La Russie commence à se résigner à l’idée que la force, et uniquement la force, demeure le seul langage intelligible avec un Empire qui vient de mobiliser tous ses moyens pour une confrontation décisive et finale avec la Chine et la Russie.
“La diplomatie avec un loup qui ne cherche qu’à vous dévorer lui est totalement inintelligible. Le seul langage que puisse comprendre un prédateur est une frappe subite, brève, violente et assez dévastatrice pour qu’il ne puisse plus se ressaisir où se rétablir avant longtemps…”, estime une source russe qui a préféré garder l’anonymat.
Moscou a amassé un peu plus de 90 000 hommes et du matériel de seconde ligne sur son flanc occidental pour parer à une éventuelle surprise en Ukraine ou en Biélorussie. L’agitation des factions les plus bellicistes en Pologne et en Ukraine est désormais encouragée par l’alliance atlantique, laquelle est en train de fournir des armes sophistiquées et de déployer des unités militaires dans ces pays et les Républiques Baltes. L’activité des services spéciaux US et britanniques en Moldavie est suivie par beaucoup d’appréhension à Moscou. D’autant plus que ces points de tension coïncident avec une situation plus qu’explosive dans le Caucase où une reprise d’une guerre entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie au Nagorno Kara-Bagh est demeurera une possibilité persistente pour très longtemps.
L’Empire contre-attaque en Europe orientale avec la réactivation du front de l’Est (pays Baltes, Bélarus, Ukraine, Pologne), la tension en Mer noire, la poudrière du Caucase, au Moyen-Orient où Israël menace l’Iran mais également en Syrie, un État en faillite où les russes sont présents militairement. Ce premier arc n’est pas le seul: un autre arc s’étendant de de la Corne de l’Afrique jusqu’au littoral atlantique de l’Afrique occidentale est actuellement le théâtre d’une confrontation avec la Russie, laquelle y déploie de nouveaux outils d’action géopolitique dans le cadre d’une extension préemptive d’un front qui s’est rapproché dangereusement de son sanctuaire du Valdaï.
La guerre psychologique fait rage. Dans le cyberespace, c’est la curée. Après la guerre des trolls et l’intox, place aux coups fourrés. La France et le Royaume-Uni, qui se livrent une étrange guerre particulièrement atroce au Cameroun en armant et finançant chacun des groupes armés sur une base linguistique (francophones vs anglophones), font front commun contre la nouvelle menace militaire russe asymétrique.
Tel Janus, la Turquie détient dans cette nouvelle confrontation les clés des deux mondes. Ankara livre des drones d’attaque à l’Ukraine et signe avec Kiev des accords de défense. En même temps, le Turc Erdogan et le Russe Poutine se concertent et discutent. Une discussion entre hommes forts n’est jamais commode. La négociation est tenace. Les turcs surveillent les activités chinoises en Afghanistan, au Pakistan, en Iran et même à l’intérieur de son territoire mais en même temps, ils multiplient les accords économiques avec Beijing. La Turquie dote l’Azerbaïdjan, le Maroc et l’Ukraine des redoutables Bayraktar TB-2 qui leur confère une supériorité actuelle écrasante sur leurs adversaires mais en même temps s’oppose à ses alliés de l’OTAN. Surtout sur des points de détail. La dynamique est bien huilée.
La tension en Mer de Chine méridionale est toujours entretenue. Le détroit de Formose est l’enjeu d’une confrontation potentielle entre la Chine et les États-Unis. La contre-offensive diplomatique très aggressive de Taiwan est soutenue par l’ensemble des pays occidentaux. Le jeu des passages de navires et des survols d’aéronefs peut déboucher sur une catastrophe à tout moment. Les vols conjoints de bombardiers stratégiques russes TU-95MS et chinois H-6K entre le Japon et la péninsule coréenne visait à faire une diversion symbolique mais fort loquace en direction de Washington. Pour les Chinois du continent, l’île de Taïwan sur laquelle se sont réfugiés les nationalistes chinois de Chiang-Ai Shek après la fin de la Guerre civile chinoise en 1949 est toujours une partie intégrante de la Chine. Beijing aurait voulu suivre un processus similaire à celui de Macao (Hong Kong demeure un mauvais exemple) pour assurer une réunification en douceur mais la présence de forces militaires US à et autour de Taïwan exclut une telle approche. Pour une partie des insulaires, la crainte du Parti communiste chinois est plus grande que le désir d’un rattachement avec le continent. Sur le plan politique, le jeu politique local n’est pas sans rappeler certains aspects de la politique intérieure nipponne où l’influence US est très lourde à gérer.
Le monde de cette fin d’année 2021 n’a jamais été aussi proche d’un délitement complet. La loi martiale est décrétée partout mais n’est reconnue nulle part. Les lignes entre amis et ennemis s’est estompée. En surface, c’est la guerre de tous contre tous. Les alliances sont toutefois stables. Le Grand jeu s’est fragmenté en une multitudes de jeux à sommes non nulles que le passage à l’acte transformerait en jeu à sommes nulle. C’est l’impasse constamment reportée par l’enthousiasme belliqueux. Au rocher du réel se heurtent et se fracassent les vues de l’esprit. Dans le cas d’un drame et une guerre est toujours à la fois la matrice et la somme de tous les drames, tout passage à l’acte est funeste.
La montée des populismes et la destruction de l’intellect participent à cette volonté de subir continuellement le drame, tel un Sisyphe à l’esprit plongé dans l’oblivion et rageant sous le fardeau sans cesse renouvelé. L’homme n’oublie pas seulement ses erreurs passés mais veut sans cesse les renouveler dans le cadre d’un cycle fermé par l’ignorance à tout jamais. D’où la criminalisation de l’esprit universel, de la sagesse ancienne et de toute science réelle. C’est là un autre débat un peu plus philosophique que la question des nouveaux orbiters hypersoniques chargés d’ogives nucléaires qui menacent notre horizon à tous.
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