Présidentielles 2022 : Pour une énergie de base gratuite et dénucléarisée ! — Paul Ariès, directeur de l’Observatoire International de la Gratuité

Présidentielles 2022 : Pour une énergie de base gratuite et dénucléarisée ! — Paul Ariès, directeur de l’Observatoire International de la Gratuité

Alors que Jean-Luc Mélenchon visite ma commune (Bron) pour parler de précarité énergétique et que le gouvernement annonce sa volonté de relancer le nucléaire, je reprends quelques propositions de base de l’Observatoire International de la Gratuité pour construire une gratuité de l’énergie élémentaire tout en sortant du nucléaire. Ce texte reprend un chapitre du livre-manifeste Gratuité vs capitalisme paru en 2018

N’est-il pas paradoxal d’envisager la gratuité de l’énergie correspondant aux besoins élémentaires de la population alors que la planète subit les conséquences catastrophiques d’un siècle d’énergie carbonée bon marché et que les ressources conventionnelles de pétrole et de gaz sont en voie d’épuisement ? Le paradoxe n’est qu’apparent car le caractère marchand de l’énergie est incapable de garantir à chacun le minimum d’énergie indispensable pour vivre et conduit, par ailleurs, la planète dans le mur.

Le capitalisme, passé par l’âge du charbon, du pétrole, des énergies non conventionnelles, type gaz de schiste, ne peut digérer les énergies renouvelables, sauf à les adapter à sa propre logique d’abondance marchande et non pas d’économies d’énergie, comme il l’envisage avec les parcs éoliens implantés en pleine mer ou avec les fermes agricoles géantes où ce n’est plus la production alimentaire qui rentabilise mais les déjections animales transformées en énergie !

Développons un autre exemple : la COP 21 traite, avec raison, de la qualité thermique de l’habitat, mais en parlant surtout des constructions nouvelles puisque ce marché s’avère immédiatement solvable, alors que l’effort devrait porter sur le parc ancien soit 90 % des logements, composés largement de « passoires thermiques ! 15 % de ces logements consomment plus de dix fois la norme BBC. 80 % du parc national, soit 24 millions de logements, nécessiteraient une rénovation, notamment ceux construits avant 1975, époque à laquelle aucune réglementation thermique n’existait.

Un tel programme de rénovation thermique ne peut être mené dans le cadre du capitalisme comme le prouvent deux mesures phares montrant l’ingéniosité du système pour faire de l’argent.
Depuis 2006, les entreprises productrices d’énergie sont soumises à une obligation de quotas d’économie d’énergie donnant droit à des « certificats d’économies d’énergie », sauf que ces CEE obligatoires peuvent être non pas mérités mais achetés auprès d’autres entreprises plus volontaristes (selon le mécanisme perfide des droits à polluer).

Autre mesure phare, celle des « bâtiments à énergie positive » qui relèvent parfois d’un banal tour de magie « écologique ». Pour contourner la norme de basse consommation (50 Kwh/m2/an), il suffit de produire et de revendre à EDF davantage d’énergie que le bâtiment n’en consomme, même si la consommation du bâtiment est bien supérieure à la norme. Exemple : consommation de 100, vente de 50 donc 100 – 50 = 50, ce qui donne droit au label écologique malgré la consommation ! La performance thermique n’existe donc que sur le papier, puisque le bâtiment émet bien davantage que la norme.

L’énergie marchande n’est pas produite d’abord pour satisfaire les besoins des humains mais pour la capitalisation des actionnaires. Le système capitaliste a un besoin impérieux que les consommateurs consomment et même qu’ils consomment de plus en plus d’énergie. Le caractère insoutenable du système n’est donc pas de la responsabilité de ceux qui prônent la gratuité mais des marchands. Les experts évoquent, d’ailleurs, de plus en plus le risque de pénurie d’électricité en France, non pas par manque de nucléaire, mais parce qu’on a construit de grosses unités de production centralisées. Conséquence : les pertes d’énergie sont considérables puisqu’on estime que le tiers de l’énergie primaire disponible est gaspillée lors des processus de transformation en énergie finale. Dans ce domaine, comme dans les autres, le caractère marchand de l’énergie est inséparable des choix effectués en matière de science et techniques. Le capitalisme n’a ainsi retenu de la science thermodynamique que ce qui lui correspondait, c’est-à-dire la mise en équivalence de tous les systèmes énergétiques mesurés selon une même unité calorique, alors que les conséquences sociales, écologiques sont dissemblables, comme lui-même met en équivalence les marchandises avec l’argent. Le capitalisme a refoulé, en revanche, ce que cette même science thermodynamique dit du caractère entropique de l’univers, car si la quantité d’énergie reste toujours la même (premier principe), elle n’est plus disponible en raison de sa dispersion (second principe). Le moment semble donc venu de payer la facture entropique.

