BILLET de Florestan:
La haute banque parisienne d’affaires a une réputation, parait-il, mondiale dans le monde de la finance: les banques de la place de Paris abriteraient des “Mozart de la finance” formés aux meilleurs écoles et concours du monde et seraient des virtuoses du… dépeçage des entreprises industrielles et commerciales sous prétexte de grandes opérations de fusions acquisitions dans l’espoir de parvenir à créer des champions mondiaux.
Mais des champions le plus souvent aux pieds d’argiles parce qu’apatrides.
Le pays de Colbert et du mercantilisme a abandonné toute vision planificatrice de moyen et de long terme de son appareil industriel au profit d’un opportunisme affairiste qui confond intérêt financier d’une fusion-acquisition (donc d’une restructuration) et intérêt national.
Pourquoi?
Parce que lors de son arrivée à l’Elysée, François Mitterrand avait contre lui l’état profond militaro-industriel gaulliste: il a donc fallu construire un autre réseau de pouvoir dans Paris en ouvrant grand les portes du pouvoir à la finance et les portes de la finance au pouvoir…
La gestion des entreprises nationalisées en 1981 sera le laboratoire qui va permettre au grand corps de haut-fonctionnaires des Inspecteurs des finances de prendre, de fait, le pouvoir du coeur même de l’Etat au point de prendre aujourd’hui une indépendance totale en ayant crée une caste sociologiquement très homogène entre la haute-fonction publique et la haute banque parisienne par la pratique du pantouflage, du réseautage et du renvoi permanent d’ascenseur entre le public et le privé: les bijoux de famille de l’Etat et les grands groupes privés qui dépendent de la commande publique de l’Etat sont devenus la chasse gardée ou plutôt le terrain de jeu de ces Messieurs les inspecteurs des finances qui sont, à la fois, contrôleurs et contrôlés, corrupteurs et corrompus: la gestion du conflit d’intérêt est même devenue un art virtuose qui permet de feuilletonner les “affaires” dans les pages de journaux et les images de médias soumis à de puissants oligarques dont la puissance capitalistique dépend de la créativité fiscale effrénée des inspecteurs des finances que cela soit depuis un bureau de Bercy, de l’Elysée d’une banque ou d’un cabinet d’avocat d’affaires (optimisation fiscale).
Le seul intérêt de l’élection par défaut de M. Emmanuel Macron à la présidence de la république, c’est-à-dire, d’avoir placé au plus haut sommet de l’Etat un inspecteur des finances passé par la banque Rothschild, c’est de rendre symboliquement visible l’Etat profond français.
La république française qui se prétend être un état de droit accompli est néanmoins dotée d’un “état profond” à l’instar de certains autres états qui cachent derrière l’aimable paravent d’un état de droit démocratique, des réalités qui le sont moins.
Les états sont des monstres froids plus ou moins hypocrites: la Chine, la Russie, la Turquie, l’Arabie Saoudite, l’Iran, la Turquie ne s’embarassent pas trop des apparences… Dans ces pays peu aimables, l’Etat profond est directement aux commandes quand il n’y a pas, d’ailleurs, plusieurs “états profonds” en concurrence pour le pouvoir (par ex: l’Iran). En Occident, il faut, cependant avoir plus d’égard pour les formes: l’état profond des USA est certainement le plus puissant du monde mais il sait se rendre invisible dans l’espoir d’être invincible puisque l’avenir de la première puissance stratégique mondiale en dépend.
Dans tous les cas, les puissances politiques, financières, techno-industrielles qui contrôlent avec aprêté et parfois avec cruauté un “état profond” assurent la continuité de leur pouvoir en défendant farouchement l’indépendance et la puissance de l’Etat national: c’est particulièrement le cas lorsque l’état profond est un complexe militaro-industriel avec fusion totale des intérêts de l’état profond dans l’intérêt national. Les Etats-unis d’Amérique et la Russie (en y ajoutant le pouvoir gazier) illustrent parfaitement ce cas.
