Par Moon of Alabama – Le 29 octobre 2021
Les fournitures d’énergie de la Russie à l’Europe occidentale ont toujours fait l’objet de contrats à long terme avec des prix généralement fixes. Ces constructions permettaient à la Russie de faire, en sécurité, de gros investissements dans les infrastructures nécessaires et aux acheteurs de bénéficier d’une sécurité énergétique. L’Union européenne, sous l’influence des États-Unis, a tenté de détruire ce modèle. Mais ses tentatives d’« ouvrir les marchés de l’énergie » ont conduit à des approvisionnements incertains et à des prix extrêmes.
La situation actuelle de la Pologne peut être considérée comme un exemple de la « réussite » de cette politique.
En 1992, la Russie, le Belarus, la Pologne et l’Allemagne ont convenu de construire le gazoduc Yamal-Europe pour acheminer le gaz naturel des nouveaux gisements russes vers la Pologne, l’Allemagne et au-delà.
Ce gazoduc a une capacité de quelque 33 milliards de mètres cubes par an. En 1996, la Pologne et la société russe Gazprom avaient conclu un contrat prévoyant la livraison à la Pologne jusqu’à un tiers de la capacité du gazoduc pendant 25 ans. Le prix était, comme d’habitude à l’époque, lié au prix du pétrole avec un période défini pour la hausse et la baisse du prix du gaz mais suivant en principe l’évolution des marchés pétroliers mondiaux. Gazprom, qui a dû investir des milliards de dollars pour développer les gisements et les gazoducs de Yamal, a insisté sur une quantité minimale de 85 % (« take-or-pay ») de gaz que la Pologne devait payer indépendamment de sa demande réelle.
Tout allait bien jusqu’en novembre 2014, lorsque l’opérateur gazier polonais PGNIG a soudainement constaté qu’il payait un prix trop élevé pour le gaz en provenance de Russie. (Ce n’est pas une simple coïncidence si cela s’est produit quelques mois après le coup d’État organisé par les États-Unis en Ukraine et le retour de la Crimée à la Russie).
En mars 2015, la Pologne a intenté un procès à Gazprom pour obtenir une baisse des prix du gaz :
PGNiG, le plus grand distributeur de gaz de Pologne, a intenté un procès contre Gazprom et Gazprom Export devant la cour d’arbitrage de Stockholm, disant vouloir des conditions similaires au marché européen du gaz.
« Les mesures prises par PGNiG visent à mettre le contrat en conformité avec les conditions actuelles du marché européen du gaz naturel », a déclaré la société dans un communiqué publié jeudi. Elle a également souligné que la demande n’excluait pas une issue négociée ou un nouveau contrat avec le fournisseur.
…
La Pologne considère que la chute des prix du pétrole est une raison d’exiger une réduction plus importante, car la formule du prix du gaz russe est basée sur le prix du pétrole. Le pays est également opposé au système « take or pay », qui oblige les clients à payer pour des livraisons dont ils n’ont pas nécessairement besoin ou qu’ils n’utilisent pas.
Il a fallu cinq ans à la cour d’arbitrage pour parvenir à une décision finale. En mars 2020, la compagnie de gaz polonaise pensait avoir gagné et célébrait les résultats :
« Le tribunal arbitral s’est rangé du côté de PGNiG, confirmant ainsi que le prix du gaz dans le contrat Yamal ne reflétait pas le niveau des prix sur le marché et était surévalué », a déclaré Jerzy Kwieciński, président du conseil d’administration de PGNiG SA, et a ajouté : « le tribunal a modifié la formule de calcul du prix du gaz russe en le liant très étroitement au niveau des prix sur le marché européen, ce qui pour PGNiG signifie une amélioration considérable des conditions de nos importations de gaz ».
Le prix est contraignant pour les deux parties depuis le moment où il a été annoncé. À partir de maintenant, le prix que PGNiG paiera à Gazprom pour le gaz naturel sera basé sur la nouvelle formule de calcul des prix, qui est très étroitement et directement liée au niveau des prix du gaz sur le marché de l’Europe occidentale. La décision du Tribunal s’applique à partir du 1er novembre 2014, c’est-à-dire la date à laquelle PGNiG a envoyé sa demande de révision du prix du contrat à Gazprom. Cela signifie que la société russe devra rembourser à PGNiG un montant estimé à 1,5 milliard USD, soit la différence entre le prix calculé sur la base de la nouvelle formule et les montants effectivement payés par PGNiG depuis le 1er novembre 2014 jusqu’au 29 février 2020.