La gratuité s’avère le plus court chemin pour remplacer l’architecture centralisée des systèmes énergétiques par la production locale d’énergies renouvelables, car elle favorise le choix de la sobriété contre celui des modèles d’abondance promus par l’industrie. La gratuité s’impose d’autant plus que la France n’est pas capable d’adopter, à l’instar d’autres pays, des solutions en demi-teinte, comme la tarification progressive, les systèmes de bonus-malus.

Quel droit à l’énergie ?


La consommation d’énergie a presque doublé dans le monde entre 1973 et 2012, bien que les pays européens aient réduit le gaspillage. Un Européen consomme trois fois moins qu’un Nord-Américain mais cependant trop pour que son mode de vie soit universalisable. La consommation par habitant des pays riches est vingt-cinq fois supérieure à celle de l’Inde ou de l’Afrique. Comment réduire notre dépendance à l’énergie en apprenant à différencier les usages ?

La meilleure solution consiste à aller vers la gratuité de l’énergie correspondant aux besoins élémentaires tout en renchérissant le gaspillage. L’OIG ne propose donc pas de rendre toute l’énergie gratuite, ni même de produire toute l’énergie possible, puisque la survie de l’humanité impose de laisser sous terre une bonne partie du pétrole restant, car son utilisation aggraverait le réchauffement. La gratuité de l’énergie repose sur la notion d’un droit à l’énergie comme on parle de droit à l’eau, à la santé, à l’éducation, etc. La quantité optimale d’énergie dépend, bien sûr, du mode de vie. Il va falloir assurer la transition rapide et douce entre un mode de vie énergivore et un mode de vie beaucoup plus sobre. Certains parlent de bouclier énergétique. J’accepte volontiers ce terme, s’il ne s’agit pas de réduire la gratuité au seul domaine vital. Ce socle doit au moins correspondre à ce que prévoient les tarifs sociaux actuels. Je traiterai du secteur résidentiel qui, avec 42 %, constitue le premier secteur consommateur d’énergie finale, devant les transports et l’industrie J’évoque ailleurs les transports et l’alimentation.

Gratuité et précarité énergétique


La gratuité donne une réponse à la hauteur de la précarité énergétique. Sept millions de Français souffrent du froid chaque hiver mais deux millions seulement sont éligibles aux tarifs sociaux. La facture énergétique pèse 9 % du budget des ménages, dont 4,6 % pour le logement et 3,6 % pour le transport individuel. Les ménages pauvres consacrent 15 % de leur budget à l’énergie et les riches 6 %. Cette part des dépenses énergétiques contraintes est croissante avec une aggravation des inégalités sociales mais aussi géographiques. L’ADEME précise que la facture énergétique d’un Parisien est inférieure de 44 % à celle d’un habitant d’une commune rurale.
Je ne rentrerai pas dans les débats sur la définition de la précarité énergétique et je retiendrai celle donnée par les organismes internationaux et des associations comme la Fondation abbé Pierre, Droit au logement, Jeudi noir ou les Robin des bois. Un ménage est en précarité énergétique lorsqu’il consacre plus de 10 % de son revenu à sa facture de chauffage et d’éclairage. Cinq millions de ménages se trouvent en France dans cette situation, en incluant ceux juste en dessous du seuil parce qu’ils se privent de chauffage. Selon l’Observatoire national de la précarité énergétique (ONPE), ces cinq millions de ménages représentent 12 millions de personnes : 87 % sont dans le parc privé, 62 % sont propriétaires occupants et 9O% de ces propriétaires, souvent âgés, habitent une zone rurale. 70 % d’entre eux appartiennent au premier décile du niveau de vie. Ces cinq millions de ménages peuvent être décomposés en deux groupes : 3,8 millions ne peuvent pas payer les factures de chauffage et 3,5 millions sont dans l’impossibilité de chasser la sensation de froid, même en se chauffant compte tenu du type de logement. Ceux qui ne peuvent payer sont d’abord des familles propriétaires, des personnes âgées ; ceux qui souffrent du froid même en se chauffant sont plutôt des jeunes, des locataires, vivants en logement collectif.