Avec la Chine et l’Allemagne, c’est une industrie d’exportation qui joue ce rôle et on le voit tout particulièrement dans le cas allemand: ce sont les industriels de l’automobile qui fixent, de fait, la politique étrangère de la république fédérale allemande que l’on pourrait qualifier non pas de république bananière mais de république “automobile”…
Le cas anglais est intéressant puisque nous y avons peut-être le plus vieil état profond constitué comme tel car on pourrait même faire remonter l’autonomie juridique de la “city” de Londres vis-à-vis de l’état royal à… Guillaume Le Conquérant: on le sait depuis quelques siècles, les intérêts des marchands, banquiers et financiers de la City of London ont presque toujours coïncidé avec l’intérêt de la couronne britannique sauf en cas de crise politique, lorsque le roi Stuart voulait rétablir le catholicisme ou lorsque les ouvriers des Middlands votent pour le Brexit…
Revenons donc au cas français qui, comme d’habitude, sera l’exception qui confirme la règle…
Dans tous les cas, l’état profond, ce pouvoir inavouable, honteux, affairiste voire maffieux qui prospère à l’ombre de l’Etat si ce n’est en son sein, voire à sa tête, trouve à se développer en servant l’intérêt national sinon l’indépendance d’un état nation dont il faut renforcer la puissance.
Sauf en France!
Car les dirigeants de la haute banque parisienne et des grands groupes qui font la cotation du CAC 40 de la bourse de Paris ne croient plus qu’il soit encore possible de développer une souveraineté nationale française: l’universalisme à la française dont le rayonnement était autrefois fondé sur une indépendance stratégique gaulliste et un mercantilisme planificateur techno-scientifique hérité de Colbert, a été jeté à la poubelle de l’Histoire sous prétexte de forger une puissance européenne qui aurait été à l’image de ce que fut la puissance française.
Grave erreur de perspective car les autres nations européennes ne veulent pas d’une Europe à la française: ils ont déjà donné avec… Napoléon!
Que cela soit depuis un conseil d’administration ou depuis un cabinet ministériel, les inspecteurs des finances ne croient plus en la France, sauf pour en brader les actifs industriels et technologiques et vendre notre pays à la découpe dans des opérations particulièrement avantageuses qui font la réputation et l’attractivité de la place financière de Paris… au détriment des Français.
Avec Macron à sa tête, l’état profond français (en fait, parisien) n’en fait qu’à sa tête. Il n’est plus dirigé, c’est-à-dire, tenu en laisse par le chef de l’Etat qui en France est encore un chef d’Etat souverain qui tient son mandat et sa légitimité directement d’un peuple souverain de citoyens électeurs.
En attendant la prochaine élection présidentielle avec l’espoir d’une reprise en mains d’un Etat enfin mis au service de l’intérêt national, il faut déployer partout où cela est possible des contre-pouvoirs efficaces, notamment au niveau local et régional, contre les errements d’un état profond parisien devenu fou: l’actuelle action régionale normande très volontariste menée par Hervé Morin à la tête de la région Normandie visant à soutenir l’attractivité et le rayonnement des entreprises normandes est un bon exemple…
Compte-tenu de ce que nous venons de dire ci-dessus, l’Etoile de Normandie apporte tout son soutien à la tribune suivante:
Projet Poséidon : les naufrageurs de l’industrie navale française
Dix-huit personnalités – politiques, intellectuels, marines et membres de la société civile – dénoncent le projet Poséidon, présenté comme un “Airbus de la construction navale”. Une prise de position qui intervient alors que ce 12 juillet 2019, le nouveau SNA (sous-marin nucléaire d’attaque), le “Suffren” construit par NavalGroup, est présenté à Macron à l’arsenal de Cherbourg.
Le 31 mai dernier, le gouvernement français avait dévoilé son projet – resté confidentiel jusqu’aux élections européennes – de rapprochement entre Naval Group, champion français de la construction navale militaire et héritier des Arsenaux de la Marine nationale, et les chantiers navals italiens Fincantieri. Ce projet suscite de très lourdes interrogations, et c’est probablement pour éviter de les aborder avec la sérénité nécessaire que le gouvernement met actuellement les bouchées doubles, avec l’annonce le 14 juin d’une première signature de principe.
Seules seraient exclues la dissuasion et la propulsion nucléaires.