Au cours de ces cinq années et demie, PGNIG avait reçu environ 50 milliards de mètres cubes de gaz à un prix d’environ 500 dollars par millier de mètres cubes. Sur les quelque 25 milliards de dollars qu’elle a payés pendant cette période, elle a récupéré environ 1,5 milliard de dollars, soit 6 %.
La victoire était plutôt marginale, mais la Pologne pensait que le nouveau mécanisme de prix que le tribunal d’arbitrage avait introduit dans le contrat jouerait en sa faveur. L’Union européenne s’est efforcée de « libéraliser » les marchés européens de l’énergie en décourageant les contrats à long terme et en introduisant des bourses de matières premières pour l’énergie. Au lieu d’être déterminés par des investissements à long terme et des obligations contractuelles, les prix de l’énergie suivraient désormais les spéculations à court terme.
Puis la pandémie, les mauvaises conditions météorologiques pour l’énergie éolienne, l’explosion de la demande d’énergie de la Chine et les marchés se sont emballés. Les prix du gaz naturel à la bourse européenne des matières premières sont passés de 400 à 500 dollars à plus de 2 000 dollars par millier de mètres cubes. Les suspects habituels ont accusé la Russie d’être responsable de cette hausse des prix, mais comme l’a confirmé le gouvernement allemand, la Russie et Gazprom remplissent toutes leurs obligations contractuelles. Ce n’est pas la Russie qui refusait de livrer du gaz à l’Europe, mais les États-Unis, qui sont maintenant heureux de le vendre à la Chine à des prix plus élevés que ceux qu’ils peuvent obtenir en Europe.
Comme le président russe Vladimir Poutine a décrit la situation dans son récent discours au Club Valdai :
Donc, tout a commencé à être acheminé sur ce marché à terme, mais il contient essentiellement du gaz sur papier, pas du vrai gaz. Il ne s’agit pas de quantités physiques, qui n’augmentent pas (je vais expliquer pourquoi dans une minute). Un chiffre est écrit sur le papier, mais il n’y a pas de quantité physique, celle-ci est en baisse. Ainsi, un hiver froid nécessite du gaz issu du stockage souterrain ; un été chaud sans vent signifie un manque de production éolienne à l’échelle nécessaire. J’ai déjà mentionné les raisons macroéconomiques, et voici les raisons sectorielles.
Que s’est-il passé ensuite sur le marché européen ? D’abord, une baisse de la production dans les pays producteurs de gaz. La production en Europe a diminué de 22,5 milliards de mètres cubes au cours des six premiers mois. Cela d’abord. Ensuite, les installations de stockage de gaz ont été sous-remplies de 18,5 milliards de mètres cubes et ne sont remplies qu’à 71 %. ces installations de stockage de gaz ont été sous-remplies de 18,5 pendant les six premiers mois de l’année. Si l’on considère la consommation annuelle, ce chiffre aurait dû être le double.
Ensuite, des sociétés principalement américaines, ainsi que des sociétés du Moyen-Orient, ont retiré 9 milliards de mètres cubes du marché européen et ont redirigé le gaz vers l’Amérique latine et l’Asie. À propos, lorsque les Européens ont formulé les principes régissant la formation du marché du gaz en Europe, et ont déclaré que tout le gaz devait être négocié sur le marché à terme, ils partaient du principe que le marché européen était un marché important. Mais le marché européen n’est plus un marché important, vous voyez ? Ce n’est plus un marché important. Le gaz a été redirigé vers l’Amérique latine et l’Asie.
J’ai déjà dit que 18,5 milliards de mètres cubes, plus le double de cette quantité, 9 milliards (sous-approvisionnement du marché européen par les États-Unis et le Moyen-Orient), plus une baisse de la production de 22,5 milliards – le déficit du marché européen pourrait s’élever à environ 70 milliards de mètres cubes, ce qui est beaucoup. Qu’est-ce que la Russie a à voir là-dedans ? C’est le résultat de la politique économique de la Commission européenne. La Russie n’a rien à voir là dedans.