Les causes de la précarité énergétique sont bien connues : la faiblesse des revenus que renforce l’érosion du pouvoir d’achat, le coût croissant de l’énergie qui devrait se poursuivre en raison de sa raréfaction et la mauvaise qualité thermique des habitats français, puisque les trois quart des logements se situent dans les classes D, E, F ou G, soit des consommations de plus de 150 kWh par m2 et par an. J’ajouterai les mauvais comportements induits par des modèles de vie ancrés dans une tradition énergivore voulue par le système.

Patrick Doutreligne, Délégué général de la Fondation Abbé Pierre, souligne que la part du budget consacrée à l’énergie (en intégrant la mobilité) a doublé en un quart de siècle, passant de 24 à 48 % pour les familles modestes et de 20 à 32 % pour les classes moyennes supérieures d’où un creusement des inégalités. Cette fracture énergétique s’ajoute donc à la traditionnelle fracture sociale. Les chercheurs ont établi les impacts de la précarité énergétique au niveau de la santé physique, psychique et sociale des individus. Les personnes tombent malades, souffrent de troubles mentaux et s’isolent. De nombreux spécialistes considèrent que ce seuil de 10 % correspond à une situation de précarité avancée et qu’il conviendrait donc davantage de retenir une approche beaucoup plus qualitative, en termes de besoins énergétiques non satisfaits.

La gratuité face à l’échec des tarifs sociaux

La gratuité de l’énergie prend acte de l’échec des tarifs sociaux, peu lisibles, peu protecteurs et non conçus pour favoriser la transition, même lorsque le système s’avère plus généreux qu’en France. La Grande-Bretagne est l’un des pays les plus efficaces du monde en matière de lutte contre la précarité énergétique : le Cold Weather Payment est versé selon le niveau de revenu si la température descend en dessous de 0 degré C pendant 7 jours consécutifs ; le Winter Fuel Payment est également donné à toute personne ayant l’âge de la retraite (quel que soit le niveau de son revenu). Le budget nécessaire est estimé à environ trois milliards d’euros. L’Allemagne est également plus généreuse que la France avec une aide forfaitaire d’environ 52 euros par mois et par ménage directement intégrée au revenu minimum via une aide sociale. Le budget est également d’environ trois milliards d’euros.

