« La société évolue et cela doit se refléter dans le droit », estime le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette. Pour ce faire, il propose le projet de loi no 2 de l’actuelle session parlementaire qui comprendra des balises pour encadrer la gestation pour autrui (GPA), mieux connue sous le vocable des « mères porteuses ». Les plus nobles intentions – ici, donner la vie – risquent toutefois de faire écran aux enjeux éthiques les plus sensibles.
Le phénomène n’est pas complètement nouveau. Dans un article de la BBC soulignant sans vergogne que « le monde a besoin de règles pour ‘vendre’ des bébés », on apprend que la maternité de substitution – ou gestation pour autrui – est une pratique millénaire.
C’est pas faux.
En fait, même la Bible rapporte que le vieil Abraham a eu recours aux services reproductifs d’Agar, la servante de sa femme, puisque celle-ci, plus très jeune non plus, ne pouvait lui offrir une descendance. Mais ce n’est pas exactement vrai non plus parce que même si on peut forcer un rapprochement entre le père Abraham et Joël Legendre, le contexte actuel (mondialisation et percées en biotechnologie) est inédit et change gravement la donne.
Notons tout de suite que le simple fait qu’une pratique existe depuis la nuit des temps ne garantit en rien sa contribution au bien commun. Ne pensons qu’aux bavures de guerre, aux violences sexuelles et à l’esclavage. D’ailleurs, ce chapitre de la vie d’Abraham n’est pas spécialement couronné de succès.
Ba(na)liser la situation
Pour l’heure, le contrat entre les « parents d’intention » et la mère porteuse n’a aucune valeur légale. Les instigateurs du projet parental peuvent donc se retirer de l’entente à tout moment de la grossesse (et même une fois l’enfant né), tout comme la mère porteuse pourrait encore refuser de « rendre » un enfant qu’elle aurait porté mais qui avait été projeté par le couple commanditaire.
Le législateur a donc voulu baliser la situation.
Baliser, donc normaliser. Et normaliser, donc banaliser.
Il fallait absolument encourager une GPA éthique[1] et fournir un cadre législatif à une pratique déjà existante, « pour le plus grand bien des enfants », dit-on.
Dès l’adoption de la loi 2, le contrat – notarié, comme pour une hypothèque ou une importante transaction financière – ne pourra être résilié. Un juge pourra donc contraindre les parents d’intention à accueillir l’enfant porté neuf mois par la mère porteuse même s’ils changent d’idée en cours de grossesse. Bonjour l’ambiance à la maison!
Or, ce n’est ni notre sens aigu des emmerdes ni, diront les mauvaises langues, notre attachement maladif au modèle familial patriarcal qui nous poussent à crier haut et fort qu’il y a subterfuge. En fait, pour tout dire, c’est exactement le contraire : c’est au nom de la liberté, de la dignité de la personne et justement contre un patriarcat qui s’ignore que nous protestons ici.
Le management de la vie
Il faut l’avouer d’emblée, la GPA n’était que le chainon manquant d’un vaste dispositif déjà en place dans la plupart des foyers modernes : le projet parental.
Résumons grossièrement.
En quelques décennies nouvel esprit du capitalisme (i.e. la gestion par projet) s’est immiscé dans la sphère intime de la famille de telle sorte qu’on en est venu à concocter un enfant selon les règles de base du management. Le couple moderne raisonnable empruntera aux techniques de gestion de projet les étapes nécessaires à la réussite d’un projet parental :
- Planifier à tout prix le bon moment de la conception pour éviter que cela nuise trop à la carrière de l’un ou au prochain voyage de l’autre;
- Organiser les conditions matérielles de la grossesse et de l’arrivée du petit Jean-Bertrand en prenant soin de peindre la chambre de la bonne couleur avant l’accouchement;
- Diriger les opérations, entouré des bons partenaires, et mener l’exécution du projet (nous vous épargnons les détails, mais nous sommes confiants que votre imagination fera bien le reste);
- Contrôler la qualité du produit de la conception par une batterie de tests et de dépistages prénatals.
Ainsi, bien avant que la technologie biomédicale permette à des couples stériles (qu’ils soient homosexuels ou hétérosexuels) d’avoir des enfants, toute notre façon de gérer l’émergence de la vie dans nos foyers faisait le lit de ce projet de loi du ministre Jolin-Barrette.
De l’enfant-projet à l’enfant-droit, il n’y avait qu’un pas. Et ce pas a été franchi le 7 juin 2002 avec la loi 84, faisant désormais reposer la filiation non plus sur la biologie mais sur le projet parental. Quelques juristes levèrent timidement la main pour signifier qu’il serait préférable que l’enfant soit le sujet du droit et non son objet. Trop peu trop tard, c’était le progrès, et Dieu sait qu’on n’arrête pas ce bulldozer avec de jolis principes anthropologiques.
Dans ce contexte législatif, que la gestation pour autrui ait pris presque vingt ans avant d’être encadrée et reconnue par la loi québécoise relève de l’anomalie. À moins que l’on trouve des explications du fait de quelques remords archaïques ayant osé barrer la route à une instrumentalisation (parfois consentante) du corps de la femme pour le projet d’hommes (et aussi de quelques femmes, c’est vrai).
Et peut-être qu’il nous restait des relents de pudicité et d’honneur devant l’invasion croissante d’un capitalisme qui n’a cure des frontières de l’intime, du don, de l’amour et de la vie.
