui appartient à une époque où notre peuple luttait pour sa survie en tant que groupe humain dont l’identité distincte était gravement menacée par le régime anglais, d’abord britannique, puis canadien-anglais. Mais vint un temps où les élites dirigées par Maurice Duplessis, Jean Lesage et Daniel Johnson père en particulier prirent conscience que cette situation ne pouvait durer indéfiniment, qu’il fallait réaliser une émancipation globale fondée sur l’édification de l’État du Québec pour assurer la pérennité de notre peuple. La nouvelle appellation Québécois pour désigner notre peuple est donc apparue naturellement au cours de ce développement. Si la menace existentielle est devenue grave aujourd’hui, c’est que les nationalistes n’ont mené aucune lutte sérieuse après les référendums sur la souveraineté, se complaisant dans le progressisme idéologique pour tenter de combler leurs dépressions postréférendaires.
Le vrai défi existentiel
La saine équation existentielle est pourtant simple à retenir :
Territoire (le Québec, où nous sommes majoritaires) + État complet (c’est-à-dire souverain) + identité (culture québécoise d’expression française) = indépendance de notre peuple.
Tout le reste est périphérique ou superfétatoire. Votre fixation sur un nom désuet vous amène à négliger entièrement les deux premières dimensions, et même une bonne partie de la troisième.
Illusoirement, vous imaginez qu’agiter le nom Canadien-Français comme une crécelle suffira à rallier et mobiliser notre peuple. Mais dans quel but ? Faire reconnaître cet ancien nom par un État tronqué (provincial), mais surtout par l’État fédéral dominateur. Gilles Verrier pousse même l’illusion tragicomique à réclamer le nom volé Canadiens. À remarquer son oscillation indécise constante entre les termes Canadiens et Canadiens-Français : cela suffit à illustrer le caractère actuellement problématique de ces termes. En découvrant une règle inconnue des traducteurs selon laquelle les gentilés seraient intraduisibles, il préconise English-Canada pour Canada anglais dans notre langue ! Cette pensée magique — d’envergure, c’est clair ! — aurait, prétend-il, la capacité d’ « annuler les effets de la Conquête » !?! Logiquement, cette confusion intellectuelle devait l’amener à renoncer à l’indépendance, à troquer notre aspiration à l’affranchissement pour la petite satisfaction d’un statut folklorique, celui d’un débris de peuple. Alors que nous avons amplement les moyens de devenir un peuple doté d’un État-nation complet nous assurant une place dans le concert des nations, notamment comme État membre des Nations unies.
J’insiste : l’équation Territoire + État + identité = indépendance correspond au statut de peuple normal ou adulte, comme l’a évoqué Normand Bélair. Aussi, je m’étonne que l’on ait pu qualifier le Canada de normal alors que sa stato-amanchure multiculturelle et multiconfessionnelle déliquescente se revendique elle-même comme étant celle d’un pays postnational. Le Canada devenu angloïde, ce laboratoire dirigé par des apprentis sorciers anti-identitaires sous couvert de représenter toutes les cultures, s’il plaît aux mondialistes soucieux d’établir l’Homo economicus comme horizon indépassable d’une humanité transformée en consommateurs zombifiés, n’a pas d’avenir… parce qu’il n’a pas de passé authentique. C’est un néant dont il faut s’éloigner comme celui d’un trou noir.
En croyant vous démarquer dans le Canada fédéral avec l’ethnonyme Canadiens-Français, vous participez vous-mêmes au jeu de la diversité antagonique organisé et entretenu par les fédéraux pervers. Alors qu’il suffit d’énoncer et d’imposer légitimement que tous les immigrants sans exception doivent s’assimiler à notre peuple. Sachant fort bien que l’avènement de l’indépendance fera fuir pacifiquement, c’est-à-dire sans qu’on les retienne, les minoritaires récalcitrants qui la refuseront. Il faut donc concentrer notre énergie sur l’accession à l’indépendance.
Seule l’indépendance du Québec (oui, oui, ce nom d’origine amérindienne qui signifie « passage étroit », racine que Gilles Verrier ne sait jamais voir ni entendre) nous permettra de mettre fin à l’invasion migratoire avec une politique de l’immigration complète et rigoureuse en ce qui concerne les critères de sélection et de nombre, accompagnée d’une politique nataliste comme celle de la Hongrie. Et à adopter toutes les politiques globales que seul un État national affranchi a la capacité de mettre en œuvre.