La France a fait le choix d’un maquis d’aides totalement impénétrables pour le commun des mortels : Tarif de première nécessite pour l’électricité (TPN), Tarif spécial de solidarité pour le gaz (TSS), Forfait de charges lié aux allocations logement (ALAPL), Fonds de solidarité logement, aides extralégales accordées par les CCAS, etc. Ces dispositifs non coordonnés ne prennent pas en compte certains types d’énergies, comme le bois, le charbon, le propane, le fioul, pourtant très utilisés par les milieux populaires ruraux. La France a réformé son dispositif d’aides, en 2012, car le système déclaratif faisait qu’une personne sur deux qui aurait eu droit à l’aide pour l’électricité ne la demandait pas et une sur trois pour le gaz. Le nouveau dispositif automatique est un forfait non indexé sur le tarif de l’énergie alors que les factures ont bondi ces dernières années. La forfaitisation a donc été un cadeau empoisonné, car si les ayants-droits touchent désormais mieux leurs droits ils ne perçoivent pas grand-chose, l’aide varie de 71 à 140 euros par an en fonction du nombre d’occupants et de la puissance du compteur pour l’électricité, alors qu’elle était de 40 à 60 % par rapport au tarif réglementé mais plafonnée à 1200 kWh par an pour un logement, soit un volume très inférieur à la consommation réelle des foyers. Ceux qui se chauffaient au gaz bénéficiaient seuls des deux aides. L’aide, d’environ 100 euros pour une facture moyenne de 1700 euros, ne dépassait donc pas 6 % de la facture des plus pauvres. Les coûts de gestion du dispositif étaient évalués à 5 % du total des aides, soit 17 millions payés intégralement par les autres consommateurs, y compris le million de foyers qui auraient dû bénéficier du dispositif, mais ne le percevaient toujours pas et ceux situés juste au-dessus. Dès janvier 2018, un nouveau dispositif verra le jour sous le nom de Chèque énergie qui remplacera le TPN (électricité) et le TSS (gaz). Ce dispositif, valable pour tout type d’énergie et pour financer des travaux de rénovation énergétique (ce qui est très bien), pénalisera environ 1,3 millions de pauvres qui perdront en moyenne 70 euros par an. Le chèque énergie sera compris entre 48 et 227 euros alors que le TPN allait de 71 à 140 euros et le TSS de 23 à 185 euros… tandis que le tarif du kWh a augmenté de 40 % entre 2003 et 2016. La France ne concède finalement que 300 à 400 millions d’euros par an à ces aides soit le dixième de l’Angleterre et de l’Allemagne. Ces aides sont financées par les consommateurs, eux-mêmes, au titre de la Contribution au service public de l’électricité (CSPE) dont le taux plein représente 20 à 25 % de la facture (5 % va aux aides sociales). Cette Contribution a augmenté de 650 % depuis sa création en 2012. Le montant de la CSPE est plafonné pour les gros consommateurs notamment les entreprises alors que tous les petits paient…

Gratuité et tarification progressive


La gratuité du bouclier énergétique constitue une rupture avec le système de tarification marginaliste actuellement en vigueur, puisque ce dernier est dégressif, ce qui signifie qu’un gros consommateur paie beaucoup moins cher son énergie qu’un plus petit. Cette tarification dégressive, héritée des années 70 quand consommer toujours plus d’énergie était synonyme de progrès, équivaut, en raison du poids des abonnements dans la facture des consommateurs, à faire payer l’énergie des gros par les petits. L’alternative au système de tarification dégressive est donc la tarification progressive qui repose sur une idée simple : faire payer plus cher le prix du kWh d’électricité et/ou de gaz aux gros consommateurs qu’aux petits, afin de décourager les grosses consommations et d’orienter les investissements vers l’isolation. Les gros consommateurs subventionneraient ainsi la dépense énergétique des petits et seraient incités à changer leurs habitudes. Plusieurs pays, depuis le milieu des années 1970, pratiquent des tarifs progressifs, mais sans remettre en cause les fondements du système marchand et donc échouent à réussir la transition.

La gratuité de l’énergie élémentaire n’ajoute pas seulement une tranche gratuite aux tranches payantes existantes, car elle modifie la conception même du dispositif, puisqu’il ne s’agit pas tant de permettre aux pauvres d’avoir leur part au banquet énergivore que de faire de la gratuité un instrument pour changer le système actuel. L’instauration du système de gratuité couplé à des tranches tarifaires progressives, peut, cependant, s’inspirer des dispositifs existants. Ainsi la Californie développe depuis 1975 un dispositif, devenu avec le temps plus progressif, concernant l’électricité et le gaz. Le volume de base ou « baseline », égal à 50 ou 70 % de la consommation résidentielle moyenne, est modulé selon la zone climatique, selon la saison, selon la source d’énergie utilisée et selon l’utilisation éventuelle d’équipements médicaux… Il existe quatre à cinq tranches pour l’électricité et deux pour le gaz. Le prix du kWh varie de un à trois ou quatre entre la première tranche et la dernière.