Néanmoins, Poutine est intervenu et a demandé à Gazprom de pomper plus de gaz vers l’Europe. Les prix de gros en Europe sont depuis redescendus à 1 000 dollars par millier de mètres cubes, ce qui représente toujours plus du double du montant que payait la Pologne selon l’ancienne formule de prix.
La Pologne, qui a poursuivi Gazprom en 2015 pour obtenir la nouvelle formule de prix, qui a tenté d’empêcher l’installation du gazoduc North Stream 2 entre la Russie et l’Allemagne et qui a annoncé qu’elle ne renouvellerait pas le contrat Yamal existant avec Gazprom, demande maintenant à la Russie de baisser le prix du gaz qu’elle doit payer selon la formule révisée :
Le groupe pétrolier et gazier polonais PGNiG a annoncé qu’il avait envoyé une lettre à Gazprom pour lui demander de réduire le prix du gaz fourni à la Pologne, justifiant sa demande par un bond sans précédent sur le marché de gros européen.
« Le 28 octobre 2021, PGNiG a envoyé une lettre à PJSC Gazprom et OOO Gazprom export, qui modifie la déclaration de PGNiG de février 2020 pour changer le prix du gaz fourni dans le cadre du contrat de vente de gaz naturel à la Pologne daté du 25 septembre 1996 (appelé le contrat Yamal), dans le sens de sa réduction afin que le processus de révision puisse prendre en compte la situation actuelle sur le marché », – selon une déclaration.
La chutzpah polonaise n’a pas de limites. « Nous voulons récupérer l’ancienne formule de prix », voilà ce que dit maintenant la Pologne.
Eh bien, c’est l’heure de la revanche et je ne pense pas que Gazprom envisagera de modifier sensiblement la tarification pour la Pologne. Selon la clause « pay or take » du contrat, la Pologne doit payer ou acheter 8,7 milliards de mètres cubes par an. Avec le cours actuel de 1 000 dollars, il y a maintenant une différence de 500 dollars par millier de mètres cubes entre l’ancienne formule de prix du contrat et la nouvelle. Si rien ne change, la Pologne devra payer quelque 5 milliards de dollars de plus que selon l’ancienne formule jusqu’à l’expiration du contrat à la fin de 2022. L’heureux gain de 1,5 milliard de dollars obtenu par la cour d’arbitrage il y a un an ne fait pas bonne figure en comparaison.
Pour des raisons uniquement politiques, le gouvernement polonais anti-russe est catégorique : après 2022, il n’achètera plus de gaz naturel à la Russie. Mais la Pologne aura de grandes difficultés à obtenir du gaz naturel d’autres sources. Son projet de nouveau gazoduc reliant la Norvège à la Pologne a été temporairement bloqué pour des raisons environnementales. Elle peut acheter du GNL aux États-Unis et au Qatar, mais elle devra payer des prix élevés qui dépendront des cours spéculatifs des matières premières au lieu de la formule de tarification à long terme que préfère la Russie.
Il est fort probable qu’en 2023, la Pologne finira comme la Moldavie qui, il y a deux mois, a laissé expirer son contrat gazier avec la Russie sans avoir obtenu d’autres approvisionnements à un prix raisonnable. Un nouveau contrat avec Gazprom, suivant la formule de prix préférée de l’UE, aura des coûts plus élevés alors que la Moldavie ne veut, ou ne peut, même pas payer ce qu’elle doit encore de l’ancien contrat. Ce sera un hiver sombre et froid pour le nouveau gouvernement anti-russe de Moldavie que l’UE et les États-Unis ont contribué à mettre en place.
On peut espérer que l’Union européenne et les gouvernements de ses pays en tireront des leçons. L’approvisionnement en énergie nécessite toujours des investissements à long terme, des contrats à long terme et une stabilité des prix. Ils ne devraient jamais devenir des ballons de foot politiques.
Suivre l’hypocrisie des États-Unis, qui exigent davantage de gaz russe pour l’Europe tout en s’opposant aux nouveaux gazoducs russes, n’est pas dans l’intérêt des citoyens européens.
Moon of Alabama
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone
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Source : Lire l'article complet par Le Saker Francophone
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