A la sortie de la deuxième guerre mondiale, les états vainqueurs ont organisé le procès du régime nazi. Les rendus du tribunal deviendront ensuite les bases du droit international, sous l’appellation des « principes de Nuremberg ».
Contrairement à une croyance répandue, le Tribunal n’a pas condamné à mort des dignitaires du régime nazi pour des crimes particuliers, mais pour celui plus large de « crime contre la paix » ou, dit autrement, d’avoir déclenché une guerre non-provoquée. Le principe énoncé était que le crime contre la paix – ou crime d’agression (*) – constituait le crime des crimes, le crime absolu, le crime qui englobe et inclut tous les autres crimes résultant de ce crime originel. Qu’être coupable du crime contre la paix vous rendait coupable de tous les crimes individuels commis dans son sillage.
Un autre principe était que « obéir aux ordres » n’était pas une excuse recevable, qu’il existait un devoir de désobéissance aux ordres criminels.
Enfin, un fait peu connu est que l’éditeur en chef d’un quotidien allemand fut condamné à mort et exécuté pour cause de propagande pro-guerre.
Et seize « juges » membres du ministère de la Justice du Reich (ou des tribunaux populaires et spéciaux) furent poursuivis, et quatre furent condamnés à la prison à vie.
La suite des événements mondiaux démontreront bien sûr l’écart entre ces principes affichés et la réalité sur le terrain. Comme l’a rappelé Noam Chomsky, si les principes de Nuremberg étaient réellement appliqués, tous les présidents des Etats-Unis depuis la Seconde guerre mondiale auraient été pendus. Il n’en demeure pas moins que le droit international, basé sur ces principes, existait et constituait – peu ou prou – le fil du tissu des relations internationales.
On me rétorquera que, principes ou pas, le droit international a été régulièrement piétiné. Certes, comme toute « loi », le droit international est appelé à être violé et se pose dans la foulée la question des mécanismes de maintien de l’ordre international. S’agissant de relations entre Etats plus ou moins puissants, plus ou moins belliqueux, on comprend bien qu’il y a la théorie et la pratique. Surtout lorsque le violeur en chef du droit international prétend tenir le rôle de gendarme du monde. Comme lorsque le chef de la police se révèle être aussi le chef de la mafia.
Mais aussi imparfait qu’il soit, un tel état des choses peut basculer vers encore pire. Vers une situation où le gendarme auto-proclamé ne cache plus son appartenance à la mafia mais l’assume à mots à peine voilés, en lançant quelques clins d’oeil à son entourage. Où les règles du jeu ont discrètement, mais officiellement, changé. Où un fragile « droit » est remplacé par une brutale imposition d’une « pratique coutumière ».
Pratique jusqu’à présent cantonnée et bien rodée principalement autour de leurs embargos économiques unilatéraux, les Etats-Unis tentent désormais d’étendre l’« extra-territorialité » de leurs lois à notre droit de savoir, en enlevant un journaliste Australien, exerçant en Europe.
L’après procès Assange ne sera pas la mort de « la » liberté de la presse. Car « la » presse a accompli pour cette affaire comme pour tant d’autres son œuvre de désinformation, en toute liberté. La mort, car mort il y aura, sera celle d’un certain journalisme, le seul qui compte réellement et le seul qui mérite ce titre.
Le procès de Julian Assange, que les médias s’obstinent, au mieux, à réduire à un fait divers ou, au pire, à ignorer, est présenté par ses défenseurs comme une atteinte à la liberté de la presse. Ce qui est vrai. Mais ce n’est là qu’un des aspects de cette affaire, car ce crime là n’est qu’un « sous-produit » d’un « crime des crimes » plus vaste, contre les principes même de Nuremberg qui prévalaient jusqu’à présent.
De l’irrecevabilité de l’excuse « je ne faisais qu’obéir aux ordres », nous voyons des auteurs de crimes de guerre être décorés pour services rendus.
De la condamnation à mort d’un journaliste pro-guerre, nous sommes passés à la lente mise à mort d’un journaliste anti-guerre.
De la guerre non provoquée, considérée jadis comme le crime des crimes, nous sommes en train d’assister à un procès intenté par les auteurs de « crimes contre la paix » contre celui qui était le plus conséquent, à l’avant-garde, efficace – et donc dangereux – de leurs résistants.
Libérer Assange, c’est non seulement sauver un juste, mais aussi résister à la folie vers laquelle les psychopathes au pouvoir veulent nous entraîner : un retour « officiel » de l’ordre mondial à l’image de leurs esprits malades et criminels.