La France échoue, depuis des années, à créer un tel dispositif. La gauche socialiste et écologique avait déjà tenté, en 2011, de faire adopter le principe d’une tarification progressive, via le vote d’un amendement, mais la droite s’y était opposée en évoquant le problème des résidences secondaires et en contestant l’idée que les plus gros consommateurs seraient nécessairement les plus aisés. Toutes les études prouvent qu’existe pourtant une corrélation positive entre la consommation énergétique et le niveau de vie et il serait aisé de mettre en place une autre tarification pour les résidences secondaires.

La gauche socialiste et écologique, devenue majoritaire en 2012, a tenté de faire adopter une loi dans ce sens, conformément à la promesse N° 42 de François Hollande et à l’accord conclu avec EELV. Cette proposition employait les termes de bonus et de malus, car le dispositif ne passait pas par une manipulation des tarifs réglementés mais par l’ajout d’une ligne sur la facture, en plus ou en moins. L’idée était d’étendre progressivement le champ d’application de cette loi à d’autres énergies, dites hors réseaux, comme le fioul domestique, le GPL, le bois de chauffage. Les sénateurs de droite, centristes et communistes votèrent contre cette tarification progressive mais la loi fut adoptée par l’Assemblée dans la nuit du 11 au 12 mars 2013. Mais le Conseil constitutionnel a finalement censuré ce texte, car seules les consommations domestiques (et non industrielles) étaient concernées, ce qui était « injuste » et « illogique ». Les juges constitutionnels ont, également, considéré qu’appliquer cette loi aux logements dotés d’un chauffage collectif, ne pouvant être réglé individuellement, instaurerait une inégalité entre les citoyens. La gratuité, couplée à un système de tarification progressive, pourrait, cependant, s’inspirer des grandes lignes de ce projet retoqué, en l’étendant aux entreprises et en trouvant des aménagements pour les logements collectifs non équipés de compteurs individuels. Faut-il obliger, par exemple, les immeubles à se doter de sous-compteurs permettant ainsi d’évaluer la consommation de chaque logement ? Nous pouvons retenir la prise en compte de grandes zones climatiques excluant un calcul commune par commune. Cette mesure garantit que le bon usage ne soit pas défini de façon abstraite par un volume de consommation mais par une température garantie. Peut-être faudrait-il, en revanche, prendre en compte le nombre des occupants et l’âge des membres du foyer (une personne âgée, toujours dans son logement, consomme naturellement davantage) ? Le principe serait de transformer la tranche basse en tranche gratuite mais en majorant beaucoup plus fortement les tranches suivantes. Les coefficients, servant à calculer les bonus et malus, qui étaient compris entre 0,8 et 1,5, devraient être revus à la hausse, car le tarif le plus bas aurait été seulement de 3 à 10 % moins cher que les tarifs actuels et les personnes passant au-dessus du tarif de base auraient obtenu un malus seulement de quelques dizaines d’euros. Bien sûr, il faudrait conserver l’idée de créer un véritable Service public de la performance énergétique de l’habitat afin d’assister locataires et propriétaires dans leurs démarches de réduction de consommation. Ils seraient systématiquement contactés et se verraient proposer des conseils gratuits et, au besoin, des aides pour améliorer leur logement ou modifier leurs comportements énergivores. Les locataires, non responsables de la mauvaise qualité de l’isolation de leur logement ni de la mauvaise qualité thermique du chauffage, pourraient déduire une partie du malus de leur loyer, afin d’inciter les propriétaires à réaliser les travaux nécessaires.
Cette tarification progressive, toujours considérée comme impossible en France, est, pourtant, pratiquée dans 90 pays dans le monde.

Concernant la progressivité des tarifs, les expériences internationales prouvent que l’efficacité du système dépend du volontarisme. Ainsi en Corée du Sud, six tranches existent avec une progressivité très forte puisque la dernière tranche est 11 fois supérieure à la première.

Concernant le volume de la tranche gratuite, la situation californienne est intéressante car elle montre que 50 % de la population se concentre dans la zone basse ce qui signifie que le nombre de gros consommateurs se trouve en fait assez réduit.