C’est le statut de province dirigée par des fédéralistes qui trudeauise le peuple québécois. Et non, à Canadiens-Français, je ne préfère pas l’expression provincialiste « Québécois francophones », qui serait aussi redondante que de parler des « Allemands germanophones »… sous prétexte qu’il existe une communauté turque en Allemagne. Plutôt que de chercher à supprimer l’ « imposant reflet [du fédéral] dans l’État du Québec », ce qui correspond à prendre l’ombre pour la proie, il faut bouter le pouvoir fédéral hors du Québec avec l’appui du peuple québécois en menant dès maintenant des luttes politiques qui conduiront à l’indépendance. (On peut trouver des suggestions de telles luttes dans « Enjeux existentiels majeurs ».) Mais pour cela, il faut que les nationalistes abandonnent la politique inféconde des sempiternelles lamentations pour redéployer la farouche volonté de vaincre issue de notre héroïque Nouvelle-France exemplaire.
Le révisionnisme historique comme béquille idéologique
Éric F. Bouchard ne se gêne pas pour se livrer à du révisionnisme impénitent en écartant allègrement les faits qui ne correspondent pas aux préconceptions de son idéologie nominative. Il récidive dans son dernier article en se concentrant encore sur des traces minimes de l’ethnonyme Canadiens-Français du 18e siècle pour le survaloriser, tout en le reliant abusivement à celui inversé de Français-Canadiens d’emploi tout aussi rare pendant le siècle précédent. Il sait pourtant très bien que ce sont les termes Français puis Canadiens qui furent couramment utilisés, et non la double forme Français-Canadiens. Ainsi, il ignore volontairement l’étude de de Gervais Carpin (Université Laval, 1995, 124 p.) : Histoire d’un mot : l’ethnonyme Canadien de 1535 à 1691, qui décrit en détail cette évolution terminologique. Le comportement obstiné de M. Bouchard s’apparente à la dérive de dirigeants religieux qui prétendent détenir la vérité exclusive, consistant à hypertrophier un élément mineur, soit positivement ou négativement, c’est-à-dire en le fétichisant ou le tabouisant, pour en faire un dogme indiscutable afin d’imposer à autrui leur autorité personnelle.
Un faux débat lancinant
À l’invitation de l’animateur Gilles Verrier, j’avais participé à la discussion du groupe Facebook intitulé « La Fédération des Canadiens-Français », un nom prémonitoire de la future position constitutionnelle du susnommé. Les interminables discussions s’avérèrent inutiles : mes opposants étaient tout à fait incapables de prêter attention à des arguments cherchant à élargir le débat au-delà d’un cadre étroitement nominatif. Même après une longue discussion où un interlocuteur finit par admettre que le nom n’était pas primordial, il conclut néanmoins… en réitérant l’argument du nom Canadiens-Français. Cet interlocuteur anonyme crispé sur ce nom désuet, qui s’était doté vaniteusement du nom de chevalier, fut donc qualifié de « sabre dialectique » par Gilles Verrier. Risible, plutôt que pitoyable. Tout penseur lucide sait bien que la stricte dialectique sert à prouver une chose… et son contraire. Après cette performance solipsiste du Sabre rouillé et ébréché, je mis fin à ma participation à ce groupe chronophage manifestement devenu sectaire.
La mise en garde de Fernand Dumont
Rappelons que l’essai Raisons communes parut au début de 1995, le référendum pointant à l’horizon. Fernand Dumont y dialoguait fictivement avec Pierre Elliott Trudeau pour lui reprocher l’universalisme superficiel qui guidait sa conception du Canada. Et aussi pour mettre en garde les Québécois de ne pas continuer de reproduire, dans un esprit gestionnaire, la même aliénation abstraite avec l’État québécois en le séparant lui aussi de la culture historique du notre peuple. Sur ce point, il avait grandement raison.
