par Dr Nabil Antaki.
Les Alepins n’oublieront jamais les années 2012 à 2016 quand la guerre sévissait à Alep.
Ils se souviennent très bien des bombes et des bonbonnes de gaz remplies d’explosifs et de clous lancées, par les groupes armés rebelles installés à Alep Est, sur leurs quartiers faisant, quotidiennement, de nombreuses victimes civiles.
Ils se souviennent des heures passées dans l’anxiété et la peur attendant le retour à la maison de leurs proches.
Ils se souviennent des souffrances endurées, du froid en hiver faute de fioul pour se chauffer et des soirées passées, pendant des années, dans l’obscurité faute d’électricité (les centrales électriques étant entre les mains des terroristes).
Ils ne peuvent pas oublier les années où ils étaient privés d’eau courante (les terroristes ayant arrêté l’alimentation en eau de toute une ville) et les heures à attendre leur tour, devant les puits creusés à la hâte n’importe où en ville, pour remplir leurs bidons d’eau.
Ils se souviendront toujours des blocus à répétition de la ville quand personne ne pouvait entrer ou sortir, isolant Alep et ses habitants et causant des pénuries de tout ce qui est essentiel.
Ils iront aujourd’hui le 2 novembre dans les cimetières prier sur les tombeaux de leurs parents, leurs proches et leurs amis tués pendant les années de guerre.
Ils vivent toujours dans la nostalgie des jours heureux où tous les membres de leurs familles vivaient à Alep avant qu’ils ne soient maintenant dispersés dans tous les pays du monde.
Malgré toutes ces souffrances des dernières années, les Alepins répètent maintenant en chœur « nous vivions mieux pendant les années de guerre que maintenant », « nous regrettons le temps des bombes qui était plus supportable que la pauvreté que nous subissons maintenant ». En effet, c’est la bombe de la pauvreté qui a explosé maintenant en Syrie laissant 80% de la population vivre en-dessous du seuil de pauvreté et 60% vivre en insécurité alimentaire.
Maintenant que les combats ont presque cessé depuis environ deux années et que la situation militaire est gelée, c’est la situation économique qui est catastrophique.
Les prix des produits essentiels ont augmenté d’une façon vertigineuse entraînant une augmentation du coût des loyers et du coût de la vie. La pénurie s’est installée durablement avec un rationnement de l’essence, du pain, du sucre, du riz…Les salaires, par contre, n’ont pas été réajustés proportionnellement causant une pauvreté accrue. La majorité des familles n’arrivent plus à boucler leur fin de mois et comptent sur les aides alimentaires, médicales et monétaires des ONG pour survivre.
Cette situation est le résultat de plusieurs causes dont la destruction de l’infrastructure du pays et les ravages de la guerre, la crise financière du Liban où beaucoup de syriens ont perdu leur capital pour investir et leurs économies pour leur retraite mais aussi des sanctions iniques imposées par les pays Européens et les États-Unis qui bloquent les transactions financières, empêchent l’importation et interdisent les investissements en Syrie. De plus, la pandémie du Covid19 a aggravé la situation par les décès qu’elle a causés et les mesures préventives qui ont ralenti une activité économique déjà moribonde.
Beaucoup de nos compatriotes nous disent regretter leur décision de rester au pays quand l’émigration était facile et beaucoup rêvent de s’établir ailleurs. Rien qu’en août de cette année, dix-sept mille jeunes Alépins ont quitté le pays pour s’établir et travailler ailleurs, surtout en Égypte. Nous subissons de plein fouet le départ de ce qui est resté comme main d’œuvre qualifiée et d’artisans. Les petites entreprises qui prennent le risque d’ouvrir ne trouvent plus les ouvriers qualifiés pour faire tourner leurs machines ; et ce sont les autres pays qui profitent de nos médecins, ingénieurs, artisans, ouvriers et autres professionnels qui ont été formés chez nous en Syrie et qui participent à la croissance économique ou à combler le manque de personnel de certaines professions d’autres pays.
Cet été, nous avons vu défiler à Alep de très nombreuses personnes qui avaient fui la guerre et ont migré ailleurs. Ils sont revenus en visite pour revoir leur parenté, ranger leur domicile qu’ils avaient quitté en urgence et se débarrasser des vêtements et autres produits devenus inutiles, renouveler leurs passeports et se mettre en règle avec des formalités administratives restées en suspens depuis leur départ.
A la question de savoir comment ils ont retrouvé Alep, beaucoup de ces personnes ont utilisé la même formule : « nous avons trouvé des VISAGES TRISTES ». Ces Alepins revenus à Alep après plusieurs années d’absence ont exprimé à haute voix ce que nous ressentons depuis quelques temps. Les gens sont tristes, leurs visages le sont, leur esprit également et leur cœur encore davantage. Comment voulez-vous qu’il en soit autrement quand on vit, depuis 10 ans, entre les bombes militaires et la bombe de la pauvreté ?