J’ajouterai que la gratuité de la première tranche doit porter aussi sur celle de l’abonnement, sinon le rapport entre le montant de la facture et le nombre de kWh consommés serait plus élevé pour un petit consommateur que pour un gros. Il serait sage, d’ailleurs, de limiter la puissance des compteurs en s’inspirant de l’Italie où il ne dépasse pas généralement 3 kVh. Des études estiment la baisse de consommation à 6 % immédiatement (en raison des changements de comportements), et, à presque, 20 % à long terme (en raison des investissements : isolation des logements et appareils plus efficaces).

Gratuité et efficacité économique


La gratuité du bouclier énergétique s’avère bonne sur le plan économique, car en allant de pair avec la réduction globale des consommations, elle réduit le besoin en investissement dans les capacités de production d’électricité et diminue, également, la facture des importations de gaz naturel et de pétrole. Les chiffres réels de la facture énergétique sont certes incertains mais colossaux. La facture énergétique officielle est de 40 milliards d’euros, montant divisé presque par deux en raison de la chute des cours du pétrole. Ce montant n’intègre pas, cependant, le vrai coût du nucléaire, estimé par la Cour des comptes à 228 milliards d’euros depuis les années cinquante. Le nucléaire coûte immensément cher. Ce calcul ne tient pas compte, également, des frais de transport et de distribution, or le seul coût de la production ne représente, selon les experts, que 40 % du coût final. On estime donc que le nucléaire coûtera bientôt (compte tenu de l’explosion des coûts de maintenance et du surcoût de l’EPR) 120 euros le mégawatt/heure contre, par exemple, 80 à 90 pour l’éolien terrestre.

L’association NégaWatt retient l’hypothèse d’une facture énergétique de 110 milliards d’euros par an jusqu’en 2025 que ce soit pour le scénario « tendance » ou même pour le scénario NégaWatt en raison des investissements nécessaires à la transition. La facture du scénario NégaWatt diminuerait ensuite progressivement, jusqu’à atteindre 80 milliards d’euros, ce qui représenterait une économie globale de 370 milliards d’ici 2050. Le choix des ENR aurait, par ailleurs, un effet très positif sur l’emploi, grâce à la création nette de 100000 postes à plein temps d’ici 2020, 400000 d’ici 2030 et 500000 d’ici 2050.
Autre avantage économique : la régie apporte une autonomie garantissant d’utiliser les bénéfices au profit de la commune. Elle permet une reprise en main des réseaux, face au quasi monopole d’EDF sur la distribution d’électricité qui empêche les collectivités d’exercer leur contrôle sur les sommes prélevées, par exemple, au titre de l’entretien des réseaux ruraux. La Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR) estime à 11 milliards d’euros les provisions qui auraient dû être utilisées par ERDF pour moderniser le réseau mais qui sont restés au chaud dans la maison maire pour la seule période 1995-2005. La FNCCR est, également, très critique face à la mise en place des compteurs communicants, type Linki, car ils marquent le transfert de propriété à ERDF des compteurs et des systèmes de comptage, alors que les collectivités étaient jusqu’alors juridiquement propriétaires des ouvrages, des réseaux de distribution et des compteurs.

