Des conséquences non seulement économiques
Les conséquences du confinement sur l’économie réelle sont lourdes : diminution des ressources des ménages, hausses des prix, perte d’emploi, faillites, débouchant parfois sur des issues dramatiques, comme le suicide de travailleurs. De tels scénarios laissent entrevoir que la dégradation n’est pas uniquement matérielle ; la détention à domicile s’est accompagnée d’une détresse psychologique notoire qui a favorisé l’émergence de troubles psychiatriques au sein de la population. L’isolement social a en effet favorisé le développement de syndromes dépressifs et anxieux, notamment au sein de larges couches sociales, fragilisées par les nombreuses contraintes sanitaires et par le discours anxiogène qui en découle. Selon des recherches récentes réalisées par Santé publique France et menées sur la santé mentale des Français, 20 % d’entre eux souffriraient d’un état dépressif (soit 10 points au-dessus de la norme hors épidémie) et 21 % des Français seraient en proie à un état anxieux (avec une augmentation de 7,5 points par rapport au niveau habituel). L’étude révèle également une forte hausse des troubles du sommeil, ainsi qu’un accroissement des pensées suicidaires, et conclut à une dégradation générale de la santé mentale de la population, en particulier « les personnes en situation de précarité (emploi, finance, logement), les personnes ayant des antécédents de trouble psychologique et les jeunes (18-24 ans) ». Les données montrent en effet que les couches les plus précaires de la population, qui déclarent être en proie à une situation financière très difficile, sont évidemment les plus touchées par les troubles dépressives.
Ces résultats confirment que les mesures gouvernementales, en plus de leur impact délétère, renforcent les disparités existantes : les plus vulnérables s’y plient et en subissent les conséquences, tandis que l’élite continue à jouir de son train de vie. Dans ce sens, la polémique des dîners clandestins prouve que le sommet de la pyramide doute de l’efficacité des restrictions imposées au peuple, et à fortiori, de la pandémie…
A l’opposé de cette caste, les plus jeunes sont touchés de plein fouet par les limitations arbitraires. Plusieurs pédopsychiatres, psychologues et travailleurs sociaux alertent sur la recrue des sens des troubles psychiatriques chez les enfants et les adolescents. Idées suicidaires et passages à l’acte augmentent significativement, au point que certains services pédopsychiatriques, comme à Strasbourg, arrivent à saturation. Le soin est rendu plus difficile du fait que les professionnels eux aussi sont soumis à de fortes contraintes, autant légales que psychologiques. La crise sanitaire a en effet impacté non seulement la personnalité des professionnels, qui doivent faire face à une recrudescence de cas psychiatriques et à une atmosphère mortifère avec comme conséquence une charge mentale accrue, mais également leurs pratiques professionnelles. Les consultations se font avec porte de masque obligatoire, ce qui réduit le lien thérapeutique avec les patients, dont une partie importante est rendue possible non seulement par la parole mais aussi par l’accès visuel au visage de l’autre. Avant la pandémie, le professionnel serrait la main de la personne qu’il allait accueillir et faisait de même une fois la consultation terminée ; maintenant, cela est formellement interdit, proscrivant ainsi ce geste à l’apparence si anodin mais socialement structurant et, surtout pour les personnes les plus fragiles et socialement isolées, fondamental. Les activités de groupe (groupes de support, activités en plein air, ateliers thérapeutiques…) sont fortement limitées quand elles en sont tout simplement pas annulées. Pour beaucoup de personnes qui bénéficient de ce type d’accompagnement, le groupe thérapeutique était quasiment la seule occasion pour socialiser et ainsi sortir de chez eux, donnant un sens à leur semaine. Heureusement que Netflix et les réseaux sociaux sont là pour pallier ce manque de contact humain !
Cet état de choses pousse certains services à opérer un « tri » entre les situations jugées « prioritaires » et celles qu’ils estiment pouvoir « tenir » encore quelques semaines, le temps qu’une place se libère. Une catastrophe lorsqu’on se rend compte qu’il faut parfois attendre plusieurs semaines pour hospitaliser un adolescent ou un alcoolique qui s’est engagé en un parcours de soin et qui attend de pouvoir se sevrer.
Netflix, drogues et anxiolytiques
Et si Netflix (+22% d’abonnés en 2020 par rapport à 2019) et les techniques de relaxation ne suffisent pas ? C’est alors qu’intervient le psychotrope, cette caricature d’hostie postmoderne dont les Occidentaux, soucieux de créer un monde délivré de tous les malheurs de l’âme, sont si friands. On ne sera alors guère surpris de constater que, entre mars et septembre 2020, les ordonnances d’anxiolytiques ont augmentés de plus d’un million par rapport à l’attendu, ce qui représente une hausse de +5% par rapport à l’année précédente dans la même période. Si les antidépresseurs et la délivrance de médicaments de substitutions pour les addictions aux opiacés et à l’alcool sont restés globalement stables, les somnifères ont, quant à eux, augmentés aussi, avec +480.000 prescriptions sur les six mois.