C’est dans ce contexte que nous, les Maristes Bleus, continuons à œuvrer pour semer un peu de joie dans le cœur des enfants et un peu d’espoir dans l’esprit des adultes, pour aider les gens à avoir un emploi et les familles à boucler leur fin de mois, pour éduquer les enfants et aussi les adultes.
Notre projet « Colibri » qui prend soin des familles déplacées du camp Shahba poursuit ses activités éducatives et médicales et soutient matériellement les familles sur le plan alimentaire et hygienique. Pourtant, ce projet est menacé ; l’armée turque qui occupe la région syrienne d’Afrin bombarde les environs du camp et a lancé par avion des flyers à la population de la région pour les avertir de l’imminence d’une opération militaire d’envergure « pour libérer la région des terroristes » (sic).
Le projet « Pain Partagé » est très apprécié par les Alepins. Douze dames font la cuisine tous les jours dans nos locaux pour préparer un plat chaud quotidien (avec un fruit et du pain) que nos 25 bénévoles distribuent (avec le sourire et une écoute) à midi à plus de 200 personnes âgées vivant seul sans famille et sans ressources.
Nous avons démarré une 2ème tranche de notre programme de « Formation Professionnelle » avec 20 jeunes adultes que nous avons installés comme apprenti chez un patron pour apprendre un métier et devenir plombier, menuisier, électricien, mécanicien, peintre, couturier etc.
Le programme des « Micro-projets » se poursuit avec la formation d’adultes pour diriger des projets et le financement des projets ayant des chances de réussites.
Malheureusement, la crise économique rend les chances de succès plus faibles.
« Apprendre À Grandir » et « Je Veux Apprendre », nos deux projets éducatifs pour les enfants de 3 à 6 ans de familles démunies ou de familles déplacées respectivement, n’ont pas pu accepter toutes les demandes d’inscription et ont été dans le regret de refuser des enfants ayant pourtant besoin de nous. Nos locaux sont utilisés au maximum de leur capacité et ne peuvent pas accueillir plus de 210 enfants et les 31 éducatrices qui les accompagnent.
Seeds, le projet de soutien psychologique, se développe énormément. Trente bénévoles sous la direction de notre psychologue en chef prennent en charge 450 enfants de 3 à 16 ans par le biais du programme Lotus pour les petits et Bamboo pour les plus grands sans oublier de mentionner le soutien aux adultes.
Heartmade continue à donner un emploi à 13 femmes pour recycler le reste de tissus et en faire des pièces uniques pour les dames. Combattre le gaspillage, protéger l’environnement et donner un emploi aux femmes, tels sont les principes du projet.
Les candidates se bousculent pour s’inscrire au projet « Developpement de la Femme ». Deux groupes de 20 femmes sont organisés pour des sessions de trois mois. Des ateliers de culture générale, de recommandations sanitaires, de formation personnelle et de visite archéologique enrichissent le projet qui offre en plus un espace de convivialité et de liberté aux participantes.
Notre centre de formation pour adultes, notre « MIT » organise des workshops de 12h, 20h et 56 heures de formation sur divers sujets utiles. Nous ne pouvons accepter que 20 participants par workshop qui sont dirigés par les meilleurs experts d’Alep.
Le projet « Hope » consiste à enseigner l’anglais aux mamans.
Nous continuons à distribuer du lait aux enfants de moins de 11 ans « Goutte de Lait », à participer aux frais des soins médicaux de personnes nécessiteuses (plus de 150 actes médicaux par mois), à payer le loyer de 200 familles déplacées qui n’ont pas les moyens de le faire et à donner, chaque mois, de l’argent en espèces à 450 familles d’Alep parrainées par des familles polonaises dans la cadre d’un programme organisé par une ONG Polonaise.
Le nombre des Maristes Bleus augmente ; nous sommes maintenant 170 personnes bénévoles et employés salariés. Les nouveaux doivent participer à des sessions de formation humaine et mariste avant d’être admis pour de bon. De plus, un programme régulier de formation est obligatoire pour tous les membres.
Nous sommes persuadés que la situation ne s’améliorera pas tant que les sanctions ne sont pas levées ; c’est pourquoi nous réclamons leur fin et nous vous demandons, chers amis, de faire pression sur vos élus et les autorités de vos pays pour qu’ils mettent fin aux sanctions.
Nous sommes conscients que tout ce que nous faisons n’est qu’une goutte d’eau dans l’océan des besoins ; mais cette goutte est indispensable au bien-être de milliers de familles.
Nous essayons de rendre les Visages de nos compatriotes un peu moins Tristes et ce n’est pas facile.
Nous comptons sur votre solidarité et vos prières.
Dr Nabil Antaki
Pour les Maristes Bleus.
Alep le 2 novembre 2021
envoyé par Mouna Alno-Nakhal
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Source : Lire l'article complet par Réseau International
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