Le déclin de la civilisation : Les leçons à tirer de la montée de l’extrême-droite

Le déclin de la civilisation : Les leçons à tirer de la montée de l’extrême-droite

Prélude : L’antagonisme endogène entre deux groupes civilisationnels et le seuil de survie de la civilisation

Lorsque j’ai vu les résultats du sondage qui montre que l’extrême-droite (FN et Zemmour) détient 33% des voix, je me suis souvenu de la thématique du déclin des civilisations. Après avoir lu la plupart des livres sur ce sujet, j’ai développé une approche qui me semble tenir compte d’une causalité principale au déclin des civilisations qui tourne autour de la lutte entre deux groupes civilisationnels : un groupe d’éclairés, de progressistes, de scientifiques, de philosophes, etc. et un groupe de réactionnaires, culturalistes, essentialistes, nationalistes et idéologues.

Le premier groupe est le moteur d’une civilisation alors que le second tue la civilisation à petit feu jusqu’à son anéantissement. L’extrême-droite représente le nec plus ultra du groupe idéologique réactionnaire. Il y a eu d’autres types de groupes culturalistes dans l’histoire qu’ils soient religieux ou idéologiques et qui ont été responsables de la mort des civilisations. Par conséquent, la civilisation meurt de l’intérieur mais cette mort n’a pas été provoquée comme le dit Michel Onfrey par la perte de la mémoire et des références historiques. C’est plutôt la lutte à mort que se livrent les deux groupes de la civilisation et c’est l’issue finale de cette lutte qui détermine si celle-ci va survivre ou au contraire décliner et mourir.

L’extrême-droite est un groupe réactionnaire qui va certainement mettre à mort la civilisation française s’il parvient au pouvoir comme le nazisme a failli faire périr la civilisation allemande durant la seconde guerre mondiale, si ce n’est la victoire des alliés, l’occupation de l’Allemagne puis sa relève réalisée grâce aux Américains dans un dessein géostratégique pour faire face aux soviétiques. Ceci est la principale leçon à tirer de l’histoire des civilisations.
Toutefois, il y a un réel paradoxe : lorsque le groupe nationaliste réactionnaire en France réclame la défense de la civilisation française comme le fait sans cesse le polémiste Zemmour, il a sa propre définition de la civilisation qui est souvent dépeinte comme mono-culturelle avec une vision de grandeur qui est un mythe qui fédère les membres de ce groupe d’extrême-droite (qui devient le groupe destructeur de la civilisation). Or, en réalité, la civilisation n’existe en fait qu’à travers l’action de ces deux groupes rivaux : le groupe culturaliste réactionnaire (parce qu’il se réfère au passé prétendument glorieux) et le groupe progressiste (tourné vers l’avenir et le progrès). Ce dernier ne définit pas la civilisation et il est la civilisation elle-même alors que le second groupe réactionnaire cherche désespérément à définir la civilisation parce qu’il n’est pas la civilisation. Il est la mort de la civilisation.

A cet égard, Onfrey se trompe lorsqu’il considère le post-modernisme comme une menace à la civilisation.

Le post-modernisme est le fruit du travail du groupe moderniste et progressiste. Il y a peut-être des erreurs dans ce processus mais celui-ci est sans limites et il est généralement bienfaiteur pour l’humanité. En revanche, la plus grande menace à la civilisation n’est autre que le groupe culturaliste réactionnaire comme l’extrême-droite.

Les mythes et l’illusion sur la civilisation

Les groupes culturalistes et idéologiques (dans le cas de la France, c’est l’extrême-droite) définit la civilisation comme suit : c’est un peuple ou un ensemble de peuples (ou de tribus) unis par une culture et une religion unique peu importe le développement de leurs moyens matériels ou de leurs monuments.
Une civilisation possède une culture qui ne disparait pas facilement à l’issue d’invasions ou de cataclysmes. Par exemple, les civilisations persane et chinoise ont absorbé leurs envahisseurs mongols et turcs et peuvent donc être considérées comme de grandes civilisations. Zemmour a, par exemple, affirmé que l’acte fondateur de l’histoire n’est pas la révolution française mais la bataille de Poitiers, c’est-à-dire une opposition à l’Islam. D’ailleurs, une civilisation peut être multi-ethnique mais elle ne doit avoir qu’une seule culture. Les anciennes civilisations étaient caractérisées par des cultures bien identifiées, homogènes comme la civilisation grecque ou la civilisation égyptienne.
Mais tout cela, ne suffit pas à définir une civilisation : celle-ci doit posséder encore une vision du monde universelle. C’est cela qui différencie une civilisation et une culture primitive. Les membres d’une civilisation se considèrent comme le «centre du monde». Les grecs avaient une vision du monde propre à eux et se voyaient comme différents des autres peuples. Les autres peuples étaient appelés des barbares. Les romains ont fait de même et ont adopté la même vision que celle des grecs. La civilisation romaine aurait disparue (mais son déclin a commencé bien avant) à partir du moment où la citoyenneté romaine à été donnée à tous les peuples de l’empire, y compris à ceux que les romains ont appelé jadis les « barbares ». Sur ce registre, Zemmour affirme que si les musulmans ne sont pas assimilés à la culture française s’est fini de la civilisation française.
Il est juste d’appeler ce message universel ou cette culture dominante, un mythe. C’est en fait un élément culturel qui crée un sentiment unique de grandeur et de prestige chez les membres de la civilisation concernée. Lorsque cet élément disparait, les membres de la civilisation perdent leurs références. Mais ceci n’est pas la cause de son déclin. Celui-ci commence à surgir lorsque la sphère scientifique, technique, philosophique, rationaliste, cosmopolite et universaliste commence à s’affaiblir jusqu’à disparaître.

