Remercier la Terre… à coup de poubelles?

Remercier la Terre… à coup de poubelles?

Nicholas Chevalier, Front commun québécois pour une gestion écologique des déchets (FCQGED), membre du Regroupement Des Universitaires
 

DES UNIVERSITAIRES (15 de 15) – Nous avons été nombreux récemment à profiter d’un long week-end : à l’occasion de l’Action de grâce, 38 millions de Canadiennes et Canadiens communiaient pour remercier la Terre des récoltes dont elle nous a fait don tout au long de la saison chaude! Malheureusement, nous l’avons fait d’une bien drôle de façon, en lui offrant des montagnes d’ordures : emballages de dindes, bouteilles vides, sacs cadeaux et autres détritus.

Au Québec, nous éliminons collectivement 5400000 de tonnes de déchets par an. Cela équivaut à environ 10 tonnes de matières enfouies ou jetées au feu chaque minute, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. 

Ces déchets sont directement responsables de 6 % de nos émissions de gaz à effet de serre (GES), provenant principalement de la décomposition des matières organiques en méthane (MELCC). Cette valeur exclut toutefois les GES associés à la collecte et au transport des déchets et des matières récupérées, ainsi qu’au tri, au traitement et au recyclage des matières recyclables ou compostables.
 

Oui, mais nous recyclons, n’est-ce pas?

En plus de ces déchets enfouis ou incinérés, nous produisons plusieurs autres résidus que nous tentons de valoriser grâce au compostage ou au recyclage, ou en les déposant à un écocentre. Nous en sommes fiers! 

Le recyclage et le compostage sont essentiels et assurément préférables à l’élimination. Néanmoins, les matières récupérées nécessitent transport, tris et traitements : des opérations qui demandent de grandes quantités d’énergie, souvent issue de combustibles fossiles. De plus, bon nombre de ces résidus sont rejetés et renvoyés à l’élimination, ou exportés à des fins… inconnues. Bref, malgré notre bonne volonté, les filières du recyclage, du compostage et de la valorisation ne devraient absolument pas être les pierres d’assise de notre approche en matière de déchets.
 

Transformer nos déchets en énergie, un piège 

Le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) effectue actuellement une enquête visant notamment à déterminer si la « valorisation énergétique » des déchets peut remplacer l’enfouissement et l’incinération. 

La valorisation énergétique tire une bonne partie de son énergie des plastiques (à base de pétrole). Elle est souvent qualifiée, abusivement, d’« énergie renouvelable ». Or, loin d’être vertes, les technologies dites de « valorisation énergétique » posent le même problème que le recyclage et le compostage : elles détournent l’attention — et les fonds publics — des vraies solutions. Tout comme l’expansion du réseau autoroutier perpétue la congestion, ces technologies contribuent à maintenir le modèle linéaire « extraire-fabriquer-transporter-consommer-jeter ». 
 

Changer notre vision des déchets

Actuellement, nous gérons les déchets générés. Dans le Québec ZéN (zéro émission nette) de demain, les déchets ne seront pas gérés, mais bien anticipés, minimisés et évités. Il existe déjà une kyrielle de solutions pour tendre vers un monde sans déchet.

Pour débuter, nous pouvons renoncer au jetable. Beaucoup d’entre nous avons déjà adopté les bouteilles et tasses réutilisables. Des commerces de vrac naissent dans partout au Québec. Plusieurs municipalités ont commencé à interdire certains produits à usage unique ou à subventionner l’achat de produits réutilisables (bidets, couches, hygiène menstruelle, etc.). Une réglementation provinciale pourrait aisément généraliser ce type d’initiatives. 

Nous pouvons aussi prolonger la durée de vie des biens par la réparation, l’échange ou le don. Encore une fois, le gouvernement peut faire la différence en adoptant une loi contre l’obsolescence programmée, qui obligerait les producteurs à favoriser la réparation des articles et un accès raisonnable aux pièces de rechange. Une telle loi existe déjà en France.

Un Québec ZéN implique également une perception bien différente des biens. L’économie de partage, par exemple, vise à maximiser l’utilisation des objets. Tout comme on peut partager des livres à la bibliothèque, on peut partager des outils, des jeux, des appareils de cuisine et même des voitures. L’économie de fonctionnalité, pour sa part, permet de vendre un service plutôt qu’un produit. Plutôt que de vous vendre une imprimante, on peut vous vendre un service d’impression : achetez 1000 impressions à un prix forfaitaire, on fournit le matériel! Pour maintenir votre satisfaction et minimiser les déplacements, nous avons alors intérêt à choisir une imprimante durable et des cartouches d’encre bien remplies.

La publicité peut également être réglementée dans le Québec de demain. La majorité des publicités servent à créer des désirs. Tout comme la loi interdit les publicités à but commercial destinées aux enfants et encadre rigoureusement la publicité sur les boissons alcooliques, il serait possible d’empêcher la promotion de produits qui ne répondent plus à nos valeurs collectives : les véhicules énergivores, les voyages en avion et croisières, etc. Une telle approche exigerait que des mécanismes soient mis en place pour assurer la viabilité des médias qui dépendent des revenus publicitaires.
 

Un changement déjà entamé

Au Québec, la révolution de l’évitement des déchets est déjà amorcée. Un grand nombre d’entre nous avons adopté les sacs réutilisables pour transporter nos achats, la conservation pour profiter tout au long de l’hiver des fruits et légumes locaux achetés en vrac pendant l’été, les friperies pour disposer de nos vêtements superflus ainsi que les transports collectifs et actifs. Malheureusement, depuis près de cent ans, notre modèle économique n’a cessé de nous inciter à accroître notre consommation, principale cause de l’augmentation des déchets.

Le moment est venu de revoir nos modes de vie et de consommation par des actions individuelles, mais surtout collectives. Les gouvernements doivent légiférer pour empêcher le modèle linéaire actuel de continuer à ravager notre planète. Ils doivent également mettre en place des programmes pour assurer le déploiement d’une économie circulaire, sobre en matières et en énergie. Les institutions doivent agir de manière exemplaire et paver la voie vers des achats plus responsables. Et nous, citoyennes et citoyens, devons faire preuve d’ouverture et de flexibilité en encourageant les gouvernements et les entreprises à embrasser ce nécessaire changement. 

Si nous souhaitons que la Terre continue à nous offrir les récoltes dont nous profitons en famille à chaque Action de grâce, travaillons ensemble pour réduire nos déchets. Remercions la Terre en cessant de la surexploiter et de lui déverser nos poubelles. 

Questions ou commentaires? 

Ce texte est le dernier d’une série de 15 articles qui visent à faire connaître la Feuille de route pour la transition du Québec vers la carboneutralité Québec ZéN 2.0. Ce projet a été élaboré par des membres du Front commun pour la transition énergétique et leurs allié.e.s. Créé en 2015, le Front commun regroupe 90 organisations environnementales, citoyennes, syndicales, communautaires et étudiantes représentant 1,8 million de personnes au Québec.

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