Viktor Dedaj
(*) Le crime d’agression est défini à l’art. 8bis du Statut de Rome de la Cour Internationale de Justice https://crimeofaggression.info/role-of-the-icc/definition-of-the-crime…
La compétence de la Cour Internationale de Justice sur le crime d’agression est officiellement devenue active le 17 juillet 2018. https://ilg2.org/2018/12/05/the-crime-of-aggression-1-year-later/
EN COMPLEMENT : Echange en DUPLEX avec Nils Melzer (ONU) retransmis en direct du cinéma Espace Saint Michel (Paris)
The trial of Julian Assange : a return to the pre-Nuremberg era.
At the end of the Second World War, the victorious states organized the trial of the Nazi regime. The court’s findings would later become the basis of international law, known as the « Nuremberg Principles ».
Contrary to popular belief, the Tribunal did not sentence Nazi regime officials to death for specific crimes, but for the broader crime of « crimes against peace » or, in other words, starting an unprovoked war. The principle stated was that the crime against peace – or crime of aggression (*) – was the crime of crimes, the absolute crime, the crime that encompasses and includes all other crimes resulting from this original crime. That being guilty of the crime against peace made you guilty of all the individual crimes committed in its wake.
Another principle was that « obeying orders » was not an acceptable excuse, that there was a duty to disobey criminal orders.
Finally, a little known fact is that the editor-in-chief of a German daily newspaper was sentenced to death and executed for pro-war propaganda. And sixteen « judges » who were members of the Reich Ministry of Justice (or the People’s and Special Courts) were prosecuted, and four were sentenced to life imprisonment.
Subsequent world events will of course demonstrate the gap between these stated principles and the reality on the ground. As Noam Chomsky reminded us, if the Nuremberg principles were really applied, all the presidents of the United States since the Second World War would have been hanged. The fact remains that international law, based on these principles, existed and constituted – more or less – the fabric of international relations.
One might retort that, principles or not, international law has been regularly trampled on. Certainly, like any « law », international law is bound to be violated, and the question of the mechanisms for maintaining international order arises in the process. When it comes to relations between more or less powerful, more or less bellicose states, it is clear that there is theory and practice. Especially when the chief violator of international law claims to be the world’s policeman. As when the chief of police turns out to be also the chief of the mafia.
But as imperfect as it may be, such a state of affairs can turn into something even worse. Towards a situation where the self-proclaimed gendarme no longer hides his membership in the mafia but assumes it in thinly veiled words, by throwing a few winks at his entourage. Where the rules of the game have discreetly, but officially, changed. Where a fragile « right » is replaced by a brutal imposition of a « customary practice ».
A practice until now confined and well-honed mainly around its unilateral economic embargoes, the United States is now trying to extend the « extra-territoriality » of its laws to our right to know, by kidnapping an Australian journalist, working in Europe.
The post-Assange trial will not be the death of the freedom of the press. For the press has accomplished its work of disinformation in this case, as in so many others, in complete freedom. The death, because death there will be, will be that of a certain journalism, the only one that really counts and the only one that deserves this title.
The trial of Julian Assange, which the media insist on reducing to a news item at best, or ignoring at worst, is presented by his defenders as an attack on the freedom of the press. Which is true. But this is only one aspect of the case, because this crime is only a « by-product » of a larger « crime of crimes », against the very principles of Nuremberg that have prevailed until now.
From the inadmissibility of the excuse « I was only obeying orders », we see perpetrators of war crimes being decorated for services rendered.
From the death sentence of a pro-war journalist, we have gone to the slow death of an anti-war journalist.
From the unprovoked war, once considered the crime of crimes, we are witnessing a trial by the perpetrators of « crimes against peace » against the most consistent, effective – and therefore dangerous – of their resisters.
To free Assange is not only to save a righteous person, but also to resist the madness towards which the psychopaths in power want to drag us : an « official » tipping of the world order in the image of their sick and criminal minds.
Viktor Dedaj
(*) The crime of aggression is defined in art. 8bis of the Rome Statute of the International Court of Justice https://crimeofaggression.info/role-of-the-icc/definition-of-the-crime…
The International Court of Justice’s jurisdiction over the crime of aggression officially became active on July 17, 2018. https://ilg2.org/2018/12/05/the-crime-of-aggression-1-year-later/
Source: Lire l'article complet de Le Grand Soir