C’est là qu’intervient notre nouvelle approche. Celle-ci traite de la survie des civilisations à l’intérieur même de ces civilisations. Cette approche explique comment les civilisations commencent à perdre l’élan de la grandeur et le développement des sciences et des techniques à partir du moment où un « groupe culturel dominant » qu’il soit mythologique, nationaliste ou idéologique commence à prendre le haut du pavé et à monopoliser la vision du monde. N’imaginons pas qu’il est facile pour des scientifiques de combattre un tel système ni au nom du scientisme, ni au nom de la logique et surtout pas au nom du rationalisme.
Il suffit de regarder ce qui se passe aujourd’hui en France : des millions de gens sont attirés par une idéologie d’extrême-droite sans s’interroger si ses allégations sont véridiques et rationnelles. Le polémiste Zemmour acclamé par de nombreux supporters dit souvent des choses qui sont fausses sur le plan scientifique. Mais peu importe. Les gens sont attirés par un aimant idéologique qui excite leur curiosité, leur culture, leur désir d’exister et de s’exprimer.
Or, cette idéologie est loin d’être rationnelle et occulte les véritables causes des problèmes vécus par les français.

C’est ce qui s’est passé avec Hitler par le passé. Les Allemands ont été attirés par les discours enflammés de ce dictateur sans s’interroger sur la rationalité de ses propos. Rendre les juifs responsables des problèmes quotidiens de l’Allemagne d’après-guerre et de sa défaite durant la première guerre mondiale comme il a affirmé est dénué de vérité scientifique et de rationalité.

La fuite des penseurs allemands d’origine juive et des démocrates a affaibli l’Allemagne avant même le début de la guerre en 1939. Pourtant les Allemands ont marché avec cette idéologie. Il se passe la même chose avec ce polémiste français. Il accuse les musulmans d’être responsables des déboires des français et de leur malaise. Quelle similitude ?
Notre théorie est donc juste. Le groupe réactionnaire (extrême-droite dans le cas de la France) va certainement nuire à la civilisation française parce que les musulmans vont se retrouver dans la défensive et les acteurs éclairés (philosophes et scientifiques) vont quitter la France. Ensuite, en voulant rétablir la puissance française, l’extrême-droite va faire face à une opposition économique et politique des démocraties. Puis le déclin va commencer jusqu’à anéantir la civilisation française.

Recours à la philosophie de l’histoire : justification de notre approche

Chaque historien développe une vision qui lui est propre sur le déclin de la civilisation. Mais il est très difficile de « falsifier » de telles approches.
Nous avons besoin plutôt d’une théorie qui est basée sur la philosophie de l’histoire dans le sens où elle nous permet de comprendre la genèse et le déclin de n’importe quelle civilisation et pas seulement d’une civilisation particulière.
Des civilisations ont émergé et sont mortes. De nouvelles civilisations sont nées et ont survécu. Il faudrait donc une théorie qui explique ces processus indépendamment de tout déterminisme. Une civilisation peut survivre et peut mourir et elle n’est pas condamnée à mourir.
Il se passe des choses qui expliquent le déclin d’une civilisation qui auraient pu être évitées. C’est pour cette raison qu’Arnold Toynbee parle de suicide de la civilisation. Celle-ci choisit de mourir. A partir de ce constat objectif et logique, il faudrait avoir une théorie qui explique pourquoi une civilisation meurt en sachant que cette mort est provoquée par un processus qui n’est pas inévitable, fataliste et déterministe.
Arnold Toynbee possède une telle théorie. Il explique la naissance d’une civilisation par des défis et des réponses qui deviennent créatives. La civilisation, selon Toynbee, dépend de la créativité d’une minorité qui réussit à mobiliser un prolétariat non créatif. Mais ce succès se retourne contre cette minorité qui a pris le leadership lorsque sa créativité décline. L’échec de la créativité est provoqué par une démoralisation spirituelle et là Toynbee fait vaguement référence à la religion.
C’est alors qu’un processus de désintégration commence. Les masses du prolétariat se démarquent des leaders de la minorité et ces derniers tentent de maintenir leur position en usant de la force au lieu de l’attractivité créative. Une désintégration de la civilisation concerne trois groupes : une minorité dominante, un prolétariat interne et un prolétariat externe représentant les barbares qui guettent aux frontières. Cette désintégration donne libre court à des tendances sociales et à des divisions spirituelles difficiles à prévoir et à expliquer. Lors de ce processus de désintégration, la minorité dominante va créer un état universel impérial qui va unifier tous les territoires appartenant à une civilisation donnée.
Mais lorsque Toynbee aborde la religion sous l’intitulé « église universelle », il la dissocie de la civilisation en la considérant comme une société à part entière distincte de la civilisation et dont le rôle très spirituel mais aussi très métaphysique est de définir une relation directe et personnelle entre l’individu et une réalité transcendantale. Toynbee reconnait cependant que la religion peut être institutionalisée sous la forme d’un groupe rigide et intolérant. Toynbee termine son investigation en rappelant que les civilisations qui sont dans un stade avancé de désintégration sont menacées par les barbares aux frontières de l’état universel crée par la minorité dominante. Ces barbares finissent par envahir ces civilisations déclinantes.
Toutefois, lorsque Toynbee parle de la mort des civilisations, le processus mis en lumière est très complexe, très idéologique et ne reflète pas de manière claire le déroulement d’une chaine causale.
Toynbee affirmeque le signe de l’effondrement d’une civilisation apparait lorsqu’une minorité dominante forme un Etat universel qui répond une créativité politique dans l’ordre social. La minorité dominante tente de tenir par la force la civilisation lorsque sa créativité décline. Le prolétariat répond à cette injustice par le ressentiment, la haine et la violence et se lance dans la sécession. A partir de ce moment, la minorité dominante crée un Etat universel, le prolétariat interne et une église universelle.
Il existe dans le schéma de Toynbee une sorte de créativité dans le processus même de désintégration de la civilisation. Ce processus ne reflète ni une explication unique, ni un phénomène historique unique, ni une chaine causale précise.
Est-ce que Toynbee suppose que la cause de la désintégration d’une civilisation soit le conflit entre la minorité dominante et le prolétariat interne ou la perte de créativité de cette minorité dominante, ou autre chose ? Cette théorie n’est donc pas précise. Au-delà des terminologies difficiles à accepter car trop idéologiques comme cette notion de prolétariat interne, nous pensons que ce processus de désintégration à travers la création par la minorité dominante d’un État universel et la création par le prolétariat d’une Eglise universelle peuvent être difficilement considérés comme des causes de la désintégration de la civilisation.

