Alexia Vidot est journaliste française au magazine chrétien La Vie, responsable du cahier Les Essentiels, qui retrace l’itinéraire spirituel de témoins de la foi. Aussi auteure, elle a publié deux ouvrages sur Maximilien Kolbe et un plus récent livre, Comme des cœurs brûlants, sorti au printemps 2021 aux éditions Artège et Novalis. Elle y partage le récit de sa conversion fulgurante en plus de dresser le portrait rafraichissant de sept contemporains aussi foudroyés par l’amour de Dieu. Qu’est-ce que son expérience comme auteure, journaliste et chrétienne convaincue peut nous apprendre sur la genèse de la relation à Dieu ?
Pourquoi avez-vous écrit un livre sur le sujet de la conversion ?
Tout simplement parce que c’est une expérience que j’ai faite il y a 14 ans maintenant et que je continue à vivre chaque jour. Car la conversion, c’est-à-dire le choc de la rencontre avec Dieu, est le point de départ, et non d’arrivée, d’une aventure humaine et spirituelle jamais achevée. Et c’est de cela, de ce chemin de liberté, que j’ai voulu témoigner dans mon livre. La force du témoignage tient au fait que l’on se place sur le terrain du vécu, du partage d’expérience, et non pas de la morale ou de l’argumentaire. Il me semble nécessaire aujourd’hui de parler sous cet angle de la foi, cette réalité que nos contemporains ont tant de mal à appréhender. D’en parler avec la même simplicité dont fit preuve Bernadette de Lourdes : « Je ne suis pas chargée de vous le faire croire. Je suis chargée de vous le dire. » Les mots seront toujours trop petits pour restituer le mystère d’un Dieu qui fait irruption dans une vie, mais il nous incombe d’annoncer cet Amour dont le monde a soif.
Trouvez-vous des points communs aux récits de conversions que vous recueillez ?
Il y a autant de chemins vers Dieu qu’il y a d’êtres humains, rappelle Benoît XVI. Les sept itinéraires que je retrace dans mon livre sont ainsi absolument uniques. Par exemple, le Japonais Takashi Nagaï, alors étudiant en médecine, athée convaincu car acquis au matérialisme scientiste, commence un chemin de foi quand, dans le regard de sa mère à l’agonie, il a l’intuition de l’existence de l’âme, de l’éternité, de Dieu. Pour la caricaturiste Marcelle Gallois, c’est par la beauté de la liturgie. Quant au rwandais Cyprien Rugamba, il doit sa conversion à la prière et à la fidélité sans faille de son épouse Daphrose.
« Dieu frappe depuis des siècles à la porte de la liberté humaine. S’il n’entre pas, c’est que nous n’avons pas encore entendu sa voix ou que nous refusons de lui ouvrir. Lui continue à frapper discrètement, fidèlement. »
Aucune conversion ne ressemble à une autre, mais chacune s’opère lorsque l’homme se découvre infiniment aimé et aimable, malgré tout. Lorsqu’il prend conscience de l’amour singulier et personnel de Dieu pour lui. « À l’origine du fait d’être chrétien, il n’y a pas une décision éthique ou une grande idée, mais la rencontre avec un évènement, avec une Personne », dit encore Benoît XVI.
Quand j’ai demandé le baptême à l’âge de 20 ans, je n’ai pas signé au bas d’une longue liste de préceptes et d’interdits, de droits et de devoirs. J’ai bien plutôt choisi de m’engager dans une relation sérieuse avec Dieu, l’Amour en Personne qui s’était révélé à moi, personnellement.
Cet article est d’abord paru dans notre numéro spécial automne 2021. Cliquez sur cette bannière pour y accéder en format Web.
Selon vous, quelles sont les conditions pour faire une rencontre avec Dieu ou, à l’inverse, qu’est-ce qui l’en empêche ?
Ici, je vais surtout parler de mon histoire. À 20 ans, j’étais une parfaite enfant de mon siècle, jalouse de ma « liberté » et centrée sur mon petit moi que je voulais émancipé. Je n’étais pas dans une recherche de sens ni de spiritualité, et pourtant, le Seigneur m’a saisie. Dieu est plus fort que tous nos endurcissements.
En revanche, j’avais besoin de silence, de m’extraire de la jungle de notre société hyperconnectée. Je suis donc partie dans un monastère. Et c’est par le silence que le Seigneur est venu, c’est par cette petite brèche qu’il a pu s’engouffrer dans mon cœur.
« Voici je me tiens à la porte et je frappe. Si quelqu’un entend ma voix et m’ouvre la porte, j’entrerai chez lui » (Ap 3,20). Dieu frappe depuis des siècles à la porte de la liberté humaine. S’il n’entre pas, c’est que nous n’avons pas encore entendu sa voix ou que nous refusons de lui ouvrir. Lui continue à frapper discrètement, fidèlement.
De quoi la relation à Dieu nous libère-t-elle profondément, à quoi nous fait-elle naitre ou mourir ?
Elle nous fait mourir à nos idéaux, à nos idoles, à nos idées fausses sur nous-mêmes, sur le monde et sur Dieu. Elle nous libère de tout ce qui nous empêche d’être vraiment nous-mêmes et de retrouver notre vrai visage.
Grégoire de Naziance, théologien du 4e siècle, disait : « Ne restons pas ce que nous sommes, devenons qui nous étions. » Qui nous étions dans le cœur de Dieu, qui nous a créés de toute éternité.
Une conversion passe-t-elle toujours par une médiation ?
Au départ, je pensais que Dieu m’était tombé dessus, comme de nulle part. Puis, j’ai compris que ma conversion avait été le fruit d’un long travail souterrain de la grâce. Mes parents m’ont aimée d’un amour sincère, ils m’ont transmis de belles valeurs, et rien que cela, c’est déjà un terreau favorable à une rencontre avec le Christ.
Dans l’histoire sainte, qui est la nôtre aussi, Dieu utilise toujours des médiations. Au premier rang, pour moi, se tient Marie. Nous sommes tous appelés à être des témoins de l’amour pour les autres. La foi se propage par attraction, par osmose.
Comme des cœurs brûlants a reçu une bonne critique dans la presse généraliste. Est-ce que vous avez fait le pari que les témoignages de foi intéresseraient le monde séculier ?
Ce fut une belle surprise ! La crise du Covid n’y est pas pour rien, me semble-t-il. Nombre de nos contemporains ont fait l’expérience d’un manque, d’une soif, d’un sentiment de perte que rien ne pouvait combler. La réalité ne se limite pas à ce que l’on voit, et notre âme a autant besoin d’être nourrie que notre corps.
Mon espoir, c’est que les non-croyants – mais aussi les chrétiens endormis ou de façade – aient le courage d’une certaine profondeur. Qu’ils n’aient pas peur de descendre dans leur cœur profond pour écouter cette inquiétude métaphysique et religieuse qui sommeille en chacun et que notre société essaie d’étouffer. Dans son essai La France contre les robots, Bernanos accusait la civilisation moderne « d’être une conspiration universelle contre toute espèce de vie intérieure ». Le temps est résolument venu de déjouer cette conspiration en commençant, peut-être, par s’émerveiller comme des enfants devant le mystère de la vie.
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