Affublé d’un joli nom de code, Poséidon, et présenté comme un “Airbus de la construction navale” capable de conquérir des parts de marché à l’international, de “sortir de l’immobilisme de la fragmentation européenne” (sic) et de baisser les coûts grâce à des synergies, ce projet constitue en fait un bradage inquiétant, sans aucune justification, d’un groupe industriel français stratégique.
Un projet et deux abandons
Ce projet a une apparence : une joint-venture équilibrée, sans échanges capitalistiques et donc, sans risque de privatisation. Il a une réalité : une structure de droit italien basée à Gênes, chargée de l’élaboration et de la maîtrise d’œuvre des programmes binationaux – telle la refonte à mi-vie, dès 2019, des frégates Horizon –, la maîtrise d’œuvre des achats et des programmes export, et l’essentiel des projets de recherche et développement : future propulsion à l’hydrogène, conception 100 % numérique des navires, études sur l’usine du futur, bassins d’essais, etc. En d’autres termes, le cœur stratégique de l’activité. Seules seraient exclues la dissuasion et la propulsion nucléaires.
Deux transferts méritent d’être soulignés. Les achats, d’abord, car une grande partie de la valeur ajoutée d’un navire de guerre réside dans l’électronique avancée, les systèmes d’armes et l’ingénierie du système intégré de combat, assurés aujourd’hui par Thalès, côté français, et Leonardo en Italie : deux entreprises actuellement en concurrence frontale ! Les technologies, ensuite, comme la pile à combustible fonctionnant à l’hydrogène, outil potentiellement stratégique demain pour assurer la furtivité absolue de nos sous-marins nucléaires d’attaque. Lire aussi: Comment Macron a lâché l’industrie
Et pourtant, rien ne justifie un tel abandon. Naval Group dispose d’une trésorerie importante et son carnet de commandes est bien rempli, avec 12,5 milliards d’euros fin 2017, soit quatre années de chiffre d’affaires. En outre, les besoins de la Marine nationale sont importants, avec le deuxième domaine maritime mondial à surveiller, d’autant plus importants que les contraintes budgétaires imposées depuis dix ans nécessitent aujourd’hui des efforts importants de maintien en condition opérationnelle et de renouvellement des bâtiments. Dans le domaine des sous-marins, conventionnels comme nucléaires, Naval Group est déjà un leader mondial, signant régulièrement des contrats prestigieux alors que l’industrie navale italienne est plutôt dépendante de l’industrie allemande.
Reste l’argument-clef du gouvernement : développer les exportations. Argument étrange s’agissant d’un marché militaire mondial dont 70 % demeurent inaccessibles aux acteurs européens : ni les États-Unis, ni la Russie, ni la Chine ne nous achèteront des navires de guerre. L’annulation unilatérale en 2015 de la vente des porte-hélicoptères Mistral a achevé de ruiner les timides espoirs d’ouverture vers la Russie. Les autres pays, comme l’Australie, le Pakistan, l’Inde ou le Brésil, exigent généralement que les navires soient construits et assemblés dans leurs propres chantiers navals. Seules exceptions: les Émirats et l’Arabie saoudite.
Cette fuite en avant risque encore de s’accentuer, puisque Naval Group annonce souhaiter étendre son alliance avec Fincantieri dans le domaine des Torpilles. Outre le fait que l’argumentaire “Export” dans les torpilles prête franchement à sourire, cette idée est symptomatique de l’abandon de la priorité donnée aux besoins de la Défense nationale française.
Plus généralement, l’export ne devrait pas devenir, par un renversement absurde, l’alpha et l’oméga d’une industrie dont la fin première est et doit rester de fournir à la France un armement le plus performant possible, en tout cas si possible plus performant que celui des autres pays ! Mais Mme Parly est peut-être restée trop longtemps à Bercy pour s’en souvenir…
Une suite inquiétante
Le plus grave est sans doute l’avenir inavoué du projet, présenté comme “une première étape d’ampleur limitée“. Quelle pourrait donc être l’étape suivante, sinon le transfert capitalistique d’une partie des activités de Naval Group à une société étrangère de droit privé ? Le gouvernement ne devrait-il pas consulter la représentation nationale avant d’engager ce qui s’apparente, à terme, à la privatisation déguisée d’une entreprise concourant directement à la protection des intérêts nationaux stratégiques ?