Dans notre approche, ce qui est appelé le prolétariat ne crée pas d’Eglise universelle et la minorité dominante n’a rien à voir avec l’État universel. Dans une civilisation, il n’y a que deux forces vives dont l’une est la source de la grandeur de cette civilisation et qui crée une sphère scientifique et technique, une rationalité représentée par les scientifiques, les penseurs rationalistes, les philosophes admirant les sciences et des économistes bien intégrés à la politique du pays concerné. L’autre groupe n’est autre que le groupe culturel réactionnaire et idéologique (église universelle dans les civilisations chrétiennes, groupe des savants religieux dans la civilisation islamique, caste de prêtres comme le Clergé d’Amon dans l’Egypte pharaonique, philosophes grecs méprisant les sciences empiriques, extrême-droite dans les démocraties modernes, etc.)

Le premier groupe qui possède un rôle décisif dans la civilisation à travers sa créativité, le développement scientifique qu’elle favorise et le renforcement de la puissance à travers ses inventions, mais également l’adaptation à l’environnement international qu’elle suscite par son dynamisme est le seul qui puisse garantir l’adaptation de la civilisation aux mutations technologiques et économiques qui se produisent dans le monde.
Lorsque le groupe culturaliste, idéologique et nationaliste qui puise sa force dans la satisfaction des besoins culturels et psychologiques de la société (assurance devant les catastrophes naturelles, maintien de l’ordre social, sentiment d’appartenir à une civilisation supérieure aux autres, etc.) mais qui n’est pas la source de la créativité et de l’adaptation entre en conflit avec la sphère progressiste, la civilisation se désintègre puisque le déclin de la sphère scientifique, économique et technique suite au long conflit avec le groupe culturel prive la civilisation de ses capacités d’adaptation et sa disparition devient alors une question de temps.
Les forces négatives d’une société qui sont incapables de créativité sont attirées généralement par le groupe culturaliste en raison du simplisme et du sentimentalisme qui caractérisent son idéologie et son alliance avec l’Etat qui possède par l’entremise de ce système d’un moyen efficace pour contrôler la société.
Voici donc le cycle vie-mort d’une civilisation à travers lequel on peut entrevoir une chaine causale qui traverse le processus grandeur-déclin de la civilisation ainsi qu’une explication unique à ce déclin, à savoir le conflit puis la victoire définitive du groupe culturel qui devient dominant sur la sphère scientifique, économique et technique.
Cette théorie prétend à la scientificité dans le cadre d’une philosophie de l’histoire critique. Mais certains philosophes comme Karl Popper se sont attaqués à cette manière de faire de la philosophie de l’histoire. Dans un livre portant un nom prétendument prophétique et manichéen Misère de l’historicisme, il remet en cause la possibilité d’élaborer une théorie en histoire qui ne peut, selon lui, n’être qu’une hypothèse ou une interprétation non testable. C’est l’argument principal de ce philosophe pour détruite la philosophie de l’histoire qui a été utilisée antérieurement en philosophie des sciences en identifiant une ligne de démarcation entre sciences et non sciences sous le critère unique de testabilité et de réfutation.
Mais en réalité la testabilité n’est pas une caractéristique exclusive, radicale et sans retour dans les sciences physiques. Il existe des concepts scientifiques non testables. En remettant en cause ce critère dans les sciences physiques, nous pouvons contester son utilisation dans la science historique.