Gratuité et relocalisation énergétique


Le choix d’un modèle marchand ou gratuit n’est jamais neutre au regard de la conception du système de production énergétique. Le capitalisme a abouti à la création d’un système centralisé, caractérisé par l’éloignement des lieux de production et de transformation des zones de consommation d’où les gaspillages liées à la logique des profits. Le choix de la gratuité va de pair avec celui de confier la production d’énergie aux collectivités locales afin de la décentraliser. La gratuité repose donc sur la montée en puissance des territoires de projets, considérés comme les acteurs principaux des énergies renouvelables, de l’efficacité et de la sobriété énergétiques.
Les collectivités locales ont, d’ailleurs, longtemps été le principal acteur historique en matière d’énergie, avant les phénomènes de centralisation et concentration au profit d’EDF et de GDF. Les communaux au moyen-âge assuraient les besoins en chauffage de la population, puis, ce fut, du 19e siècle au milieu du 20e siècle, l’âge d’or des politiques énergétiques locales de gaz et d’électricité. Le système de concession à des entreprises privées ne fut qu’une parenthèse au 18e siècle (l’éclairage de Paris est concédé en 1769), avant le grand retour des régies afin d’assurer un meilleur contrôle. La loi du 15 juin 1906 fait d’ailleurs de l’accès à l’électricité et au gaz un Service public dont les collectivités locales sont responsables. Le département ne devenant compétent qu’en 1930 mais toujours aux côtés des communes, des syndicats de communes et de l’Etat. Une série de décrets instaurent, dès 1906, des Cahiers des charges, afin de contrôler les politiques énergétiques des collectivités territoriales. Un décret de 1917 réglemente l’essor des régies communales, au nombre de 7000 dès 1923 (soit 20 % des communes françaises). L’électrification des campagnes, devenue priorité nationale, est d’abord assurée, depuis 1923, grâce aux concours financiers de l’Etat, puis, par la création, en 1936, du Fonds d’amortissement des charges d’électrification (FACE) qui fait contribuer les collectivités locales. La Loi du 8 avril 1946, nationalisant l’énergie, confirme le rôle central des collectivités territoriales mais substitue de nouveaux établissements publics nationaux aux différentes entreprises privées et locales : ce sera EDF pour électricité et GDF pour le gaz. Les collectivités se voient ainsi imposées un concessionnaire unique. L’Etat renforce même encore son contrôle en imposant des Cahiers des charges type, en 1960 pour l’électricité et en 1961 pour le gaz. La loi de décentralisation 1982 met fin à ces cahiers obligatoires, mais EDF et la FNCCR élaborent, en 1992, un nouveau cahier type. A la fin des années 1990, la Libéralisation du secteur de l’énergie est actée, avec l’ouverture systématique du marché à la concurrence.

La gratuité fait donc le choix d’un retour aux régies municipales d’énergie électrique (RMEE) alors qu’il n’en reste plus que 170. Ces Entreprises locales de distribution (ELD) productrices et distributrices d’énergie couvrent 5 % du territoire, 5 % des clients et 5 % de l’énergie. La principale ELD en France, Sorégies (dans la Vienne), fondée en 1925, couvre les besoins de 134000 consommateurs. Ce choix est celui de l’économie sur le plan comptable, puisqu’une facture d’électricité comprend un petit tiers pour la fourniture, un gros tiers pour l’acheminement et un tiers de taxes. Les RMEE gagnent sur l’acheminement et sur la fiscalité, puisqu’elles sont exonérées de la taxe communale de distribution de l’électricité (qui compose environ 8 % d’une facture). Les RMEE sont aussi souvent fournisseuses d’énergie ce qui apporte des recettes. Ce choix est aussi celui de solutions technologiques douces, comme la construction d’éoliennes, afin de viser à l’indépendance énergétique comme, par exemple, dans la commune de Montdidier en Picardie. Cette commune, en optant pour une production « verte » locale, a gagné sur tous les tableaux, car la chaufferie alimentée à 80 % par du bois local a permis de réaliser une économie de 18 % sur la facture du centre hospitaliser et des établissements scolaires. Dans d’autres communes, ce choix est celui de l’enfouissement des lignes électriques pour lutter contre la pollution visuelle.

Gratuité et efficacité écologique


La gratuité du bouclier énergétique satisfait une visée écologique, car en rendant plus chers les derniers kWh consommés, elle incite à réduire les consommations en récompensant les économies. Il s’agit donc bien d’utiliser ce mécanisme économique incitatif pour combattre toutes les formes de gaspillage.