Les indicateurs sont en hausse également pour les consommations de tabac, drogues et alcool. Si pendant le premier confinement, et cela grâce aussi à l’effet surprise et à la quasi impossibilité, de la part des dealeurs, de se refournir en produits illicites, les consommations n’avaient pas augmentées, cela a fortement changé depuis le second semestre de 2020. Un rapport d’Addictions France a souligné qu’un usager sur trois a augmenté ses consommations ; autrement dit : des consommateurs habituels, un tiers a augmenté ses prises de produit. La conclusion de cette étude est on ne peut pas plus claire : « Cette étude révèle que la crise sanitaire et les confinements associés favorisent les conduites addictives, notamment chez les populations les plus fragiles. »
Certains chiffres doivent nous donner du grain à moudre. Par exemple, d’apprendre que le 58% des personnes ayant déjà été suivies pour un problème d’addiction ont augmenté leur consommation d’anxiolytiques (vs 33% en moyenne), et que 3 étudiants sur 4 ont augmenté le temps passé devant un écran, en dehors de leurs études. Cette addiction aux écrans semble en effet avoir été induite par les cours à distance, qui se passent exclusivement sur tablette. D’ailleurs, l’OMS, qui avait officiellement reconnu le trouble du jeu vidéo en mai 2019, avait, à l’occasion du premier confinement, recommandé l’usage de jeux vidéo pour contrer le stress et promouvoir les nouvelles mesures de distanciation sociales.
Isolement, cours en distanciel, absence de cadre scolaire et d’activités sociales compliquent ces périodes charnières de construction personnelle. Certains spécialistes évoquent la venue d’une « génération brouillard », en perte de repère, plongée dans les angoisses existentielles et le manque de perspectives à venir. Nombre de jeunes évoquent en effet la perte de sens en l’obtention du BAC en 2020, et les problèmes à entamer des études universitaires. La récente réponse du gouvernement, qui prévoit d’augmenter les aides psychologiques pour les étudiants universitaires en détresse les fait doucement sourire, car ce n’est pas d’une aide psychologique qu’ils sentent avoir besoin, mais bel et bien de reprendre à aller en cours et pouvoir se rencontrer entre nouveaux camarades.
A l’âge de l’émancipation et de l’autonomisation, cette jeunesse sacrifiée se sent cloisonnée, infantilisée : comme condamnée à l’errance en l’absence de visibilité sur son futur, elle est touchée par la perte de sens, cataclysmique sur le plan du bien-être mental, déjà à l’œuvre dans nos sociétés modernes.
Vers un effondrement de la Cité ?
De telles retombées psychiques rappellent que les rapports sociaux sont constitutifs de notre nature. Par nature, et comme l’avait distinctement identifié Aristote, l’homme est un animal politique, être de liens avec ses semblables. C’est aussi pour cette raison que la finalité de la cité, communauté la plus haute, est le bien-vivre ensemble, la vie bonne et heureuse : « Une communauté politique est la communauté des familles et des villages dans une vie parfaite, selon nous, dans le fait de vivre conformément au bonheur et à la vertu. Nous devons donc poser en principe que la communauté politique existe en vue de l’accomplissement du bien, et non pas seulement en vue de la vie en société ».
Le mal-être galopant éclaire ainsi la faillite de la gouvernance de notre cité, si tant est qu’elle ait eu, un jour, le bonheur de ses sociétaires en ligne de mire. C’est pourtant en vue de l’intérêt général que le gouvernement nous somme d’obéir, mais à y regarder de plus près, l’imposition anti démocratique des privations de libertés et de contact social pour motif sanitaire n’a pu se justifier qu’en résumant la vie à une donnée biologique. Les retombées sur la qualité de la vie sont effectivement immenses. Une sacralisation de la vie, prémunie du risque de la mort, semble au cœur des discours dominants ; mais il s’agit là d’une vie mécanique, technique, liquidée de ce qui la rend humaine. La confiscation des libertés, de la sociabilité, des relations, édictée au nom de la protection de la vie, est précisément ce qui la déshumanise. Ces mesures sont une perte d’humanité à laquelle on ne saurait se résoudre, et contre quoi il nous faut lutter sans réserve. Il est alors impératif de réintégrer le risque de la mort comme corollaire du vivre, mais d’un vivre véritablement humain, émancipateur. Du capitalisme au prétexte du virus, contre toutes les tentatives de réification de notre condition à l’état d’outils assujettis et atomisés, rassemblons-nous et réaffirmons notre puissance de vie : ensemble et libres !
Camille Mordelynch et Maxence Smamiotto
Article paru dans le Rébellion 92 ( rentrée 2021) disponible en vente sur le site de la revue : https://rebellion-sre.fr/boutique/
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