Cette méthode critique, ne signifie pas que nous ne prenons pas le risque que notre théorie du seuil de survie des civilisations soit réfutée. Ceci est le véritable jeu de la science. En élaborant cette théorie, nous avons également réfuté la théorie de Toynbee en montrant que notre théorie est plus précise en identifiant la chaine causale. C’est le conflit entre les deux entités dont le résultat est prédictible qui est la cause de la désintégration des civilisations.

Quant à la testabilité, nous pouvons suggérer des simulations d’ordinateurs qui représenteront ce conflit dans une civilisation imaginaire. Si le résultat est confirmé, alors notre théorie devient testable et vérifiée.
Ceci nous amène à ajouter un autre élément : le déclin économique et militaire d’une civilisation ne peut pas aboutir à sa désintégration. C’est uniquement le conflit entre les deux entités vivantes qui est la cause de cette désintégration. C’est une loi générale qui se vérifie dans toutes les civilisations mais elle n’est pas déterministe puisque la civilisation occidentalea survécu jusqu’à maintenant. C’est uniquement dans cette civilisation que le groupe culturel dominant a décliné. Or, l’ascension de l’extrême-droite représente l’apparition d’un système culturel réactionnaire et nationaliste qui menace aujourd’hui la civilisation occidentale.

Mais comme on a déjà expliqué, il y a un seuil à partir duquel une civilisation pourra ou ne pourra pas survivre. Si le système culturel et réactionnaire dominant persiste dans sa domination, alors la civilisation est condamnée. Elle ne peut franchir le seuil de la survie. Mais si le groupe culturel dominant commence à s’effondrer à partir d’un maillon faible et ce processus de désintégration se poursuit pendant suffisamment de temps, alors la rationalité, le progrès, la tolérance, l’innovation survivront et avec eux la civilisation entière. Il n’y a qu’en Occident que ce processus s’est réalisé. Les civilisations byzantines, chinoises et musulmanes n’ont pas survécus durant une période allant de la fin du Moyen Age jusqu’à l’époque moderne en passant par la Renaissance parce que leurs groupes culturels et réactionnaires ont pris le dessus et n’ont pas permis à la civilisation de franchir le seuil de survie.
On peut prendre des exemples : La civilisation grecque, la civilisation byzantine et la civilisation chinoise. La comparaison avec d’autres civilisations permet de comprendre et de vérifier scientifiquement notre théorie.

Les civilisations byzantines, chinoises et musulmanes n’ont pas survécus durant une période allant de la fin du Moyen Age jusqu’à l’époque moderne en passant par la Renaissance parce que leurs groupes culturels et idéologiques dominants ont pris le dessus et n’ont pas permis aux civilisations de franchir le seuil de survie.
A Byzance, le système ecclésiastique orthodoxe était dominant à Constantinople et dans toute la Turquie byzantine. Pour ne donner qu’un exemple de cette forte domination, il suffit de citer la querelle des icônes qui a fait des milliers de morts dans cette grande cité et qui s’est déclenché à partir du IIème siècle apr. J.C et a duré jusqu’au IXème siècle et ce, juste pour que la religion officielle puisse interdire de garder les iconographies dans les églises, les bâtiments publics et les maisons privées.