Il y a de quoi se méfier, au vu des précédents : en 2015, Nexter, héritier de GIAT Industries et des arsenaux de l’Armée de terre, avait ainsi été fusionné en catimini avec l’Allemand Krauss-Maffei Wegmann, constructeur du char Leopard 2, concurrent du char Leclerc. Aujourd’hui, l’ensemble est logé, via une holding familiale… aux Pays-Bas !
Cette fuite en avant risque encore de s’accentuer, puisque Naval Group annonce souhaiter étendre son alliance avec Fincantieri dans le domaine des Torpilles. Outre le fait que l’argumentaire “Export” dans les torpilles prête franchement à sourire, cette idée est symptomatique de l’abandon de la priorité donnée aux besoins de la Défense nationale française. Ce domaine est en effet, avec celui de la signature acoustique des navires, l’un des plus secrets et des plus décisifs dans la recherche de la supériorité des systèmes d’armes navals. Lire aussi: Comment ils ont bradé la France
Faut-il pour autant exclure tout rapprochement avec l’Italie ? Probablement pas, mais l’instruction de ce dossier devrait à l’évidence être reprise, en s’assurant de la prise en compte des intérêts de l’ensemble de l’écosystème français de l’industrie navale et de défense, mais aussi de ceux de la Marine nationale et des salariés des chantiers navals concernés, dont les propositions devraient être écoutées. Nous ne pouvons plus tolérer que des motivations de communication politique à court terme génèrent en fin de compte des désastres industriels à répétition.
L’indépendance nationale et la protection de nos industries stratégiques ne sont pas solubles dans les eaux glacées de la finance, ni dans des montages court-termistes pensés par des banquiers d’affaires. Il est plus que temps de le rappeler avec force, et de mettre un coup d’arrêt au projet Poséidon dans sa forme actuelle.
Or les exemples s’accumulent : démantèlement d’Alstom, naufrage d’Alcatel, départ hors de France des centres de décision de Lafarge, de Schneider Electric ou de Technip, sans parler des annonces désastreuses faites dans la foulée des élections européennes : Whirlpool à Amiens, l’aciérie Ascoval à Saint-Saulve, ou l’ex-branche exploration/production gazière de GDF. Ironiquement, nous en sommes réduits à nous réjouir de la décision de la Direction de la concurrence de la Commission européenne d’interdire le projet de cession de la production des TGV d’Alstom à Siemens, un projet soutenu par Emmanuel Macron…
L’indépendance nationale et la protection de nos industries stratégiques ne sont pas solubles dans les eaux glacées de la finance, ni dans des montages court-termistes pensés par des banquiers d’affaires. Il est plus que temps de le rappeler avec force, et de mettre un coup d’arrêt au projet Poséidon dans sa forme actuelle.
Signataires actuels :
Julien Aubert, député (LR)
Marie-Françoise Bechtel, ancienne députée (MRC-PS), Vice- présidente de République Moderne
Olivier Berruyer, journaliste, Les crises.fr
Guillaume Bigot, politologue et essayiste, directeur général du groupe IPAG Business School
François Boulo, avocat, porte-parole Gilets Jaunes de Rouen
Jean Dufourcq, contre-amiral (2S)
Caroline Galacteros, géopoliticienne, directrice de Geopragma
Claude Gaucherand, contre-amiral (2S)
Jean-Charles Hourcade, ancien Directeur de la Stratégie de Thalès / Directeur Général Adjoint du groupe Thomson / Directeur Général de France Brevets
Dominique Jamet, Président d’Unité Nationale Citoyenne (UNC)
Djordje Kuzmanovic, Président de République Souveraine (RS)
Loïk Le Floch Prigent, ancien PDG d’ELF Aquitaine
Jean-Philippe Mallé, ancien député (PS)0 et vice-président d’ “Oser la France”
Michel Onfray, philosophe
Raoul Perget, général
Régis Portalez, polytechnicien, ingénieur en informatique
Jean-Michel Quatrepoint, journaliste
Jacques Sapir, économiste
Source : Normandie Canalblog
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