Le haut fonctionnaire responsable de l’équipement et de l’approvisionnement au plus fort de la crise de la COVID-19 n’avait jamais vu le plan québécois de lutte contre une pandémie et n’avait en effet jamais appliqué les stratégies qu’il contient.
Luc Desbiens, sous-ministre adjoint infrastructure, logistique, équipement et approvisionnement, a admis mardi que ses équipes n’avaient pas dressé de liste formelle des produits essentiels ni établi d’ententes avec des fournisseurs. D’ailleurs, le Québec ne disposait d’aucune réserve nationale de matériel utile durant une épidémie lorsque la première vague a frappé, a-t-il reconnu durant l’enquête publique sur les décès survenus dans les CHSLD au printemps 2020.
Pourtant, ces stratégies étaient inscrites au Plan québécois de lutte à une pandémie d’influenza, conçu en 2006 et bonifié d’une annexe sur la COVID-19 en janvier 2020.
Au plus fort de la crise, les équipes de M. Desbiens n’étaient pas en mesure de connaître, avec précision, l’état des stocks de matériel de protection. « À un moment donné, aux approvisionnements, on est allés acheter tout ce qu’on était capables [d’acheter] », a-t-il expliqué. « La consommation montait tellement rapidement que c’était difficile à suivre », a-t-il aussi déclaré. « On donnait tout ce qu’on pouvait aux établissements. »
Les choses ont changé depuis. « Désormais, on est capables de savoir en temps réel, par un simple clic, quelles quantités les établissements ont en [stock], en magasin », a-t-il affirmé.
Le sous-ministre adjoint a aussi déclaré qu’il n’y avait jamais eu de pénurie de masques chirurgicaux. Pourtant, « les gens se sont retrouvés sans équipement de protection », lui a fait remarquer la coroner Géhane Kamel, qui mène l’enquête publique.
« C’est sûr que, moi, je ne suis pas sur le terrain. Mais quand un établissement nous interpellait, [on agissait]. On a récupéré à peu près 100 000 masques N95 dans plusieurs établissements pour les replacer dans d’autres établissements », a assuré M. Desbiens. Il a d’ailleurs salué l’« entraide » entre les établissements.
Un « fossé » entre Québec et le terrain
En matinée, la coroner Kamel a déclaré que la crise de la COVID-19 dans les CHSLD a mis en évidence le grand « fossé » qui sépare le ministère de la Santé et le terrain.
« Arrêtez avec les documents », a-t-elle demandé à la sous-ministre adjointe de la direction générale des aînés et des proches aidants, Natalie Rosebush. « Je les ai lus. Ils sont super bien faits. Jamais je ne vais remettre ça en question. Mais la réalité terrain ? […] Qu’est-ce qu’on a fait pour planifier ce raz-de-marée-là qui est entré dans les CHSLD ? » a-t-elle demandé.
Devant elle, la sous-ministre adjointe a souligné que les enjeux de ressources humaines étaient « déjà une préoccupation avant la pandémie ». Elle a évoqué une « guerre mondiale » pour l’accès aux équipements de protection, souligné l’importance du dépistage et détaillé le contenu d’un guide de préparation préparé par le ministère à l’intention des établissements.
« Le guide de préparation en CHSLD, […] effectivement, tout y est prévu, a répondu Me Kamel. Sauf que les gens « n’arrivaient pas à avoir des contacts avec des fournisseurs » pour obtenir du matériel, a-t-elle ajouté. « C’est prévu dans le plan, il faut qu’ils se préparent, mais ils n’ont même pas la capacité de le faire », a-t-elle indiqué.
Mme Rosebush a aussi rappelé qu’un comité d’experts sur les aînés avait été formé le 11 avril 2020. Mais au 31 mars, il y avait déjà 400 éclosions en CHSLD, a souligné le Dr Jacques Ramsay, qui assiste la coroner dans son enquête. « C’est le timing des affaires. […] Les bonnes choses ont été faites, mais est-ce que ça a été fait au bon moment ? » a-t-il demandé. En guise de réponse, la sous-ministre adjointe a déclaré que des travaux à ce sujet avaient été entrepris « fin février, début mars ».
« Gestion des risques »
L’avocat Patrick Martin-Ménard a quant à lui tenté de savoir si Mme Rosebush avait été informée des conditions de vie catastrophiques qui prévalaient dans certains CHSLD. « S’est-on questionné sur l’impact combiné de l’absence des proches aidants et du manque de personnel ? » a-t-il demandé. « Avez-vous entendu parler de résidents qui n’ont pas reçu les soins de base ? » a-t-il aussi ajouté.
La haute fonctionnaire a expliqué que la prise de décisions, en pleine pandémie, relevait de la « gestion des risques ». Elle a aussi dit avoir été informée du fait qu’il « manquait du personnel et que le personnel courait ».
« La question est simple : est-ce que vous le saviez ou vous ne le saviez pas ? » a alors demandé Me Kamel. [Saviez-vous] qu’il manquait tellement de personnel qu’il y a des gens qui n’ont pas été hydratés correctement ou n’ont pas reçu leurs soins d’hygiène ? » a-t-elle ajouté. « La préoccupation, a répondu Mme Rosebush, était vraiment le manque de personnel. Je n’ai pas souvenir de conversations [où on m’a dit] : je ne suis pas capable de les nourrir. »
À la toute fin du témoignage de Mme Rosebush, la coroner l’a remerciée pour son travail. « Vous êtes à la bonne place. […] Vous connaissez votre travail », a-t-elle souligné. « Je reste sur mon appétit », a-t-elle néanmoins ajouté. « Plus on avance vers la ligne d’arrivée de cette enquête-là, plus je me rends compte que les orientations données par le ministère, on ne peut pas dire que ce n’était pas clair. Mais entre le ministère et ce [qui se rendait au] terrain, le fossé est grand », s’est-elle désolée.
Des rapports d’inspection introuvables
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