Quand la babybusiness se pourlèche les babines
Bien sûr, on nous proposera une GPA éthique, des mères porteuses altruistes et humanistes, désintéressées comme des Mère Térésa. Jamais nous n’oserons douter des intentions de ces femmes[2].
Toutefois, même si nous fermons les yeux sur l’exploitation sans fards de centaines de femmes dont la dignité est bafouée dans les « usines à bébés » en Asie et en Europe de l’Est, il n’en demeure pas moins que le babybusiness d’ici se pourlèche les babines avec l’ouverture d’un nouveau marché – grâce à la générosité de femmes formidables qui ont la main sur le cœur.
Précisons. Au Québec, aujourd’hui autant que lorsque la loi 2 sera votée, aucune rémunération à proprement parler ne peut être versée à la mère porteuse. Seulement une compensation (pouvant atteindre parfois 20 000$), ou dédommagement pour frais supplémentaires encourus durant la grossesse peuvent être octroyés par le couple d’intention à la gestante altruiste. « Ainsi, le sanctuaire du don de la vie n’est pas souillé par de viles considérations pécuniaires! », serions-nous tentés de jubiler. Ce serait faire abstraction du lucratif babybusiness qui ne manquera pas de faire la piasse once again sur le corps de femmes généreuses et dévouées.
Ce qu’on proclame un peu moins fort aussi dans les articles des quotidiens qui soulignent les « enjeux éthiques » et les « questions » que ça soulève sans jamais les nommer, c’est que, pour parvenir à implanter un embryon dans Gisèle, il faut en produire plus d’un. Ce sont quelques-uns des dizaines de milliers de dommages collatéraux de ces projets parentaux. On les appelle « embryons surnuméraires ». Joli nom. Pour certains, ce sont des tas de cellules (comme vous et moi, après tout!), alors que pour d’autres, ils sont Jean, Lucia et Camille[3].
Nec-plus-ultra du patriarcat?
Alors que les recherches sur les liens profonds et durables qui se tissent entre la mère et l’enfant lors de la grossesse sont légion, en prétextant le bien de l’enfant, on encadre une loi qui l’arrachera de manière préméditée au sein qui l’aura formé.
C’est entendu, l’adoption brisait déjà ces liens de filiation entre les parents biologiques et l’enfant, au « profit » du parent d’adoption et de l’enfant. Mais l’adoption est un bien qui vise à réparer un mal (décès, incapacité parentale, etc.). Tandis qu’ici, on crée cette rupture de toutes pièces en tentant de réparer ce qui est perçu comme une injustice. Nuance.
Il semble que notre époque a la formidable capacité de voir du patriarcat partout sauf là où il se trouve sous ses formes les plus violentes. Si le patriarcat peut se définir en un système ou une organisation sociale fondée sur la domination masculine, il n’est pas rare que ses formes les plus tordues s’accompagnent d’une mainmise sur l’utérus des femmes, leur instrumentalisation et leur réduction au statut de moyen d’assouvissement (sexuel, financier, etc.).
Ici, avec la GPA, le corps des femmes – parfois avec leur consentement, mais pas toujours! – est mis à la disposition du projet des hommes (pas toujours, mais souvent) et dans une forme des plus néfastes pour l’enfant à naitre, mais aussi potentiellement dangereuse pour la santé de la mère[4].
Alors que plusieurs de nos contemporains sont tentés d’applaudir l’apparition d’une énième brèche dans les structures traditionnelles familiales (donc forcément liberticides), les écueils à la liberté ont lieu, certes, mais pas là où nous les attendions.
Quelle liberté pour l’enfant qui nait comme le projet planifié, désiré, bien sûr, mais pas pour lui-même, plutôt pour ce qu’il comblera le droit au bonheur des parents lésés par leur histoire, leurs choix ou par la nature? Comment pourrait-il croitre pour lui-même, diverger des attentes de ses « parents d’intentions » sans cumuler des charbons d’anxiété au-dessus de sa tête?
Poser ces douloureuses questions nous renvoie incontestablement au fait que nous avons tous, à divers degrés, embrassé cette idée du projet parental. Et que nos enfants seront en droit – sujets de droit cette fois – de nous en vouloir longtemps.
Pour aller plus loin :
[1] Après la porno éthique, l’optimisation fiscale éthique et la mafia éthique, la nouvelle tendance est à l’exploitation éthique de l’utérus. Le lecteur pourra se demander quelle barbarie se verra bientôt affublée de la noble étiquette éthique? Cocaïne bioéquitable, produite sans additifs et dans le respect des normes du travail? Tueur à gage éthique qui prend le temps de partager un thé avec sa victime et qui l’endort avec une comptine avant l’exécution? On l’a compris depuis 1984, pervertir le sens des mots suffit à déliter le cours des évidences les plus primaires.
[2] Ce qui ne nous empêchera pas, pour autant, de déposer ici le témoignage du veuf de Lydia Cox, mère de quatre enfants désormais orphelins de mère après une « grossesse pour autrui » qui a mal virée parce que, il faut le dire, les grossesses pour autrui sont des grossesses à risque. Pour la mère porteuse, s’entend.
[3] Selon un reportage de Radio-Canada, il y aurait 1 million de ces embryons dans les limbes des cliniques de fertilité dans le monde.
[4] Quelle féministe peut souhaiter à des enfants de naitre sans mères? Une mère serait donc accessoire?
<strong><a href="https://blockads.fivefilters.org/">Adblock test</a></strong> <a href="https://blockads.fivefilters.org/acceptable.html">(Why?)</a>
Source : Lire l'article complet par Le Verbe
Source: Lire l'article complet de Le Verbe