L’orthodoxie qui était à son apogée à cette époque était opposée à cette pratique pourtant banale dans le monde chrétien et dans l’histoire glorieuse de la civilisation byzantine.
Si une simple pratique artistique était anéantie dans le sang, alors que dire d’une révolution scientifique avec ses implications intellectuelles et philosophiques. Le groupe culturel, idéologique et réactionnaire à Byzance a tué dans l’œuf aussi bien la création artistique que les efforts des écoles aristotélicienne et platonicienne.
Concernant la civilisation chinoise, Joseph Needham nous explique qu’au XVIIe siècle, les mandarins chinois étaient horrifiés par les déclarations des jésuites qui s’efforçaient d’expliquer aux intellectuels chinois l’importance de la révolution scientifique qui avait court à l’époque en Occident
L’existence de lois scientifiques et mathématiques pouvant permettre d’expliquer les phénomènes de la Nature était quelque chose d’inacceptable pour eux. Leur groupe culturel dominant s’appuyait sur une bureaucratie de lettrés dont la fonction principale était de servir l’Empire et de préserver l’ordre et la stabilité. Ce système avait pour philosophie, une vision de la Nature basée sur un accord spontané et une harmonie qui ne peut faire l’objet d’aucune explication humaine et surtout pas de nature scientifique
Par ailleurs, les Chinois ne voyaient pas d’un bon œil les efforts pour formuler des lois abstraites et précises susceptibles d’être généralisées au monde naturel en raison des mauvais souvenirs laissés par les légalistes durant la période féodale. Lorsque la bureaucratie s’est constituée, aucun intérêt n’a été exprimé pour formuler des lois a fortiori dans le domaine scientifique.
A cela, il faudrait ajouter une certaine léthargie provoquée par le confucianisme qui fut l’une des plus importantes composantes du groupe système culturel dominant en Chine. Needham a bien fait de faire remarquer dans le second volume de son livre que les disciples de Confucius étaient versés dans la morale sociale et l’organisation de la société à un point tel qu’il n’y avait plus d’espace pour des recherches sur la nature.
Pour un auteur comme Needham, on peut comprendre toute l’ironie de cette histoire lorsqu’on sait que les Chinois avaient inventé la boussole, l’imprimerie, la poudre et le papier et beaucoup d’autres choses qui ont été les ingrédients de la révolution scientifique et de l’émergence du capitalisme en Occident.
Ceci montre seulement que l’apparition de facteurs matériels et intellectuels même cruciaux pour la révolution scientifique n’est pas en soi suffisante pour créer une « résilience » du progrès scientifique.
A Byzance au plus fort et à l’apogée de l’orthodoxie, la présence d’un trésor de livres de philosophes et de scientifiques grecs ainsi que de la langue grecque elle-même n’ont pas été des facteurs suffisants. La survie de la révolution scientifique est un problème culturel et non pas matériel ou intellectuel.
Prenant un autre exemple, Moses Finley dans un livre très synthétique et précis sur les anciens Grecs affirme que même si ce peuple antique a réalisé des choses remarquables pour la science comme la géométrie d’Euclide, l’astronomie de Ptolémée, l’atomisme de Démocrite et la médecine hippocratique qui auraient été, selon l’auteur, susceptibles d’entrainer une véritable révolution scientifique, il y avait quelque chose de plus profond et de plus psychologique qui a empêché une telle révolution.
La science et la philosophie en Grèce ont été pratiquées par des classes aisées et aristocratiques. Pour ces classes, les seuls activités pratiques ont été la guerre, la politique, la poésie et la rhétorique. Ce sont pour Finley une techne et non une episeme (une science). Tous les travaux manuels, y compris les recherches empiriques qui sont généralement nécessaires à la science appartiennent pour les Grecs à un ordre inférieur par rapport à la philosophie.

Les plus grands philosophes de l’époque comme Platon ont méprisé les travaux manuels et les expériences empiriques en leur préférant la métaphysique et l’ontologie des idées ainsi que les mathématiques qui est une science a priori abstraite. Quant à Aristote, malgré son intérêt pour l’expérience et le monde empirique, il a consacré néanmoins beaucoup de travaux à la politique et à la rhétorique qui ont été les occupations principales des classes dominantes.
Finley ajoute que peu importe le caractère apparemment minoritaire de ces classes, ces dernières ont déterminé par leurs actions toute l’histoire de la Grèce même si celle-ci ait produit les intellectuels qui ont consacré leurs travaux à la science et à la philosophie.

Cet effort grandiose a détourné l’attention des choses pratiques à travers un système de valeurs particulier qui et basé sur la philosophie et les arts précités. Pour ma part, je préfère à cette définition, celle qui fait référence à un groupe culturel et intellectuel dominant. Le groupe culturel constitué des classes aisées et des philosophes a éclipsé le monde des artisans, des techniciens et des expérimentateurs et aucune percée technique n’a été vraiment réalisée dans l’agriculture, l’art de la guerre, l’irrigation, etc.

Finley a imputé cette évolution à l’absence chez la société d’une mentalité et d’une motivation nécessaire pour réaliser une efficacité et une productivitéainsi que d’un penseur doté au plus haut point d’un esprit pratique comme Bacon. Mais une telle interprétation n’est pas totalement adéquate et ne reflète réellement cette évolution.
Si la sphère technique a été éclipsée c’est en raison de la domination du système des classes aisées et des philosophes. On raconte que les apôtres de Jésus ont visité des cités grecques et ils y ont trouvé des philosophes avec lesquels discuter. Ceci montre le poids de cette sphère culturelle et intellectuelle qui n’a laissé aucune place aux scientifiques. On peut voir que peu importe la nature intrinsèque du système des valeurs de ce système dominant, il finit toujours par avoir raison de la sphère scientifique et technique et faire décliner à terme la civilisation entière.
La survie matérielle d’une civilisation dépendra de la technique et des sciences pour lui permettre non seulement de dominer la nature mais également de se défendre contre ses adversaires de l’extérieur. Il suffit de voir par exemple la muraille de Chine qui est un chef d’œuvre architectural et militaire qui a été pour longtemps une barrière aux envahisseurs turco-mongols. C’est avec les canons que les Ottomans sont venus à bout des Byzantins. C’est aussi avec le feu grégeois que Byzance a résisté à tant d’envahisseurs et en particulier les arabes. Dans les temps modernes, Weismann a poussé les britanniques a faire la déclaration Balfour qui a ouvert la voie à la création de l’Etat d’Israël en inventant l’arme qui a permis aux britanniques de faire la guerre : l’explosif artificiel.
L’Occident a colonisé des peuples entiers grâce à ses techniques. Mais lorsque la sphère scientifique et technique est menacée par un groupe culturel réactionnaire qui commence à un stade donné de l’histoire d’une civilisation à prendre le dessus et à priver cette sphère technico-scientifique d’espace pour s’exprimer et se développer, cette civilisation décline.
Mais il n’y a pas que les sciences et les techniques, il y a aussi la rationalité et l’objectivité. Lorsqu’un groupe culturaliste et essentialiste développe une vision de la société, de la politique et de l’économie qui ne sont pas rationnelle et objectives, la civilisation décline aussi. Au Moyen-Âge, la civilisation islamique a commencé à décliner à partir du moment où le mouvement rationaliste mut’azilite a été détruit au 9ème siècle par les hanbalites et les acharites qui avaient une vision traditionnelle et culturaliste.
On peut le voir avec l’extrême-droite en France dont le représentant le plus en vue aujourd’hui est Éric Zemmour. Ces idées si elles ne sont pas fausses, sont loin d’être objectives et rationnelles. Il nous donne des chiffres alarmants sur l’immigration sans que personne ne puisse les vérifier.
Ces projections sont également erronées (le taux de croissance de la communauté des immigrés, le taux de chômage, le changement climatique, l’économie française, l’Union européenne). On se rappelle tous la citation de Joseph Goebbels « Plus le mensonge est grand, plus il passe ».
Nous allons maintenant expliquer la nature exacte du discours du groupe culturaliste et essentialiste qui prend selon les époques et les civilisations des noms différents (philosophes grecs hostiles à l’expérience, clergé d’Amon, acharites et hanbalites musulmans, église orthodoxe byzantine, confucianisme chinois, nazisme allemand, extrême-droite française).
Cette nature n’est autre que magique et ce qui est magique est attrayant et séduisant. Mais la caractéristique principale du discours magique est son in-falsifiabilité, c’est-à-dire la difficulté de le réfuter.

