(Saint-Bernard-de-Lacolle) Les seuls bruits perceptibles au bout du chemin Roxham sont le son des feuilles mortes balayées par le vent, supplanté de temps en temps par le passage d’un VUS de la Gendarmerie royale du Canada (GRC).
Bientôt, des bruits de pas pourraient s’ajouter au tableau.
Complètement bloqué durant la pandémie, le passage irrégulier utilisé par des demandeurs d’asile a repris du service, dimanche, depuis que le gouvernement fédéral a levé la veille l’interdiction dont il faisait l’objet.
L’avocat spécialisé en immigration Stéphane Handfield a reçu lundi des messages de clients lui disant que des membres de leur famille avaient passé la frontière pour faire une demande d’asile au chemin Roxham.
« C’est commencé », dit-il.
Me Handfield note que de nombreux demandeurs d’asile pourraient arriver au cours des prochains jours, même s’il doute que le flot soit aussi important que ce qui a été vu dans les quelques années précédant la pandémie de COVID-19.
À [l’]époque, Donald Trump avait annoncé le non-renouvellement de centaines de milliers de permis de travail, entre autres aux Haïtiens et aux Salvadoriens. Des gens se faisaient arrêter à la sortie du travail, à la maison… Dans ce contexte, le chemin Roxham était vu comme une planche de salut. [Aujourd’hui], on n’est pas dans la même situation.
Me Stéphane Handfield, avocat spécialisé en immigration
François Devette, qui habite une fermette sur le chemin Roxham, dit n’avoir remarqué que très peu d’activité sur le chemin depuis un an.
« Avant la pandémie, on voyait passer trois ou quatre fourgonnettes par jour », dit-il.
Il note que des infirmières ont récemment été embauchées dans la région pour être affectées au poste de Roxham, peut-être pour effectuer des tests de COVID-19. « C’est un signe qu’ils s’attendent à recevoir plus de monde que ce qu’on a vu depuis un an », dit-il.
Fourgonnettes ou pas, M. Devette note que l’endroit où il élève des chevaux et des moutons est calme. « C’est la campagne, ici. C’est tranquille. Même quand il y avait beaucoup de demandeurs d’asile au bout du chemin, je ne peux pas dire que ça me dérangeait au quotidien. »
Le chemin Roxham contourné
Il faut dire que les demandeurs d’asile n’ont pas totalement cessé de traverser la frontière durant la crise de COVID-19. Au lieu de passer par le poste de la GRC au chemin Roxham, ils passaient ailleurs en Montérégie, possiblement dans le bois, pour entrer au Canada, note Me Handfield.
Ça, on le sait. Les gens ne disent pas par où ils sont passés [pendant que le passage au chemin Roxham était interdit]. Ce qu’on ignore, c’est l’ampleur du phénomène.
Me Stéphane Handfield
Depuis le début de la crise sanitaire, en mars 2020, les autorités fédérales interdisaient aux migrants de franchir la frontière au chemin Roxham. C’est cette interdiction qui est désormais levée.
Dans un communiqué, le ministère fédéral de l’Immigration a noté que « tous les demandeurs d’asile doivent se conformer à des mesures de santé publique strictes, y compris des exigences de quarantaine et de tests ».
Une crise fabriquée
Selon l’entente sur les tiers pays sûrs entre le Canada et les États-Unis, les migrants doivent demander le statut de réfugié dans le premier pays sécuritaire qu’ils atteignent, mais beaucoup ne voulaient pas le faire aux États-Unis. Le Canada accepte de traiter les demandes des gens qui se trouvent déjà sur son territoire. Pour cette raison, les migrants entrent par une voie irrégulière – le chemin Roxham – et demandent aussitôt le statut de réfugié.
Sur place, ils sont arrêtés par la GRC, avant de faire l’objet d’une enquête et d’être conduits par autobus à Montréal. Certains rejoignent de la famille, dorment dans des lieux d’accueil, ou alors poursuivent leur route jusqu’en Ontario, ou au-delà.
Selon Me Stéphane Handfield, tant et aussi longtemps que l’entente sur les tiers pays sûrs sera en vigueur, les demandeurs d’asile continueront de traverser la frontière de façon irrégulière en Montérégie.
« Ils le font pour que leur demande soit jugée recevable, dit-il. En plus, ils ont le droit d’en appeler s’il y a un refus de leur demande, alors qu’ils n’ont pas le droit de le faire avec une demande par voie régulière. Donc, le gouvernement a créé un incitatif. On répète depuis des années au gouvernement de changer ses positions sur l’entente sur les tiers pays sûrs, mais il ne bouge pas, alors c’est ce que ça donne. »
90 %
Proportion des 20 593 migrants entrés de façon irrégulière au Canada en 2017 qui l’avaient fait par le chemin Roxham, en Montérégie
Source : Gendarmerie royale du Canada
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