Toutefois, la conception dumontienne négative de l’État-nation du Québec découlait de sa perspective essentiellement sociologique. Précisément, Dumont errait lui-même en estimant que la présence de minorités empêchait de reconnaître son statut étatique à la nation québécoise. Ainsi, il donnait inconsciemment raison à la ligne du traître Pierre Elliott qui avait déclaré antérieurement à l’époque du premier référendum sur la souveraineté que René Lévesque ne pouvait prétendre représenter seulement les Canadiens-Français, pas plus que lui-même, seulement les Canadiens-Anglais. Bref, le brouillage de la réalité pour maintenir le statu quo en faveur de la domination de l’élément anglais. Sauf que l’on trouve des minorités dans la majorité des pays du monde. Or, un État-nation ou un pays normal ne se définit pas par ses minorités, mais par sa majorité. N’étant pas un acteur politique, Dumont n’a pas développé une doctrine et une stratégie politiques pouvant conduire à la libération du peuple québécois.
Malheureusement, une partie des nationalistes — surtout de gauche — est tombée dans le piège de la culpabilisation postréférendaire, dont l’ampleur fut longuement analysée par Mathieu Bock-Côté sous le concept « dénationalisation ». Tout indépendantiste qu’il fut, Fernand Dumont n’avait pas prévu l’autre piège, celui de la régression des nationalistes identitaires passifs aspirant à un retour au passé comme s’il s’agissait de revenir au sein du cocon maternel. Ceux auxquels je m’adresse ici sont pris dans le piège de la régression identitaire avec la désagrégation de l’État du Québec à la clé, puisqu’ils n’ont plus de ressort pour lutter contre l’État fédéral. Gilles Verrier est ainsi tombé dans la trappe de ce piège : le renoncement à l’indépendance. Une double aliénation.
En finir avec les débats voulus et encadrés par nos ennemis fédéraux
Certes, la Loi sur l’exercice des droits fondamentaux et des prérogatives du peuple québécois et de l’État du Québec (loi 99) votée par l’Assemblée nationale en conséquence de l’avis de la Cour suprême du Canada concernant le Renvoi relatif à la sécession du Québec, reconnaît 11 nations amérindiennes et une communauté d’expression anglaise.
Toutefois, cette loi ne reconnaît qu’un seul État. Par son nombre, seul le peuple québécois s’étend sur l’ensemble du territoire de l’État du Québec. Les nations amérindiennes aux effectifs peu nombreux sont dispersées sur le territoire québécois et ne représentent pas une menace pour le peuple québécois.
D’ailleurs, les Amérindiens n’ont pas le même rapport au territoire que les Blancs : nous pouvons donc négocier avec eux, de nation à nation, une superposition territoriale qui respecte l’intégrité de notre territoire national. Cela est réalisable parce que nous possédons une tradition mutuelle de rapports pacifiques avec la majorité d’entre eux.
Par ailleurs, la loi 99 n’est qu’un embryon constitutionnel provisoire. On devra intégrer le principe de la nation québécoise lors de la rédaction d’une constitution d’un Québec indépendant. Nous aurons alors notre État-nation, qui sera naturellement unique. Et cela n’empêchera pas le maintien de la reconnaissance des nations amérindiennes.
Quant au statut de la communauté d’expression anglaise, s’il doit exister, il devrait être négocié après l’indépendance, avec la coopération du peuple acadien et des collectivités francophones du Canada comme levier. Sinon, on doit envisager un transfert de populations. Tout cela s’appelle développer un rapport de forces.
Les autres minorités ont indubitablement vocation à s’assimiler à la majorité québécoise. En particulier, on ne doit rien reconnaître aux revendications collectives des minoritaires pleurnichards qui rejettent la nation québécoise. Le Québec ne leur plaît pas ? Qu’ils migrent ailleurs, nous fichant ainsi la paix. Pas de souci, on ne leur niera pas ce droit civique individuel.
Conclusion
Mais voilà que les idéologues protagonistes de l’ineptie nominative au point de sombrer dans la passivité politique — qui ne peuvent donc que chercher à plomber la volonté émancipatrice de notre peuple — sévissent en toute mauvaise foi ici également, sur le site de Vigile Québec. Surtout ceux qui sont forts, s’imaginent-ils, de leur nouvelle position politique anti-indépendantiste.
Je fais remarquer que la politique éditoriale de Vigile Québec admet la différence d’opinions, mais pas le rejet de l’objectif de l’indépendance du Québec. La liberté collective d’un peuple est intrinsèque ; en cela, les renoncements sont inadmissibles. Objectivement, les capitulards nominatifs sont des ennemis à l’intérieur de nos murs.
Source: Lire l'article complet de Vigile.Québec