Le secret du groupe culturaliste, nationaliste et essentialiste (cas de extrême-droite)

La force d’un discours d’un groupe culturaliste, nationaliste et idéologique est sa nature magique.Afin de comprendre cette nature magique, il faut utiliser la théorie proposée par Durkheim sur l’origine des croyances magiques.
Selon ce dernier, la rationalité est une propriété unique, indivisible et homogène de l’humanité, mais le comportement et la vision des hommes dépendent de théories échafaudées au fur et à mesure pour « tenter de comprendre le monde et d’agir sur lui ». Ces théories ne sont pas identiques d’une culture à l’autre, tout comme elles sont différentes, dans une même culture, d’une époque à l’autre. Le savoir des hommes et leur comportement sont tributaires des idées qui sont élaborées à partir de théories très différentes si on passe d’une culture à une autre
Selon la théorie de Durkheim, le savoir des non-occidentaux (primitifs) n’est pas basé sur la rationalité et l’inférence causale et il n’existe pas chez eux de théories scientifiques pour les sciences comme la physique proprement dite
Durkheim appelle primitifs tous les peuples qui n’appartiennent pas au monde occidental qu’ils soient historiques ou contemporains. D’ailleurs, la puissante domination des systèmes culturels est similaire aussi chez bien les peuples historiques que chez les peuples contemporains.
Les croyances de ces peuples sont tirées de l’expérience. Mais celle-ci dépend des représentations théoriques dont le primitif a besoin pour comprendre ce qui l’entoure. Surtout lorsque les phénomènes qui l’entoure sont liées aux cycles naturels et les éléments de la subsistance biologique.
« La conduite de la vie quotidienne, mais aussi la production agricole, la pêche ou l’élevage reposent dans les sociétés traditionnelles sur toutes sortes de savoir-faire. Pour une part, ceux-ci y sont tirés de l’expérience. Mais les données de l’expérience ne peuvent prendre sens que sur le fond de représentations théoriques de la vie, de la croissance, de la mort, de la nutrition et, de manière générale, des processus vitaux. Ces représentations ne pouvant être directement tirées de l’expérience, le « Primitif » les déduira normalement du corpus de savoir tenu pour légitime dans la collectivité dont il est membre » disait-il.
C’est finalement l’esprit magique qui constitue le fondement du groupe culturel dominant puisqu’elle fédère un ensemble de croyances et permet de coordonner les données de l’expérience sensible. « Dans le cas des sociétés qu’envisage Durkheim, ce sont les doctrines religieuses qui fournissent des explications du monde permettant de coordonner les données de l’expérience sensible. Ces doctrines jouent donc dans les sociétés traditionnelles le rôle de la science dans nos sociétés : comme les théories scientifiques, elles proposent une explication du monde. Quant aux croyances magiques, elles ne sont autres que les recettes que le « Primitif » tire de cette biologie qu’il construit à partir des doctrines religieuses en vigueur dans sa société ».
Il n’est pas toujours facile de remettre en cause une théorie magique lorsque celle-ci se montre inefficace. Le primitif trouve toujours la composante secondaire qui est défectueuse afin de préserver le conglomérat que forme le groupe culturel et idéologique.
La thèse Duhem-Quine a montré qu’une théorie est un tout qui n’est pas facile à remettre en cause lorsqu’une expérience contredit quelque chose dans la théorie. On ne peut rejeter tout un édifice théorique au motif que quelque chose ne va pas. Par exemple, les Grecs n’ont pas abandonné le culte de Delphes lorsque celui-ci avait prédit la victoire des Perses durant les Guerres médiques. Par ailleurs, lorsque les rituels ne donnent pas les résultats escomptés, on trouvera toujours une explication pour les sauvegarder (les dieux sont de mauvaise humeur par exemple). Dans le célèbre film réalisé par Mel Gibson Apocalypto on voit une scène qui reflète bien une telle situation. Ayant constaté l’apparition d’une éclipse solaire au moment de faire un sacrifie humain, le grand prêtre aztèque arrête la cérémonie au motif que le Dieu solaire Kulkulan soit rassasié. Il avait trouvé une explication pour préserver le système culturel devant une foule ébahi et pensive.
Durkheim avec un éclair de génie imagine que dans les cultures non occidentales, on préserve les théories magiques et religieuses parce qu’il n’est pas facile de remplacer les théories défectueuses par des théories nouvelles.