La gratuité oppose donc au scénario du développement par l’abondance énergétique, promu par le Conseil mondial de l’énergie, un autre scénario fondé sur l’efficacité et la sobriété énergétiques. Ce scénario est d’autant plus crédible que la consommation d’énergie diminue, depuis quelques années, dans l’ensemble des pays de l’OCDE, au-delà de l’impact de la crise et des délocalisations. Cette bonne nouvelle a permis, en 2017, à l’association NégaWatt de revoir à la hausse ses prévisions de réduction de consommation. Un nouveau scénario pour la période 2017-2050 a donc été travaillé (après ceux des années 2003, 2006 et 2011), avec pour objectif la réduction de moitié de la consommation d’énergie finale et de 63 % de l’énergie primaire, grâce au développement conjoint de la sobriété, de l’efficacité énergétique et des énergies renouvelables. J’insiste sur le fait que cet objectif est visé à qualité de vie inchangée. Le concept de NégaWatt, inventé par le grand spécialiste Nord-Américain Amory B. Lovins (prix Nobel alternatif en 1983) se fonde sur la réduction à la source des besoins en énergie, par la sobriété. Il appelle à ne plus laisser les entreprises du secteur imposer les normes, mais à étudier en détail les besoins en énergie, en partant des différents types d’usages, tant individuels que collectifs. Le principe est de consommer mieux au lieu de produire plus, en se défaisant de la dépendance aux énergies fossiles et fissiles. Les NégaWatts sont donc de l’énergie non consommée, grâce à un usage plus sobre, plus efficace et aussi aux énergies renouvelables (ENR). Le nouveau scénario NégaWatt retient l’hypothèse d’un passage à 100 % d’ENR dès 2050, grâce à la biomasse, à l’éolien et au photovoltaïque. Le pétrole ne serait plus utilisé que pour des usages non énergétiques et la dernière centrale nucléaire fermerait en 2035. Ce scénario n’est possible qu’en utilisant les ressources locales diversifiées, en maîtrisant mieux le nombre, le dimensionnement et l’usage des nombreux appareils et des équipements. Il repose sur la primauté du gaz/électricité (non conventionnelle), en stockant les excédants d’électricité (locale et non fissile), sous forme de méthane de synthèse (selon la technologie power-to-gas).

Le grand Service public de la performance énergétique de l’habitat, déjà évoqué, serait chargé d’opérer des diagnostics gratuits, par caméra thermique pour donner des conseils gratuits sur les techniques et les tarifs des travaux (qui pourraient être aidés), il devrait, également, informer sur le choix d’équipements peu gourmands en énergie fossile (au moyen, par exemple, d’un label). L’Etat devrait, enfin, se doter des moyens juridiques, techniques et humains, afin de réduire ses propres consommations, par exemple, via des actions sur l’éclairage public (215 % d’économie en moyenne), mais, aussi, via la recherche d’une meilleure efficacité énergétique, dans l’ensemble des fonctions publiques et tout le service public.
La gratuité de l’énergie élémentaire s’avère donc la stratégie gagnante pour sortir, au plus vite, de l’énergie carbonée, en misant sur les ENR en fonction des meilleures sources locales : éolien, solaire, biomasse, géothermie, biogaz, valorisation énergétique des déchets, etc. Je prends le pari qu’il sera ainsi possible de rattraper très vite le retard de la France par rapport à l’Europe du Nord, y compris en matière de réseaux de chaleur (une cinquantaine seulement en France), alors qu’ils vendent l’énergie 20 % moins chère et contribuent largement à combattre les gaspillages.

Paul ARIES

Pour aller (bien) plus loin : Paul Ariès, Gratuité vs capitalisme ! (Larousse, 2018 )

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Source: Lire l'article complet de Le Grand Soir

À propos de l'auteur Le Grand Soir

« Journal Militant d'Information Alternative » « Informer n'est pas une liberté pour la presse mais un devoir »C'est quoi, Le Grand Soir ? Bonne question. Un journal qui ne croit plus aux "médias de masse"... Un journal radicalement opposé au "Clash des civilisations", c'est certain. Anti-impérialiste, c'est sûr. Anticapitaliste, ça va de soi. Un journal qui ne court pas après l'actualité immédiate (ça fatigue de courir et pour quel résultat à la fin ?) Un journal qui croit au sens des mots "solidarité" et "internationalisme". Un journal qui accorde la priorité et le bénéfice du doute à ceux qui sont en "situation de résistance". Un journal qui se méfie du gauchisme (cet art de tirer contre son camp). Donc un journal qui se méfie des critiques faciles à distance. Un journal radical, mais pas extrémiste. Un journal qui essaie de donner à lire et à réfléchir (à vous de juger). Un journal animé par des militants qui ne se prennent pas trop au sérieux mais qui prennent leur combat très au sérieux.

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