Refusés dans les hôpitaux, tenus à l’écart des experts de la Santé publique et limités à l’information émanant des points de presse du gouvernement, les journalistes ont dû redoubler d’efforts durant la pandémie pour raconter ce qu’il se passait réellement sur le terrain. Réunis virtuellement pendant leur congrès annuel samedi, les membres de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) ont abondamment partagé leurs expériences et leurs frustrations sur ce difficile accès à l’information.
En mars 2020, c’était « le chaos et la peur », rappelle Aaron Derfel, journaliste au quotidien The Gazette, qui était invité à participer à un panel sur le contrôle de l’image et du message par le gouvernement.
À l’époque, il n’était pas encore question de masque ou de vaccins. On ne savait quasi rien du virus. Un « esprit de solidarité » s’est vite installé, se souvient M. Derfel, et tout le monde — « même des journalistes » — s’est naturellement rangé derrière le premier ministre, François Legault. Après tout, c’est lui qui détenait les informations sur l’évolution de la pandémie et il en rendait compte religieusement dans ses rendez-vous quotidiens de 13 h.
Mais « le but des conférences de presse, c’est de contrôler le message, de limiter les questions », note Aaron Derfel, exprimant son malaise face à ce fonctionnement dès le début de la crise. Car sur le terrain, ses sources — développées grâce à ses 23 années à couvrir la santé — lui rapportaient des histoires d’horreur.
Le journaliste a révélé la crise dans le CHSLD privé Herron à Dorval en mars 2020. Il avait comparé l’endroit à un camp de concentration alors que des résidents ont été retrouvés laissés à eux-mêmes dans un état dégradant et même sans vie pour certains.
« M. Legault se présentait comme le bon père de famille qui rassemble, ça prenait ça en début de crise. Personne ne savait ce qu’il se passait, on avait peur de notre voisin, de notre chien, on lavait notre épicerie. On avait besoin de ce “District 13” tous les jours pour savoir ce qu’il se passait », a répliqué à la table l’ancien attaché pour la Coalition avenir Québec (CAQ) François R. Pouliot, qui était encore dans les coulisses du pouvoir lors de la première vague.
Il ne croit pas que le gouvernement souhaitait cacher des informations à la population, c’était plutôt une question de pouvoir choisir quand les informations seraient dévoilées et de quelle manière.
Celui qui a fait depuis le saut en journalisme estime qu’il y a eu « un avant et un après Aaron Derfeld ». « Vous êtes venus montrer que tout n’était pas sous contrôle finalement », a-t-il lancé à son confrère de The Gazette. Il lui a d’ailleurs confié qu’il y avait « peut-être une part de sensibilité à la critique » chez M. Legault lorsque ce dernier a temporairement bloqué le journaliste sur Twitter suite à ses enfilades de messages décortiquant les informations divulguées.
Les journalistes ont été nombreux après la publication de l’enquête de M. Derfeld à remettre en question des décisions politiques ou le bilan quotidien officiel du nombre de décès liés la COVID-19. Ils ont aussi cherché par tous les moyens à obtenir des images de l’intérieur des établissements de santé, dont l’accès leur était systématiquement refusé par crainte de contagion. Certains se sont improvisés bénévoles dans un CHSLD, d’autres ont demandé à des travailleurs de la santé de porter une caméra sur leur équipement de protection.
Encore fallait-il les convaincre, bien sûr, puisque la « loi du silence » règne dans le réseau de la santé et ce depuis bien avant la pandémie, ont souligné unanimement les intervenants présents.
Accès à l’information
Au-delà de l’omertà qui opère dans plusieurs milieux, c’est la lenteur administrative et « le manque de volonté politique » qui compliquent l’accès à l’information des journalistes.
Ceux qui multiplient les demandes d’accès à l’information ne comptent même plus le nombre de documents lourdement caviardés qu’ils ont reçus. Sans parler des délais qui s’allongent sans cesse, a fait valoir Marie-Christine Trottier, journaliste à la recherche au Bureau d’enquête du Journal de Montréal, qui participait à une discussion sur les failles de la loi qui aura 40 ans en 2022.
À ses côtés, Monique Dumont, journaliste-recherchiste à la retraite, a raconté s’être « amusée » à faire des demandes d’accès à l’information durant la pandémie pour mieux comprendre les décisions de Québec. « Je me suis rendue compte que soit il n’y avait aucune documentation en amont pour expliquer une décision, ou pire encore les décisions n’étaient aucunement justifiées », s’est-elle offusquée.
L’obligation de documenter les principaux éléments d’une décision est d’ailleurs un des « trous » de la loi, selon la présidente de la Commission d’accès à l’information, Diane Poitras. « [Une des choses que] la pandémie a montré, c’est toute l’importance de permettre aux citoyens de comprendre les décisions qui étaient prises et limitaient parfois de façon importante leur liberté. »
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Source : Lire l'article complet par Le Devoir
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