«…Les sociétés traditionnelles sont caractérisées par le fait que les interprétations du monde auxquelles elles souscrivent sont faiblement évolutives. Le marché de la construction des théories y est peu actif, et il est normalement moins concurrentiel s’agissant des théories religieuses que des théories scientifiques » a-t-il affirmé.
Par ailleurs, les croyances fausses peuvent être appuyées par des occurrences qui se réalisent et ce, d’autant plus que le système d’explication est fortement présent. Durkheim donne l’exemple des rituels de pluie. La pluie a plus de chance de tomber lorsque les récoltes ont en besoin. Par conséquent, les rituels sont souvent confirmés par la réalisation du résultat escompté. « Si l’on classe par exemple les jours de l’année selon deux variables binaires X (avec les valeurs x = rituel de pluie pratiqué, x’ = rituel non pratiqué) et Y (y = journée pluvieuse, y’= journée non pluvieuse), on doit s’attendre à ce que la fréquence avec laquelle la pluie tombe soit plus grande lorsque le rituel a été accompli ».
Comparons maintenant cette culture magique avec les propos d’extrême-droite de Zemmour. Ce dernier a établi des chiffres et des corrélations entre ces chiffres qui sont loin d’être exactes. Il a par exemple dit qu’à la fin du mandat d’Emmanuel Macron, « il y aura deux millions d’étrangers en plus ». Dans ces chiffres, il a comptabilisé deux fois certaines personnes en confondant entre les les demandes de titre de séjour et les demandes d’asilesalors qu’un sur six des demandes de séjour sont des demandes d’asile. Par ailleurs, Zemmour ne déduit pas dans ces chiffres, les étudiants qui quittent le territoire français et qui représentent un tiers des titres de séjour délivrés. Il lance également l’idée que la fraude sociale en France a atteint 50 milliards d’euros. Ce chiffre est le double du chiffre réel.
Par ailleurs, Éric Zemmour relativiste la pénurie de main d’œuvre au Royaume-Uni suite au Brexit par une hausse des salaires. Or, celle-ci selon les études économiques, a été induite par des causes qui n’ont rien à avoir avec le Brexit et sont plutôt inhérentes à la période post-pandémie du Covid.
Sur un plan historique, il avance des idées basées sur l’existence d’une menace islamique à la civilisation occidentale comme celles relatives au grand remplacement en se basant sur ces chiffres sur l’immigration.
En revenant à ce qui a été dit sur la pensée magique, on peut dire selon l’ordre d’idées de Durkheim que ces croyances sont d’abord tirées de l’expérience. Les propos de Zemmour ne sont pas basés sur la rationalité et l’inférence causale et il n’existe pas chez lui une théorie scientifique.

Elles sont dépendantes de représentations théoriques élaborées par Zemmour, ses émules et ses adeptes pour comprendre ce qui les entourent, surtout lorsque des phénomènes comme l’immigration, la survie de la civilisation chrétienne et de la France sont étroitement liées à leur inconscient, à leurs croyances mythiques et qui sont existentielles. Comme le dit Durkheim en se référant aux sociétés primitives, les données de l’expérience ne peuvent agir que sur le fond de représentations théoriques sur l’identité française, sa durabilité dans le temps, sa dimension religieuse, la conscience du déclin de la société et de l’Etat qui est perpétuée par la culture et les travaux des penseurs xénophobes et islamophobes. Par conséquent, ces représentations ne peuvent pas être directement tirées de l’expérience. Les membres de l’extrême-droite les déduiront du corpus de savoir tenu pour légitime dans la collectivité dont ils sont membres. Comme nous le rappelle Durkheim, il n’est pas facile de remplacer les théories défectueuses par des théories nouvelles.
Il n’est aisé pour Zemmour de remplacer ses théories sur le grand remplacement et il n’a jamais cessé de les exprimer avec une velléité égocentrique même si elles sont défectueuses.
Par ailleurs, les croyances fausses de Zemmour peuvent être appuyées par des occurrences qui se réalisent étant donné la présence d’un système d’explication. Il peut sembler que des problèmes de sécurité comme des attentats à petites échelles se produisent en France comme partout en Europe et dans le monde. Par conséquent, le discours anti-islamique de Zemmour donne l’apparence d’être confirmé par ces occurrences alors que ce sont de simples et malheureusescoïncidences.
Enfin, la plupart des propos de Zemmour sur un large éventail de questions reflètent exactement la prédiction de Duhem-Quine selon laquelle une théorie est un tout qui n’est pas facile à remettre en cause lorsque la réalité scientifiquement parlant contredit quelque chose dans la théorie. Par exemple, lorsqu’on lui dit qu’au Royaume-Uni a connu une pénurie de main d’œuvre suite au Brexit, il affirme qu’il y a eu dans ce pays une hausse des salaires. Or, cette hausse a été provoquée par des facteurs complexes dans un contexte de pandémie du Covid. Ainsi, il trouve un expédiant pour sauver sa théorie sur le grand remplacement exactement comme ce prêtre aztèque qui a expliqué l’éclipse solaire qui est intervenue au moment d’un sacrifice dédié au dieu solaire par le fait que ce dernier soit rassasié (dans le film Apocalypto).
Par conséquent, le discours de Zemmour est de nature magique et particulier au groupe culturaliste et idéologique d’extrême-droite. Ce discours se situe en rupture avec la rationalité. Dès lors que le discours de l’extrême-droite est irrationnel, il est susceptible de provoquer à long terme le déclin de la civilisation.

Conclusion

Notre théorie du seuil de survie des civilisations permet d’expliquer le déclin des civilisations en s’inspirant de la philosophie de l’histoire. Cette théorie possède une explication unique à un phénomène historique unique à travers l’identification d’une chaine causale précise.
Il peut exister plusieurs facteurs qui accélèrent le déclin d’une civilisation. Mais la cause unique de ce déclin est le conflit entre le groupe culturaliste, essentialiste et idéologique (philosophes méprisant l’expérimentation chez les anciens Grecs, église universelle orthodoxe dans le cas de l’Empire byzantin, Oulémas acharite dans le cas de l’Empire ottoman, Confucéens et tenants de la bureaucratie impériale dans le cas de la Chine de l’époque allant de la fin du Moyen Age à la Renaissance) et le groupe progressiste et éclairé. Dans le cas de la France aujourd’hui c’est l’extrême-droite qui représente le groupe culturaliste, idéologique et nationaliste et c’est lui qui mènera à la tombe la civilisation française s’il parvient au pouvoir.
Voilà un peu ce qu’on peut dire de la théorie du seuil de survie des civilisations. Mais comme on a déjà expliqué, il y a un seuil à partir duquel une civilisation pourra ou ne pourra pas survivre. Si le groupe culturel et idéologique persiste dans sa domination, alors l’économie et la science seront condamnées. Ils ne peuvent franchir le seuil de la survie. Mais si ce groupe commence à s’effondrer à partir d’un maillon faible et ce processus de désintégration se poursuit pendant suffisamment de temps, la civilisation entière survivra.
Historiquement parlant, durant l’époque de la Renaissanceen Occident, ce processus s’est réalisé. La science s’est développée en Occident et a décliné dans les autres civilisations après des périodes de croissance. On cherche à expliquer ce phénomène asymétrique en recourant à des considérations d’ordre externe, politique, économique, idéologique alors qu’on pourrait l’expliquer, tout simplement, par un ensemble de caractéristiques qui marquent ce groupe progressiste : éclairé, objectivité, rationalité, universalisme, scientificité, écoute, coopération, diversité, droit à la différence, tolérance et cosmopolitisme. Le groupe rival présente des caractéristiques opposées : idéologie, nationalisme, pensée unique, manichéisme, rivalité, essentialisme, culturalisme.
C’est paradoxalement le caractère souple et progressiste du savoir de la renaissance qui a permis à celle-ci de s’immuniser contre les réfutations et les destructions qui sont de causes diverses. Tout au contraire, les autres systèmes de croyances et de savoir ne sont pas immunisés de la même façon. Soit, ils perdurent en dominant tout l’horizon et l’environnement intellectuel d’une civilisation, soit ils déclinent totalement pour ne laisser que peu de traces, ce qui, en l’occurrence, le cas de l’idéologie d’extrême-droite.

Cette étonnante caractéristique est inhérente à l’unité des groupes culturels, idéologiques et nationalistes comme on l’a longuement expliqué. Dès qu’une pièce du puzzle ou une pierre de l’édifice tombe, le système tout entier s’écroule. Par exemple, le coup porté par la théorie copernicienne au système aristotélicien parrainé par l’Église tout au long du Moyen Âge lui a été fatal. De même, il faudrait une nouvelle théorie copernicienne pour faire tomber l’extrême-droite. Je ne peux pour le moment que proposer les paradigmes du vivre-ensemble, de la diversité et du droit à la différence. Il faudrait que le groupe progressiste français produise des idées rationnelles pour détruire les idées réactionnaires de l’extrême-droite qui a failli une fois sous le régime de Vichy faire disparaître la France à la fin de la seconde guerre mondiale, ce qui confirme d’ailleurs notre théorie sur le seuil de survie des civilisations.

Rafik Hiahemzizou

Philosophe et essayiste.

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